Le second tour de l’élection présidentielle au Mali se déroule ce dimanche. Avec 17,8 % des voix au premier tour, Soumaïla Cissé est arrivé largement derrière le président sortant Ibrahim Boubacar Keïta ( 41,4 % des voix ). Il continue à dénoncer des fraudes et mise sur le report des voix des vaincus pour le second tour. Soumaïla Cissé est l’invité Afrique matin sur RFI, ce vendredi 10 août, dès 4h43 TU.
RFI : Vous êtes de nouveau finaliste mais avec 24 points de retard sur le président sortant, est-ce que vous n’êtes pas dans une position difficile ?
Soumaïla Cissé : Non je ne m’inquiète pas pour ces points de retard que je sais que c’est des points de fraude. C’est pour ça que je pense qu’honnêtement avec une mobilisation meilleure, nous pouvons renverser la tendance.
Dans le Nord-Mali, vous accusez le pouvoir d’avoir profité des violences pour truquer les élections mais le nord est beaucoup moins peuplé que le sud. Si fraude il y a, est-ce qu’elle pèse vraiment lourd dans le résultat général ?
Oui, vous avez raison de dire que le Nord est moins peuplé mais c’est le nombre de votants qui compte, ce n’est pas la population totale. Quand vous avez des centres où il y a 9 898 votants pour le président, une voix pour moi et zéro pour tous les autres, on doit s’interroger. Quand le président fait des progressions de plus de 80% dans certains fiefs dans le Nord, on doit s’interroger. (Quand) dans les zones où j’ai traditionnellement gagné, on empêche les gens de voter, je crois que l’on doit s’interroger. Surtout quand on sait que l’élection a été sous-traitée à des groupes.
Ce mercredi soir, le ministère de l’Administration territorial a publié les résultats bureau de vote par bureau de vote, n’est-ce pas un effort louable de transparence ?
Mais c’est une fois (que celui a) été imposé. Il a fallu que la communauté internationale sorte les griffes pour qu’il le fasse. Il savait que les résultats seraient truqués d’un bout à l’autre. J’aimerais bien voir la qualité de ces résultats pour voir que ces bureaux de vote correspondent bien à la réalité. En tout cas, il y a des éléments qui manquent. On va regarder mais il a fallu que l’Union européenne en fasse un casus belli pour cela soit publié.
Justement en publiant ces résultats bureau de vote par bureau de vote, est-ce que le pouvoir ne donne pas satisfaction à l’Union européenne ? Est-ce qu’il n’affaiblit pas votre position devant la communauté internationale ?
Je ne pense pas que les citoyens européens soient satisfaits que ses impôts financent la fraude.
Soumaïla Cissé, plusieurs de vos partisans vous ont conseillé de boycotter ce deuxième tour et pourtant non vous décidez d’y aller, ça veut dire que vous y croyez toujours ? Quelles sont à vos yeux les conditions à remplir pour que le deuxième tour se passe à la loyale ?
Il faut y aller en toute responsabilité. Un parti comme l’URD, qui est un grand parti, ne fait pas de politique de chaises vides. Aujourd’hui, nous avons demandé un accompagnement de la communauté internationale, en particulier la Minusma dans des zones contrôlées par la rébellion. A savoir qu’il y a eu vote dans tel endroit, tel endroit, qu’elle puisse assister cela. Nous avons demandé à la Cédéao de déployer des observateurs dans tous les bureaux pour que cette élection soit crédible. Nous avons demandé à la communauté internationale d’assurer la sécurité dans les zones du centre du pays pour que les gens puissent aller voter correctement. Nous avons demandé que l’on arrête les tripatouillages, vous avez déjà des bulletins vierges qui commencent à circuler. Ceci est inacceptable. Le fichier lui-même doit être revu et corrigé pour que les listes qui vont sortir du fichier n’aient plus de doublons. Nous avons la preuve de doublons, de triplons. Nous avons demandé que le logiciel soit mieux audité. Vous avez un simple logiciel Excel que n’importe qui, excusez-moi le mot, peut tripatouiller. Ce n’est pas honorable.
Le logiciel de compilation, c’est ça ?
Bien sûr, le logiciel de compilation qui donne les résultats, c’est un simple fichier Excel. Je vous assure n’importe quel étudiant peut le bricoler et faire ce qu’il en veut.
Soumaïla Cissé, au-delà de la fraude, est-ce que le président sortant n’a pas réussi à faire une campagne de rassembleur et de père de la nation ?
Non, je crois que non. Franchement, on a vu la campagne morne qui a été faite par le président de la République. Le président de la République n’a pas de bilan à défendre. Le président de la République a échoué pendant ces cinq ans. L’insécurité a grandi, la crise communautaire est là.
Et justement, est-ce que votre adversaire n’a pas réussi à faire oublier ce bilan controversé pour faire une campagne de «petit père des peuples» ?
Non, le «petit père des peuples», je crois que ce n’est pas au Mali. Vous savez le résultat du président, ce n’est que le résultat de la fraude parce que malgré la fraude, il reste quand même minoritaire, il n’a pas gagné au premier tour, c’est la première fois dans l’histoire du Mali. Et vous savez très bien qu’en Afrique, un président à ce niveau qui perd le premier tour, ne peut pas gagner le deuxième tour.
Alors, c’est vrai que si l’on additionne toutes les voix obtenues au premier tour par les 18 candidats de l’opposition, vous êtes potentiellement majoritaire. Mais mardi dernier, lors du dernier meeting de Bamako, on n’a pas vu à vos côtés, le candidat Cheikh Modibo Diarra qui pèse tout de même 7%.
Modibo n’est pas là mais ça ne veut pas dire qu’il est contre nous. En tout état de cause, nous les candidats, les voix ne nous appartiennent pas. Aujourd’hui, les compteurs sont remis à zéro. Qu’il ait 40%, 10%, ça ne compte plus. Et une nouvelle élection, c’est un nouveau choix entre continuer comme avant, enfoncer le Mali dans la déprime ou sortir de l’incorrection de cette mauvaise gouvernance que nous connaissons depuis cinq ans.