A Kalabancoura, près de l’hôtel Wassoulou, dans un « grin » de huit jeunes gens à la fleur de l’âge, la discussion est tendue. « – A quoi rêvent les jeunes de 20 ans au Mali ? Que leur réserve l’avenir ? » Pour Moussa Koné, qui connaît le Coran par cœur mais qui, à 22 ans, sait à peine écrire son nom en français, ces questions semblent trop générales. « – Toi, Moussa, à quoi penses-tu ? – Je pense à beaucoup. Je pense tout le temps. Je pense à trouver de l’argent pour être capable de subvenir à mes besoins, sinon je ne pourrais pas me marier ».
Le rêve de Moussa est d’ouvrir une boutique de prêt-à-porter, devenir un grand commerçant et avoir assez d’argent pour être heureux, se marier, soutenir ses parents. Moussa se considère au moins chanceux car, il s’en vante, « Dieu m’a permis d’apprendre le Coran ». Il n’a pas de diplôme pour postuler à un concours, mais il estime que dans d’autres situations, s’il ne maîtrisait pas aussi le Coran, il serait un profane négligé.
Contrairement à Habib, son ami d’enfance, Moussa espère vivre un jour heureux grâce à ses connaissances religieuses qui, dans un pays comme le Mali, pourraient lui servir de passerelle pour dégoter un job dans une medersa, dans une mosquée ou pourquoi pas être un marabout.
Dans le « grin » de Moussa, les membres sont solidaires entre eux. Le thé autour duquel le petit groupe se forme chaque soir, est financé à tour de rôle. Chaque jour, un membre apporte deux sachets de thé et 100 F CFA de sucre.
Parfois, les plus jeunes, pour un oui ou un non, se font amender par les plus âgés. Entre les bruits de moteurs d’un garage de réparation de voitures et le tohu-bohu d’un atelier de tôlerie, Moussa et ses amis ont installé leur grin. Ils se retrouvent les soirs vers 15 h et y restent jusqu’à minuit, voire plus tard encore les week-ends.
Dans ce grin, on parle de tout. Mais, les sujets les plus développés portent généralement sur la vie de jeunes stars à la vogue. Iba Montana, Iba One, Sidiki Diabaté, le nouveau clip de Salif Kéita, l’arrestation de « Le Fou », un jeune rappeur malien, etc., sont au cœur des échanges. La question d’emploi, de chômage et les problèmes sécuritaires… relégués au second plan.
« Nous ne pouvons rien faire. C’est une affaire de politiques. Qu’on en parle ou pas, rien ne changera », se résigne Alassane, un jeune étudiant de 21 ans, membre du grin depuis six ans. Il rappelle que les mouvements de jeunesse sont toujours voués à l’échec, car les hommes politiques les infiltrent souvent et les empêchent d’atteindre leurs objectifs. « C’est le ras-le-bol. L’AEEM et les autres mouvements de jeunes ne font rien pour les jeunes. Ils sont là pour les régimes successifs », précise-t-il.
Au Mali, plus de 90 % des jeunes chôment ? Pour Abdoulaye, au royaume de la débrouille et des petits métiers qu’est le Mali, une économie presque entièrement fondée sur le secteur informel, cette statistique ne veut rien dire. « 90 % de jeunes chômeurs, ça ne veut pas dire que 90 % des gens ne font rien. Tout le monde travaille mais ça n’apparaît pas dans les chiffres ».
« Les Maliens sont habitués à trimer dur pour survivre », confirme l’ »aîné » du groupe, Amadou, 32 ans. « C’est dans notre culture ». Enseignant de son état, Amadou est fier des membres de son « grin » qui, selon lui, sont des « jeunes responsables », car ils ne consomment pas de drogues, respectent leurs aînés et ne font pas de banditisme.
« A Bamako, les jeunes qui ne travaillent pas sont tentés par le banditisme. Ils n’hésitent pas à voler des motos et même à assassiner de paisibles citoyens pour l’argent. Mais, dans notre ‘grin’, depuis dix ans au moins, je n’ai jamais vu ces jeunes faire ces genres de choses. Depuis mineurs, ils se retrouvent ici et gardent la même ligne de conduite ». Pour les membres de ce « grin », si les diplômes ne servent à rien dans un pays où la promotion des jeunes n’est jamais concrétisée, l’unique espoir restera l’émigration.
Un vivier de candidats à l’expatriation
Pour d’autres jeunes rencontrés pêle-mêle à Sabalibougou et Torokorobougou, l’avenir n’est pas au Mali. Baba Traoré, 21 ans, est un apprenti Sotrama. Il arpente les rues de Bamako depuis quatre ans. « Quelqu’un qui a 20 ans en Europe est vingt fois mieux qu’au Mali. Il a tout : l’argent, les connaissances, la nourriture, l’espérance de vie. Tous les fardeaux sont sur notre tête maintenant ». Alou Coulibaly est son ami. « Le Mali dans vingt ans ? Ce sera la guerre civile si rien n’est fait ».
Mounirou Soumbounou, vit à Torokorobougou. Il est Soninké, une ethnie de forte émigration. Il revient d’un séjour de six ans en France. Pour lui, la France a été une expérience décevante, parce que c’est « le règne du chacun-pour-soi ». « Je préfère avoir mes problèmes que ceux des jeunes Occidentaux. Il n’y a pas de solitude au Mali. Ici, nous sommes entourés. On s’entraide, on se parle, on ne vit pas enfermé ».
Et de souligner que les jeunes émigrés qui, comme lui, reviennent au Mali, entretiennent eux-mêmes le mythe de l’Eldorado, en couvrant leurs familles d’argent et de cadeaux pour masquer l’échec de leur expérience et pour éviter la honte de rentrer bredouille. Toutefois, il considère qu’en étouffant l’espoir des jeunes, le Mali est devenu un gigantesque réservoir de candidats à l’émigration, un réservoir qui déborde et qui cède déjà.
« L’avenir ? Pour le développement de l’Afrique, je dis bonjour les dégâts ! Ce sera très difficile. Les gens n’y croient plus. L’émigration est perçue comme la seule porte de sortie. Quand je dis aux gens ici que l’Eldorado n’existe pas, que l’émigration n’est pas la solution, que l’intégration à la culture occidentale est extrêmement difficile, ils ne veulent pas me croire. Déjà, dans ma commune d’origine, dans la région de Kayes, il n’y a presque plus de jeunes adultes. Ils sont tous partis ! »
Pour Soumbounou, l’espoir du Mali c’est que les jeunes Maliens ne perdent pas de vue les valeurs qui font leur force. « La vie de mes enfants connaîtra un changement considérable par rapport à la mienne à cause de la technologie qui transforme notre société. Présentement, le tam-tam est remplacé dans les villages par la radio et le téléphone portable. C’est ce qui motive ceux qui sont restés à partir, ils veulent aussi être comme les autres jeunes : devenir quelqu’un et soutenir leur famille et village ».
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H. Koné
Source: Le Focus