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Djihadisme au Mali : la « pyramide » et le « gazon »

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En tuant Amadou Koufa, la France se félicite d’avoir touché les groupes armés à leur sommet. Mais enrayer l’élargissement de leur assise locale sera plus difficile.

Chronique. « Grâce à ce succès, nous désorganisons les réseaux terroristes et nous le faisons en nous attaquant au haut de la pyramide, car c’est la meilleure façon d’affaiblir les bases du terrorisme. » Mercredi 28 novembre, la ministre française des armées, Florence Parly, ne cachait pas sa satisfaction en recourant à une métaphore architecturale quelque peu audacieuse pour confirmer la mort d’Amadou Koufa. Le chef de katiba Macina a été tué dans une opération menée quelques jours auparavant par les forces françaises dans le centre du Mali. Pourtant, une question se pose : et si, plutôt que « les bases du terrorisme », les soldats de l’opération « Barkhane » continuaient, encore et toujours, à affaiblir « le haut de la pyramide », tandis que la « base » s’élargissait ?

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Au sein des armées françaises, on manie une autre image pour évoquer ce qui ressemble de plus en plus à une guerre sans fin : « Nous empêchons le gazon de repousser », répètent les officiers supérieurs en évoquant ces opérations coups de poing contre les « têtes » des réseaux terroristes. Mais les graines sont toujours là, dans la terre, et l’herbe finit toujours par repousser.

Nouvelles graines de violence

Pour bien mesurer cette dynamique inquiétante, un petit retour en arrière s’impose. Au début des années 2000, ils n’étaient tout au plus que quelques dizaines, voire quelques centaines de combattants islamistes boutés hors d’Algérie par l’armée, qui s’installèrent dans le nord du Mali sous l’œil passif des autorités de Bamako. Peu à peu, ces combattants étrangers ont élargi leur base en recrutant dans les pays voisins (Mauritanie, Sénégal, Niger), mais aussi, lentement mais sûrement, parmi les jeunes Touareg locaux en mal d’avenir. Au point que certains responsables au sein de la communauté touareg commencèrent à s’en inquiéter sérieusement et, pour certains d’entre eux, n’hésitèrent pas à apporter leur concours discret aux services français, puis aux troupes de l’opération « Serval » lancée début 2013 pour chasser les islamistes du nord du Mali.

Avec « Serval », le « gazon » a de fait été arasé à Tombouctou, Gao et Kidal. Provisoirement. A l’été 2014, « Barkhane » prenait le relais, à l’échelle de la bande du Sahel, pour tenter de casser les réseaux terroristes qui, du sud de la Libye au nord du Mali, tentaient de renaître de leurs cendres. Mais très vite, on s’aperçut que de nouvelles graines de violence avaient été semées, cette fois dans le centre du Mali. Les troupes françaises étaient en quelque sorte prises à revers par l’irruption d’un conflit potentiellement plus dangereux encore, car impliquant non plus des combattants étrangers mais des populations locales.

Cette fois, il ne s’agit plus de ce nord désertique qui paraît si loin de Bamako, géographiquement et mentalement. Mopti, c’est le cœur du Mali, la région des Dogon, dont les œuvres artistiques peuplent les musées occidentaux et les étagères des marchands d’art. Des tensions communautaires, liées le plus souvent au contrôle de la terre et à l’accès aux ressources, finissent par dégénérer, notamment avec les éleveurs peuls qui circulent dans cette zone. Alors que l’Etat est aux abonnés absents, le Peul Amadou Koufa fonde, probablement courant 2014, un groupe armé qui monte en puissance et, plus tard, fera alliance avec Ansar Eddine, le mouvement du Touareg Iyad Ag-Ghaly, au sein du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).

Guerre de tous contre tous

En parvenant à éliminer Koufa ainsi qu’une trentaine de ses proches, selon le bilan fourni par l’état-major des armées, la France a indéniablement porté un coup très dur à la nébuleuse terroriste dans cette zone. Elle prouve ainsi qu’elle a su réorganiser son dispositif, notamment sur le plan du renseignement, pour localiser, identifier et frapper au moment adéquat le chef de la katiba Macina. En s’attaquant « au haut de la pyramide », elle gagne du temps. Mais pour en faire quoi ?

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Le défi numéro un à relever dans cette zone reste entier : celui de la gouvernance. Pour stabiliser le centre du pays et enrayer l’élargissement de l’assise locale des groupes armés, il n’y a qu’une solution sur le long terme : l’action résolue de l’Etat malien, une administration dotée de moyens et qui serait en capacité d’exercer la plénitude de ses fonctions régaliennes, de ramener l’ordre, d’exercer la justice et ainsi d’empêcher la guerre de tous contre tous, tout en favorisant le développement au bénéfice des populations locales. Vaste programme. Mais s’il veut éviter qu’un autre Koufa ne surgisse rapidement et reprenne le flambeau de la lutte armée au nom des Peuls, l’Etat malien doit impérativement offrir des perspectives à une population très jeune qui, par désespoir, pourrait être tentée de basculer dans la violence.

Paris en est bien conscient : le gouvernement français veut désormais mettre l’accent sur les actions de développement dans ces zones de crise, malgré de réels obstacles sécuritaires. L’effort est louable, mais il ne pourra venir qu’en complément des actions qui seront menées par les autorités de Bamako elles-mêmes. Dans le centre du Mali, le haut de la pyramide a certes été sévèrement touché par l’élimination d’Amadou Koufa. Mais la base, elle, est intacte.

Thomas Hofnung (chroniqueur Le Monde Afrique)

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