L’enquête sur le meurtre de deux jeunes touristes scandinaves dans le sud du Maroc, qui se focalise désormais sur le “mobile terroriste”, suscite des questions dans un pays qui avait été épargné par les attaques jihadistes depuis 2011.
– Qui sont les suspects?
Quatre suspects ont été arrêtés à Marrakech pour le meurtre de Louisa Vesterager Jespersen, une étudiante danoise de 24 ans, et son amie Maren Ueland, une Norvégienne de 28 ans, retrouvées mortes lundi sur le chemin du Mont Toubkal, le plus haut sommet d’Afrique du Nord.
Un premier suspect, appartenant à “un groupe extrémiste”, a été arrêté lundi, les trois autres ont été appréhendés jeudi après trois jours de cavale. L’un des trois a des antécédents judiciaires “liés à des actes terroristes”.
Sur les photos d’identité de l’avis de recherche, un des suspects porte un qamis (vêtement long blanc) et arbore une barbe non taillée. Le deuxième porte aussi une barbe fournie, le troisième a un visage maigre cerné d’un bouc.
Mais les trois hommes étaient rasés et portaient des vêtements ordinaires lors de leur arrestation, selon les photographies diffusées par la police. D’après des médias marocains, ils ont entre 25 et 33 ans et vivaient jusqu’ici dans la région de Marrakech, dans la précarité.
Sont-ils liés à l’organisation Etat islamique (EI)? “Les premiers résultats de l’enquête indiquent qu’il y a des traces de l’EI, mais c’est un peu tôt pour faire le lien”, affirme à l’AFP le chercheur Mohamed Mesbah, qui dirige le Moroccan Institute for Policy Analysis (Mipa). “Ce sont visiblement des actes isolés de personnes ayant une idéologie radicale, des +loups solitaires+”, avance-t-il.
– Y a-t-il des antécédents au Maroc?
Photo du village d’Imlil et d’un massif du Haut-Atlas, dans le sud du Maroc, le 18 décembre 2018 / © AFP / FADEL SENNASi la piste terroriste venait à se confirmer, ce serait la première attaque du genre dans le royaume depuis l’attentat à la bombe perpétré le 28 avril 2011 à Marrakech, qui avait fait 17 morts dont 11 Européens. Deux accusés ont été condamnés à mort et sept autres à des peines de prison pour leur “implication avérée”.
Le 16 mai 2003, la capitale économique Casablanca avait été meurtrie par une vague d’attaques suicide (33 morts), perpétrée par douze kamikazes. Les autorités ont par la suite arrêté plus de 8.000 personnes et plus d’un millier ont été condamnés en justice.
Le royaume a depuis musclé son dispositif sécuritaire et son arsenal législatif, tout en renforçant l’encadrement du secteur religieux.
En 2013, une longue vidéo d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) intitulée “Maroc: le royaume de la corruption et du despotisme” et appelant au jihad avait suscité de vives préoccupations.
– Peut-on parler de jihad marocain?
La population marocaine est majoritairement musulmane sunnite de rite malékite et le pays se félicite de pratiquer un islam modéré.
Mais le salafisme, une branche ultra-conservatrice de l’islam sunnite qui prône un retour à l’islam des origines, reste présent dans le royaume.
Photo du village d’Imlil et d’un massif du Haut-Atlas, dans le sud du Maroc, le 18 décembre 2018 / © AFP / FADEL SENNALes premiers partisans du jihad armé sont apparus dès les années 1990 au Maroc, appelant à la guerre sainte contre les Soviétiques en Afghanistan.
Après la politique de répression qui a suivi les attaques de Casablanca, les contestations de rue début 2011, dans le cadre du Printemps arabe, ont marqué le signal des premières libérations de détenus salafistes, dont beaucoup ont été progressivement réinsérés.
“J’ignore si le suspect qui a des antécédents judiciaires liés au terrorisme est passé par ce processus de réhabilitation. Mais cela aura des conséquences sur la réhabilitation et la réintégration des ex-jihadistes”, dit le chercheur Mohamed Mesbah.
– Le Maroc est-il menacé?
Les autorités du royaume annoncent fréquemment le démantèlement de “cellules terroristes”. En 2017, le Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ), une unité d’élite, a démantelé neuf “structures terroristes” et “neutralisé 186 terroristes présumés”, selon un bilan officiel.
Le royaume doit en outre gérer le retour de ses ressortissants partis combattre sous la bannière de l’EI en Irak, Syrie et Libye. En 2015, ce nombre était estimé à plus de 1.600.
“Certains sont tombés dans des opérations kamikazes ou ont été abattus par les forces de la coalition (internationale antijihadistes). D’autres ont pris la fuite vers d’autres pays”, avait affirmé le chef de l’antiterrorisme marocain, Abdelhak Khiam, dans un entretien à l’AFP.
Les autorités marocaines mettent souvent en avant les moyens importants déployés pour la lutte antiterroriste et les efforts de coordination avec leurs différents partenaires en Europe et notamment ceux qui, comme la France, l’Espagne ou la Belgique ont été visés par des attentats impliquant des binationaux.
Source: AFP