Alors que les résultats provisoires des élections présidentielle, législatives et provinciales se font attendre, les appels de la communauté internationale à la transparence et au respect du choix des électeurs se multiplient.
“Arrêtez de nous intimider, arrêtez d’essayer d’influencer la décision de la Céni”, a lancé jeudi 3 janvier lors d’un point-presse Corneille Nangaa, inhabituellement tendu, aux observateurs internationaux des élections par lesquelles doit-être désigné le successeur du président Joseph Kabila. Alors qu’un probable report de la proclamation des résultats provisoires des élections présidentielle, législatives et provinciales, normalement prévue le 6 janvier, est envisagé, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) est sous une pression maximale.
La transmission des résultats à partir des machines à voter ayant été désapprouvée par les différents candidats de l’opposition, la collecte des procès-verbaux des centres de vote doit se faire manuellement. La RD Congo, sans infrastructures routières adéquates, est grande comme quatre fois la France. Le ramassage des procès-verbaux pourrait prendre du temps.
“L’on pensait qu’on pouvait transmettre les résultats à partir de la machine à voter pour nous aider à publier rapidement les résultats, personne n’avait voulu de cette procédure”, a indiqué le président de la Céni à l’AFP. “Le ramassage (des procès-verbaux) ne peut pas se faire en deux jours.” “Nous faisons de notre mieux pour qu’on publie les résultats le 6 janvier. Mais si on n’y arrive pas, à l’impossible nul n’est tenu.”
“Respect de la vérité et de la justice”
Outre la mise en garde des États-Unis – qui ont appelé les autorités électorales à “respecter” le choix des Congolais en publiant des résultats “exacts” –, et les risques de sanctions, Corneille Nangaa doit également faire face à la pression de l’Église catholique qui suit de très près le processus électoral. Grâce à ses 40 000 observateurs répartis dans plusieurs milliers de bureaux de vote à travers le pays, la conférence épiscopale (Cenco) a compilé à son niveau les données issues des procès-verbaux des centres de vote, “qui consacrent le choix d’un candidat comme président de la République”.
“Il est important de souligner que les irrégularités observées n’ont pas pu entamer considérablement le choix que le peuple congolais a clairement exprimé dans les urnes”, a affirmé jeudi lors d’un point-presse le secrétaire général et porte-parole de la Cenco, l’abbé Donatien Nshole. “A cet effet, la Céni est appelée en tant qu’institution d’appui à la démocratie à publier en toute responsabilité les résultats des élections dans le respect de la vérité et de la justice”, a-t-il conclu.
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Déjà mercredi, c’est le président de la mission d’observation de l’Union africaine, l’ex-président malien Diacounda Traoré, qui avait demandé à deux reprises que les futurs résultats proclamés “soient conformes à la volonté des électeurs”.
Corneille Nangaa, l’économiste de 48 ans dont la carrière a débuté à la Céni en 2006 en tant que “superviseur technique” sous l’égide de l’abbé Apollinaire Malu Malu, est donc attendu au tournant. Pour Trésor Kibangula, journaliste spécialiste de la RD Congo à Jeune Afrique, si la communauté internationale maintient une forte pression, “c’est bien parce que les élections étaient attendues depuis fort longtemps. Déjà reportées deux fois, c’est sous la pression de la communauté internationale et des États-Unis que la Céni a été obligée de programmer les élections le 23 décembre puis le 30 décembre après l’incendie des machines à voter à Kinshasa.” À cette longue attente s’ajoute la dimension historique de ces élections. “C’est la première fois qu’un président sortant et vivant laissera sa place à un successeur”, explique Trésor Kibangula.
Une alternance pacifique ?
À cette heure, les trois principaux candidats du scrutin présidentiel revendiquent chacun la victoire. Emmanuel Ramazani Shadary, le candidat du Front commun pour le Congo (FCC), la coalition au pouvoir, a revendiqué sa victoire juste après avoir voté, le 30 décembre dans la commune de La Gombe à Kinshasa. “J’ai déjà gagné. Vous avez vu comment j’ai battu campagne, tout ce qui s’est passé. Je serai élu, c’est moi le président à partir de ce soir”, avait déclaré le dauphin de Joseph Kabila. Selon Trésor Kibangula, les éléments de langage des caciques du pouvoir sont clairs. “S’ils reconnaissent n’avoir pas gagné dans les centres urbains comme Kinshasa, ils disent avoir remporté un très grand nombre de voix dans les provinces et villages.”
De leur côté, les deux candidats de l’opposition soutiennent aussi chacun être en tête du scrutin. Dans un tweet, Moïse Katumbi, l’un des principaux soutiens avec Jean-Pierre Bemba de Martin Fayulu, le candidat de la coalition de l’opposition Lamuka dont la campagne a été émaillée de violences meurtrières, a réagi aux allégations du pouvoir. “Alors qu’Internet est bloqué, que RFI et d’autres médias sont coupés, le régime clame que le FCC gagnera dans les provinces. Faux ! Comme à Kinshasa, le FCC a été sanctionné à l’intérieur du pays. En 17 ans, le régime n’a rien fait. Soyons prêts à revendiquer notre victoire !”
Difficile dans une ambiance pareille de ne pas craindre des troubles à l’annonce des résultats provisoires de la Céni. “Il sera difficile dans ces conditions de faire respecter les résultats des urnes, estime Trésor Kibangula. Diacounda Traoré, le chef de mission de l’Union africaine, a essayé par deux fois d’obtenir des trois principaux candidats un acte d’engagement à contester les résultats par les voies légales et non par la violence. Seul le candidat du pouvoir, Emmanuel Ramazani Shadary, a signé cet engagement. Martin Fayulu et Félix Tshisekedi ont refusé de signer, n’ayant pas obtenu des garanties que la Céni publiera les résultats exacts du scrutin”, explique le journaliste.
Vendredi, l’Union européenne a encore une fois appelé à ce que les résultats des élections en République démocratique du Congo, toujours attendus, soient “conformes au vote du peuple congolais”. Pour l’UE, dont le représentant-résident a été expulsé la veille du scrutin par les autorités congolaise, la RDC se trouve “à un moment historique vers une transition démocratique”. Cette transition démocratique dépend désormais de l’annonce d’un seul homme : Corneille Nangaa. Et de la responsabilité des trois principaux candidats à respecter la vérité des urnes.
France24