Une caravane de migrants d’Amérique centrale traverse le Mexique pour tenter de gagner les États-Unis. Originaires du Honduras, du Guatemala et du Salvador, ils fuient la pauvreté, l’instabilité politique et la violence de leurs pays d’origine.
C’est la troisième caravane de ce type en moins de six mois. Plus d’un millier de migrants venus d’Amérique centrale continuent leur chemin vers les États-Unis. Ils ont récemment passé la frontière qui sépare le Mexique du Guatemala au niveau du poste-frontière d’Hidalgo, dans le Chiapas.
Les caravanes de migrants d’Amérique centrale fuyant la violence dans leur pays ont enflammé les débats sur l’immigration aux États-Unis. Plusieurs milliers d’entre eux, issus de la caravane ayant fait la une de l’actualité durant la campagne des élections américaines de mi-mandat, vivent depuis novembre dernier dans des camps de fortune à Tijuana, du côté mexicain de la frontière. D’autres sont bloqués dans des situations précaires dans les villes frontalières, dans l’attente que les autorités douanières américaines traitent leur demande d’asile.
Une situation économique désastreuse
Depuis 2014, à la frontière sud des États-Unis, les Mexicains ne constituent plus la majorité des migrants tentant de passer “la linea”. Ils ont été détrônés par les migrants centre-américains en provenance du Guatemala, du Honduras et du Salvador.
“Ces trois pays ont plusieurs points communs. Ils ont été frappés par des guerres civiles qui les ont laissé comme des champs de ruines économiques et sociaux”, explique Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et spécialiste de l’Amérique latine, à France 24. “Ces problèmes n’ont jamais été réellement solutionnés.”
Le contexte économique et la pauvreté sont à l’origine des déplacement massifs des populations. Le Honduras, dont s’est élancé la caravane, figure en vingt-septième position des pays les plus pauvres de la planète. Gangrené par le chômage, ce pays de 9,1 millions d’habitants affiche un taux de pauvreté de 64,3 %. Sur la même période, dans les zones rurales du pays, près d’un habitant sur cinq vivait même en situation d’extrême pauvreté, soit moins de 1,90 dollar par jour (1,66 euro).
Le Guatemala et le Salvador s’en sortent à peine mieux. Dans le premier, la pauvreté touchait, en 2015, 59,2 % de la population et l’extrême pauvreté 23,4 % (soit un habitant sur quatre), selon le journal indépendant Nomada. Au Salvador, c’est 42,2 % de la population qui vit encore sous le seuil de pauvreté et 12,3 % dans l’extrême pauvreté, selon l’ONG belge Actec.
“Dans ces pays d’Amérique centrale, il y a une série de facteurs économiques et sociaux communs”, estime Jean Clot, professeur associé au laboratoire Pacte de l’université de Grenoble et spécialiste de l’Amérique centrale, joint par France 24. “Des salaires peu élevés, peu d’opportunités d’emploi, un manque d’accès à l’éducation et aux services basiques.”
Selon le chercheur, les trois pays souffrent d’un autre mal commun : l’instabilité politique. Au Honduras, la réélection de Juan Orlando Hernandez a été contestée violemment par l’opposition. Au Guatemala, le président Jimmy Morales fait face à des accusations de corruption. Seul le Salvador fait encore figure de bon élève démocratique.
“Ce manque de légitimité démocratique contribue à un ras-le-bol. Ce facteur s’entremêle à d’autres pour expliquer la migration”, continue Jean Clot.
Le choix des États-Unis comme destination n’est pas anodin. Si les Centre-américains regardent dans cette direction, c’est que les diasporas guatémaltèque, hondurienne et salvadorienne y sont fortement présentes.
“D’un point de vue historique, dans ces trois pays, les conflits armés ont eu lieu des années 70 au début des années 90, et étaient principalement dûs à l’impérialisme américain. Ils ont donné lieu à d’importants déplacements internes et internationaux”, relève Jean Clot. “D’importantes communautés se sont alors établies aux États-Unis tout en gardant des liens forts avec leur pays d’origine. Les migrations qui ont eu lieu se sont opérées à la faveur de regroupements familiaux.”
L’explosion de la violence dans le “Triangle du Nord”
À Los Angeles, on assiste à la naissance de gangs ultraviolents : la Mara salvatrucha, la Mara 13, la Barrio 18. Les États-Unis procèdent alors à de grandes vagues d’expulsions, renvoyant dans leur pays d’origine des délinquants arrêtés sur le territoire américain.
“Les ‘déportés’ ont reproduit au Salvador l’organisation criminelle qu’ils avaient dans leur quartier d’origine à Los Angeles”, explique Jean Clot. Puis le phénomène des Maras s’est étendu à toute l’Amérique centrale. Résultat : la région est devenue “Le Triangle du Nord”, un point de fixation du narcotrafic continental et la zone par laquelle transite la drogue conduite de Colombie vers les États-Unis.
“La pauvreté qui règne dans ces pays était le terreau fertile au développement des formes de criminalité et de délinquance”, estime Christophe Ventura. “Les trafiquants déportés ont ramené avec eux leur réseau, leurs savoir-faire et leurs compétences criminels en matière de trafic de drogue.”
Les homicides ont explosé. Les Nations unies ont classé le Salvador parmi les États les plus dangereux de la planète hors d’une zone de guerre, avec plus de 108 homicides pour 100 000 habitants en 2015. Au Honduras, ce taux s’élevait à 63,75 et au Guatemala, à 34,99 pour 100 000 habitants. Une violence qui pousse désormais les populations sur les routes de l’exil.
Des caravanes médiatiques et pratiques
Cependant, “les caravanes ne sont pas un phénomène nouveau “, rappelle Jean Clot. “Depuis 2011, l’organisation Pueblo Sin Fronteras organisait chaque année sa ‘Via Crucis migrante’ (le chemin de croix des migrants, NDLR) mais elle tenait davantage du symbole, d’une manière d’interpeller sur les conditions des migrants centre-américains au Mexique.”
La caravane d’avril 2018 a marqué un tournant : “Pour la première fois, Pueblo Sin Fronteras a déclaré que sa caravane irait jusqu’à la frontière. Petit à petit, il y a une mobilisation dans les pays d’origines. Plutôt que de traverser en petits groupes clandestins le pays, les migrants ont décidé de voyager en grands groupes pour éviter les extorsions”, explique Jean Clot.
L’insécurité est une réalité sur les routes empruntées par les migrants. Selon les autorités de Tegucigalpa, onze Honduriens sont morts dans leur tentative d’émigrer aux États-Unis lors des dernières caravanes. Pour autant, franchir la frontière nord du Mexique n’est pas la fin de leurs peines. En décembre, ce sont deux enfants guatémaltèques qui sont morts sur le territoire américain après avoir été arrêtés avec leurs pères par des gardes-frontières.