Un pas décisif vient d’être franchi dans l’opération de tripatouillage de la Loi fondamentale de notre pays, avec l’adoption en Conseil des ministres extraordinaire du 10 mars 2017, du projet de loi portant révision de la Constitution du 25 février 1992 en violation flagrante de l’article 118 de la Constitution (On ne cessera de le dire : le Mali n’est pas souverain sur le territoire régional de Kidal) selon lequel « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Telle est la remarque très pertinente de Dr Brahima Fomba, Chargé de Cours à Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (Usjp). Dans les lignes qui suivent, le constitutionnaliste se dit également convaincu que cette révision constitutionnelle est commanditée de l’extérieur à travers le diktat de l’Accord d’Alger en violation flagrante de la souveraineté nationale du peuple malien telle qu’affirmée à l’article 26 de la Constitution qui dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». En outre, Dr Fomba démontre comment le projet remet nettement en cause la nature même du régime politique du Mali.
Alors que le Communiqué du Conseil des ministres extraordinaire du vendredi 10 mars 2017 a volontairement masqué nombre de manipulations opérées dans cette Constitution que nous examinerons plus tard, la modification majeure sur laquelle il lève le voile porte sur le gonflement des pouvoirs du Président de la République aux dépens du Premier ministre. Au point de remettre nettement en cause la nature même du régime politique du Mali. Cette modification suffit déjà à comprendre que cette réforme constitutionnelle n’est qu’une fausse promesse démocratique de plus jetée à la figure du peuple du Mali.
Les articles concernés
La Constitution du 25 février 1992 a institué un régime de type semi-présidentiel ou semi parlementaire avec comme caractéristique fondamentale, un Président de la République élu au suffrage universel direct partageant le pouvoir exécutif avec un gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation sous l’autorité d’un Premier ministre. Ce sont les Titres III et IV de la Constitution respectivement consacrés au Président de la République et au Gouvernement qui fixent cette option fondamentale pour un régime politique que le constituant (originaire) n’a voulu ni totalement parlementaire, ni totalement présidentiel voire présidentialiste.
Conformément à l’esprit du régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire institué par la Constitution du 25 février 1992, l’article 38 relatif est ainsi libellé : « Le Président de la République nomme le Premier Ministre. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur proposition du Premier Ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions ». Il découle de cet article que pour mettre fin aux fonctions du Premier ministre, le Président de la République n’a pas carte blanche et a besoin pour ce faire de la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement. En d’autres termes, il ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire en la matière et exerce, en quelque sorte, une compétence liée notamment du fait du préalable de la présentation par le Premier ministre de la démission du gouvernement. En revanche, le Premier ministre ne dispose que d’un simple pouvoir de proposition pour les autres postes du gouvernement que le Président est libre de valider ou non.
Selon l’article 53, « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation et dispose de l’Administration et de la Force armée ». Cette disposition ne s’explique également que par l’esprit parlementaire qui tempère les pouvoirs présidentiels et qui procède toujours de la nature semi-parlementaire ou semi-présidentielle du régime. Elle doit être lue en parallèle avec l’article 54 instituant la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale.
La rupture d’équilibre entre le président et le premier ministre
Le Doyen honoraire de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Gaston Berger de Saint Louis, Babacar KANTE, se confiant le 14 février dernier au WATHI, Think Tank Citoyen de l’Afrique de l’Ouest disait : « Nous aurions dû, nous en Afrique, avoir les Présidents les plus faibles….Je suis toujours étonné de voir que dans nos Constitutions, le Président a un rôle prééminent parce que si nous devions tenir compte de notre contexte historique, des valeurs positives de la culture africaine, nous aurions un régime parlementaire…». Le Doyen précise plus loin : « Nous avons pris de notre histoire ce qui arrange l’élite, et ce qui ne les arrange pas a été abandonné. Il y avait dans les royautés, les empires, un système de contre-pouvoir qui était parfois très efficace ».
Le Professeur Cheibane dans l’une de ses publications intitulée « Le régime présidentialiste qui crée un monarque dit Républicain » confirme les propos du Doyen KANTE: « Bien que la démocratie libérale préconise le principe énoncé par Montesquieu de la séparation des pouvoirs, ses promoteurs occidentaux ont développé en Afrique le régime présidentialiste qui crée un monarque dit républicain, un monarque qui, juridiquement a plus de pouvoirs que la majorité des rois et empereurs qui ont régné dans les régions ouest-africaines, pendant la période précoloniale ».
Le projet de loi constitutionnelle vendue, comme on peut le lire dans le Communiqué du Conseil des ministres, dans les emballages de la Charte de Kuru Kan Fuga ou Charte du Mandé adopté en 1236, ne prend en compte que les seules propositions qui arrangent la petite élite comme d’habitude. Le Communiqué du Conseil des ministres déclare que « le projet de loi adopté confère au Président de la République la responsabilité de déterminer la politique de la Nation et le droit de nommer le Premier ministre et de mettre fin à ses fonctions sans qu’il soit nécessaire que celui-ci lui présente sa démission ».
Ainsi, par ce subterfuge exhumé pour l’essentiel du Comité Daba DIAWARA lui-même mal inspiré par le « Comité Balladur » français, le projet de loi de révision constitutionnelle transforme en quasi monarque, celui qui est déjà sacré comme un hyper Président par la Constitution de 1992. Comment prétendre consolider la démocratie par la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme ?
Sur cette question, il est évident que le projet de loi constitutionnelle casse le moteur essentiel de l’équilibre institutionnel du régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire actuel que nous vivons. Cette casse consiste à priver le gouvernement de sa prérogative de détermination de la politique de la nation qui est ainsi transférée au Président de la République. Ce qui a comme conséquence de dessiner une nouvelle architecture institutionnelle complètement anachronique dans laquelle le Président de la République, quoique politiquement irresponsable, détermine la politique de la nation que ne fait que conduire le Gouvernement qui demeure toutefois responsable devant l’Assemblée nationale.
En d’autres termes, le gouvernement va devoir répondre devant les députés, d’une politique qu’il n’aurait ni définie, ni déterminée ! On imagine aisément la cacophonie institutionnelle ainsi proposée à notre pays surtout en cas de cohabitation qu’on ne saurait définitivement écarté dans notre vie politique !
La proposition en question fait basculer nos équilibres institutionnels et rend notre Constitution totalement incohérente du fait du décrochage entre pouvoir et responsabilité. Le Président de la République ne doit déterminer la politique de la nation que si sa responsabilité politique est établie.
L’autre versant tout aussi peu démocratique de ce gonflement des pouvoirs présidentiels est constitué du droit qu’on lui confère de mettre fin aux fonctions du Premier ministre sans que celui-ci ne lui présente sa démission. Cette proposition signifie simplement que le Premier ministre, à l’instar des autres membres du gouvernement, ne serait qu’un simple « Secrétaire » ou « collaborateur » du Président de la République comme dans un régime présidentiel.
Un changement de régime politique pour une nouvelle République déguisée ?
On versera simplement au débat que cet étrange montage n’est en réalité qu’une pâle copie d’une proposition faite en France par le « Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République »dénommé « Comité Balladur » commis par le Président français Nicolas Sarkozy en vue de lui soumettre des propositions de réforme constitutionnelle. Au nombre des 77 propositions faites par ce comité dont le rapport a été remis le 29 octobre 2007, figure justement le pouvoir de définition de la politique de la nation par le Président de la République et de conduite de cette politique par le Gouvernement.
Il faut dire que le projet de loi constitutionnelle a été mal inspiré de puiser ce passage du rapport du Comité Balladur que même le Président français, dont la lecture présidentialiste des institutions françaises ne fait pourtant l’ombre d’aucun doute, n’a pas manqué de renvoyer sans ménagement à la poubelle. Il aurait estimé, à juste titre, qu’il ne fallait pas toucher à la répartition des rôles entre le Président de la République, le Premier ministre et le gouvernement, au risque de changer la nature même du régime politique français.
Une proposition renvoyée à la poubelle pour risque de changement de nature du régime politique français, peut-elle être ainsi reconditionnée au Mali tout en laissant intact la nature de son régime politique comme le prétend le Communiqué du Conseil des ministres ?
Ce n’est d’ailleurs pas fortuit si ce communiqué se précipite pour annoncer que « le projet de loi n’entraine pas un changement de République » comme si les Maliens n’étaient pas capables de discernement. C’est certainement parce que ce risque paraît évident que le gouvernement tente ainsi de les abuser. Car au fond, pourquoi s’engager dans ce tripatouillage inutile si l’objectif recherché n’est pas de conforter le Président de la République dans un cadre constitutionnel présidentiel ou présidentialiste ?
En quoi les articles 38 et 53 de la Constitution gênent-ils ? L’on sait bien que le président n’est pas totalement extérieur au gouvernement. Faut-il rappeler que c’est lui qui préside le conseil des ministres, organe au sein duquel, selon la Constitution, sont prises les décisions les plus importantes. L’article 53 en précisant que le « Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation » n’admet-il pas implicitement que le Président de la République puisse imposer ses vues en Conseil des ministres ou même prendre des décisions sous la responsabilité du gouvernement. N’est-ce pas également le Président qui signe les ordonnances ainsi que les décrets délibérés en Conseil des ministres ?
Au regard de toutes ces considérations, le gouvernement ne peut être pris au sérieux quand il affirme que « le projet de loi n’entraine pas un changement de République ».Inconsciemment ou non, cette proposition est consubstantielle de l’idée que l’exécutif doit procéder du Président de la République et que le gouvernement doit s’apparenter nécessairement à un cabinet présidentiel. Elle ouvre forcément et grandement la voie royale à une forme présidentielle voire présidentialiste du régime politique qui s’écarte du texte et de l’esprit de la Constitution du 25 février 1992. Un simple pouvoir de révision constitutionnelle donne-t-il droit à un tel bouleversement politique ?
Dr Brahima FOMBA
Chargé de Cours à Université des Sciences
Juridiques et Politiques de Bamako (Usjp)
(L’Aube 880 du jeudi 30 mars 2017)
Source: L’Aube