Le monde musulman malien et ses animateurs associatifs n’ont jamais été aussi démystifiés que depuis l’avènement d’un département ministériel dédié à leur confort, en récompense manifestement de leur très précieuse partition dans la consécration d’IBK à la magistrature suprême. Sans être forcément la cause des bourrasques qui traversent constamment le culte dominant au Mali, cette institutionnalisation de la question religieuse aura quand même si peu contribué dans l’organisation de ce milieu qu’elle ne put lui épargner d’être rattrapé par ses propres turpitudes. La trop grande attention et la part belle accordées à l’élite islamique par le pouvoir d’IBK en ont ainsi fait un enjeu à cristalliser les hostilités entre tendances rivales de la faîtière islamique malienne. En atteste pour le moins l’atmosphère incendiaires ayant émaillé les dernières assises du HCIM et que le chef de l’Etat en personne n’a réussi à étouffer qu’au prix d’une reconnaissance sans fioriture des connivences entre le pouvoir politique et le culte musulman. «C’est à vous que je dois le fauteuil que j’occupe», leur avait-il lancé à l’issue desdites assises, en vue d’arracher un compromis entre courants opposés sur la composition de l’instance dirigeante de la faîtière.
Cette transgression des barrières entre pouvoir et culte a pu engendrer au moins un corollaire fâcheux : une bataille de positionnement au portillon du régime que les plus hautes autorités ont tenté de contenir par une relative équidistance vis-à-vis des tendances. Seulement voilà : la distribution de faveurs et attributs aux principaux leaders religieux n’a fait qu’aiguiser leur tentation à disputer leur vocation et utilité publique aux acteurs politiques. Ce faisant, des religieux jouissant jusque-là des égards et d’enviable notoriété publics en sont de plus en plus réduits à partager le même sort que les hommes publics ordinaires. A force de franchir les platebandes de ces derniers et de s’y complaire, d’occuper la moindre parcelle de tribune publique, leur respectabilité a progressivement cédé la place à la banalisation et à la démystification de personnages qui, hier encore, profitait de la candeur des concitoyens pour faire passer le moindre petit gadget pour une pierre précieuse, transformer la moindre décoction en panacée miracle que les preneurs s’arrachent comme des petits pains.
Résultat : on en est aujourd’hui à mille lieues de cette déferlante religieuse contre le Code de la Famille, qui fit trembler en son temps l’élite politique et tout le gotha démocratique et républicain du pays.
Avec un premier assassinat déjà consommé dans les rangs de leaders religieux et d’autres menaces d’assassinats évitées de justesse, la peur, la psychose et la terreur ont visiblement changé de camp. A un point tel que la fréquentation des mosquées tend à devenir problématique à certaines heures de prière en plusieurs quartiers. Le bien censé être commun, religion en l’occurrence, en prend ainsi un sérieux coup sans que la solidarité entre croyants ne lui vienne au secours. Et pour cause, les divisions et les incompatibilités sur fond d’intérêts extra-confessionnels sont passés par là et s’expriment par des passes d’armes et des tirs croisés d’une intensité inédite que s’envoient des leaders musulmans par personnes interposés. Des figures très vénérées sont ainsi désacralisées et présentées dans les réseaux sociaux sous des facettes les plus perverses, tandis qu’ailleurs, dans certaines mosquées, la communion des fidèles est honteusement éprouvée par les apparentements claniques. C’est le cas de ce lieu de culte de la capitale où un malencontreux spectacle pugilistique a révélé les divergences religieux sous des traits beaucoup moins élogieux que les tribulations du monde politique. L’inimitié semble du reste beaucoup plus bestiale qu’entre acteurs politiques, mais à l’instar desquels les divergences reposent moins sur les croyances partagées que sur les intérêts et ambitions propres.
Toutefois, les répercussions paraissent bien plus fâcheuses en religion qu’en politique, car rien ne peut combler la perte définitive des repères qu’une telle dérive préfigure.
Il n’est par exemple pas envisageable de réconcilier un pays où les ultimes recours de la réconciliation nationale sont eux-mêmes irréconciliables.
A. KEÏTA
Source: Le Témoin