Et pourtant, les autorités maliennes et françaises ont été formelles au moment des faits : Amadou Koufa a été bel et bien tué. Et chacun de son côté a officialisé l’annonce précisant que c’était suite à une opération coordonnée le 23 novembre 2018. La récente vidéo attestant du contraire n’a que le mérite de susciter un vieux débat à propos du «revenant». Seulement que des détails et non des moindres viennent-là heurter les convictions. Il parait que le diable se cache justement dans les détails.
Dans son communiqué à elle, l’Armée française a en effet annoncé au moment des faits, avoir mené une opération dans le centre du Mali ayant permis la«mise hors de combat d’une trentaine de terroristes». La ministre française des Armées Florence Parly a, à l’occasion, salué «une action d’ampleur, complexe et audacieuse qui a permis de neutraliser un important détachement terroriste au sein duquel se trouvait probablement l’un des principaux adjoints de Iyad ag Ghali, Amadou Koufa, chef de la katiba Macina». Dans la même veine et devant le parlement français, la Ministre a confirmé ses déclarations.
A la suite de la Ministre française, le Premier Ministre Malien laissa entendre que le chef djihadiste en question, «cible prioritaire de l’opération lancée dans la nuit du jeudi 22 au vendredi 23 novembre par les forces spéciales françaises, est mort des suites de ses blessures dans la forêt de Wagadou où il avait été transporté par les siens».
Pour sa part, le sous-chef d’État-major (des) opérations à l’EMGA (état-major général des armées maliennes), a également confirmé «la mort du jihadiste Amadou Koufa dans la forêt de Wagadou», précisant qu’il avait succombé à ses blessures.
Maliens Français firent réconfortés dans leur intime conviction par deux éléments de «preuve» provenant par la suite du cercle jihadiste : les deux épouses du présumé défunt ont effectué leur période de veuvage conformément à la tradition musulmane et le successeur du défunt fut désigné, un nommé Hamidou Issa dit «Ougouba» pour mener à bien les affaires de la Katiba.
Mais voilà aujourd’hui qu’apparait une vidéo montrant tout le contraire et dans laquelle le chef de la katiba en question, dément lui-même sa propre mort. La vidéo a été diffusée par la chaîne d’informations France 24 le jeudi 28 Février dernier.
Dans le document visuel d’une durée de 19 minutes et 23 secondes, le chef jihadiste face à deux personnes qui le questionnent en arabe et en anglais. Une vidéo de propagande, dit-on. Le défunt aurait-il ressuscité ?
Pas mort selon le chef d’AQMI
Faut-il le rappeler ? Presque deux semaines après l’annonce de sa mort, le chef d’AQMI, Abdelmalek Droudkel a, dans un enregistrement audio de 28 minutes et 42 secondes et relayé par un grand nombre de médias et de réseaux sociaux, démenti la mort du leader de la katiba du Macina. C’était le mardi 11 décembre 2018.
Dans le document sonore, Abou Mosab Abdel-Wadoud alias Abdel MalickDroudkel dément en effet l’information relative à la mort de Koufa affirmant que ce dernier n’était même pas sur place lors du raid intervenu dans la nuit du 22 au 23 novembre, dans la région de Mopti, près de la localité de Farimaké. Notez bien !
A ses dires, ce sont 16 et non 35 de ses combattants comme affirmé par Florence Parly devant le parlement français, qui ont ainsi péri.
Et comme pour appuyer cette déclaration, le chef d’AQMI, reconnait pour la première fois la mort de Mansour AG AL Kassoum, chef de la katiba du Gourma, tué avec 6 autres combattants suite à un raid menée par Barkhane, le 12 novembre 2018dans la zone de Tibokamatine à Arbanda, dans le Gourma. Mais par rapport à Amadou Koufa, il était resté formel : il n’est pas mort, en tout cas, lors du raid dans la nuit du 22 au 23 novembre 2018 !
Des zones d’ombre
De l’avis du Premier Ministre malien et du sous-chef d’État-major des opérations à l’EMGA (état-major général des armées maliennes),Koufa est bien est mort des suites de ses blessures dans la forêt de Ouagadou où il avait été transporté par les siens depuis le site du raid, sans trop de précision.
Signalons que le Ouagadou où le blessé aurait été transporté, abrite une forêt dont il tire son nom et qui s’étend de Nara à Banamba dans la région de Koulikoro et une petite partie du Delta central du Niger. Preuve de l’appartenancedu Ouagadou à la 2ème région du pays (Koulikoro), une localité porte justement le nom «Ouagadou» située à l’orée de ladite forêt.
Quelques jours avant l’annonce de la mort de Koufa, le Ministre malien de la défense, a annoncé dans un communiqué, que cette zone (le Ouagadou), ou du moins, une partie, avait été nettoyée par les FAMAS.
Voici un extrait dudit communiqué : «Les Forces Armées Maliennes (FAMA) ont mené une opération de reconnaissance offensive, les 15 et 16 novembre 2018, dans la forêt de Wagadou… Au cours de cette opération, une base terroriste a été détruite ; une dizaine de terroristes ont été neutralisés […] Les FAMA ont récupéré 2 pickups équipés, cinq motos, du matériel téléphonique, des armes collectives et individuelles et munitions, des produits et matériels destinés à la fabrication d’engins explosifs improvisés (EEI). Les FAMA ne déplorent ni blessé ni aucune perte».
C’est donc ici (Forêt du Ouagadou) que les combattants Jihadistes sont censés avoir amené les blessés dont Amadou à la faveur du raid franco-malien à Farimaké. Dire qu’ils n’ont trouvé endroit plus approprié que cette zone à la frontière Mauritanie et où en outre, la force G5 Sahel se trouve en pleine installation. Enfin… Surprenant !
Mais où donc a lieu le raid franco-malien dans la nuit du 22 au 23 Novembre et à l’origine de la blessure qui aurait été fatale à Koufa ?
Malien et français parlent du «Centre du pays» sans trop de précision. La Ministre Française donne cependant un indice en parlant d’une «trentaine de terroristes tués». Ce qui permet de conclure qu’il s’agit de la localité de Farimaké dont parle Abdel MalickDroudkel le chef d’AQMI, qui dément le chiffre (35) en le ramenant à 16.
La guerre des chiffres permet en tout état de cause de faire l’unanimité autour du théâtre des opérations, à savoir la localité de Farimaké. Farimaké est une commune ducercle de Youwaroudans la région de Mopti (5ème) au contraire du Wagadou localisé en 2ème région.
En clair, aucune attaque n’a été menée du 22 au 23 Novembre dans le Ouagadouet à l’origine de la présumée mort de Koufa. Ici, le Ministre malien de la défense a plutôt annoncé la date des 15 et 16 novembre 2018, soit une semaine avant le fameux raid franco-Malien. C’est à cette date (15 et 16 novembre 2018 2018), que les FAMAS seules et non avec BARKHANE, ont mené-là une expédition avec le bilan plutôt élogieux que l’on sait. Et presqu’au même moment, le 12 novembre 2018, Barkhane menait elle-aussi une expédition dans le Gourma plus précisément dans la zone de Tibokamatine à Arbanda.
Il faudra donc accorder du crédit aux déclarations du chef d’AQMI (Droudkel) lorsqu’il affirme que Koufa n’était pas présent à Farimaké lors du raid à l’origine de sa présumée blessure suivie de mort. Mais si pas à Farimaké, encore moins dans le Ouagadou et dans le Gourma, où était-il donc ?
Mort et enterré depuis plus de trois ans ?
Elles sont désormais nombreuses les sources très sérieuses qui prétendent que les os de Koufa sont depuis très longtemps blanchis quelque part entre le Gourma et le Sahel. L’homme, le véritable et authentique Koufa, aurait été tué lors d’un bombardement de l’Armée française. Certains parlent justement des toutes premières interventions de SERVAL. Tout, en tout cas, peut s’expliquer.
Le deuil des épouses ? Dans la tradition musulmane, le deuil est porté seulement après la certitude de l’absence de vie. Ce n’est pas systématique. Une femme peut ainsi porter le deuil de son époux 10 ans après la mort effective de celui-ci.
Et le démenti de Droudkel ? Signalons qu’il est arrivé presque 20 jours après les communiqués français et Maliens annonçant le décès (23 Novembre – 11 Décembre). Pourquoi donc Droudkel a attendu tout ce temps ?
Enfin, qui est cet «imposteur» se nommant Amadou Koufa ? Un héritier comme il en a existé des centaines après la mort du tout premier père spirituel, Ossama Ben Laden.
Signalons que dans le cas de Koufa, son présumé successeur, le nommé Hamidou Issa dit «Ougouba» n’a, à ce jour, jamais fait parler de lui au contraire des héritiers qui marquent leur arrivée dans le sang et à grand renfort de publicité macabre.
Bref, s’il n’existe, à l’heure actuelle de preuve formelle de la mort de Koufa à la suite du raid des 22 et 23 Novembre 2019, il n’existe non plus de preuve de sa vie avant cette date. Et pour ne rien arranger de part et d’autre, les images de l’homme avant et après sa «résurrection» présentent des détails quelque peu discutables (lire encadré).
Mais qui diantre a intérêt à «ressusciter» le mort ? Hélas, ils sont très nombreux ceux-là à qui profite le crime ! Il s’agit, en l’occurrence de ceux-là dont la survie est intimement liée aux troubles. Ne l’avez-vous remarqué ? Toutes les périodes d’accalmie et d’espoir de paix au Mali sont ponctuées d’un regain de violence, de faits ou d’opérations préjudiciables au retour à la normale. Evidemment, il serait faux de croire que l’enfer, ce sont uniquement les autres ! Que nenni !
B.S. Diarra
Mort ou pas mort ?
Koufa ou pas Koufa ?
Difficile, à l’heure actuelle, de confirmer ou d’infirmer la mort du Jihadiste. Nul n’a vu le corps. Et même là… Ses proches eux-mêmes semblent être quelque peu perdus dans la confusion. L’individu pouvait être partout à la fois et nulle part : dans le Gourma, le Sahel ou le Ouagadou, et même dans les montagnes des Ifoghas sur invitation d’Iyad Ag Aly. Pas question, en tout cas, pour lui, où qu’il soit de révéler sa position au risque d’être immédiatement pour cible.
Mais de quel Koufa s’agit-il ? Là semble être toute la question. En somme elle (la question) ne doit se résumer à mort ou pas mort (?), mais plutôt à «Koufa ou pas Koufa » ?
Source: La Sentinelle