Appelé en qualité de témoin à la barre du tribunal militaire qui juge 84 personnes pour leur implication supposée dans le putsch manqué de septembre 2015, l’ancien président Jean-Baptiste-Ouédraogo a livré sa version des faits, démentant avoir amendé le coup d’État.
Son témoignage était très attendu. Jean-Baptiste Ouédraogo, éphémère président du Burkina Faso de 1982 à 1983, était entendu comme témoin lundi 11 mars dans le procès du putsch manqué de 2015, qui a fait 14 morts et 270 blessés. Il comparaissait à la barre en raison de son rôle de médiateur au moment des faits, entre la hiérarchie militaire et des éléments de l’ex-régiment de sécurité présidentielle (RSP), fidèles au général Gilbert Diendéré.
À la barre, le témoin a raconté sa version des faits. Lui et Mgr Paul Ouédraogo avaient été conviés par le chef d’état-major général des armées de l’époque pour une réunion de la Commission de réflexion et d’aide à la décision (CRAD) au ministère de la Défense nationale, au sujet de l’arrestation des autorités de la Transition par des éléments du RSP. Durant cette rencontre, a-t-il précisé, le général Diendéré a confirmé cette arrestation et demandé à la hiérarchie militaire de prendre sa part de responsabilité. L’armée s’y opposant, s’ensuivit une longue nuit de tractations infructueuses.
Pour tenter d’étouffer la crise et rétablir les autorités, l’armée avait proposé de faire une déclaration, mais le texte lu par Diendéré devant la CRAD était différent et « ressemblait étrangement à un projet de proclamation de coup d’État », selon le témoin. « J’ai fait observer que la date sur le document [le 16 septembre, ndlr] n’était pas exacte. Nous étions au petit matin du 17 septembre. Après quoi, je n’ai été associé qu’aux pourparlers du 21 septembre », a-t-il expliqué à la cour, démentant avoir amendé le coup d’État prévu.
Au soir du 17 septembre, Gilbert Diendéré avait pris la tête du Conseil national de la démocratie (CND), organe dirigeant des putschistes, avant de rendre le pouvoir face à la pression populaire et à l’armée loyaliste. Le général est accusé d’être l’artisan principal du coup d’État « le plus bête du monde », selon l’expression du président guinéen Alpha Condé.
Contradictions
Depuis l’ouverture du procès en février 2018, le général nie être le commanditaire du putsch, et l’attribue à une action menée par des sous-officiers, parmi lesquels l’adjudant-chef Éloi Badiel, l’adjudant Jean-Florent Nion ou encore le sergent Moussa Nébié, surnommé « Rambo » par ses frères d’armes.
SEUL CELUI QUI SE SENT RESPONSABLE DE CES FAITS PEUT EN ASSUMER LES CONSÉQUENCES ET LIBÉRER BON NOMBRE DE CONSCIENCES
Plusieurs sous-officiers ayant perpétré le coup d’État l’ont cependant désigné comme le chef des putschistes. Interrogé par la justice en juillet dernier, l’adjudant-chef Badiel a ainsi contredit Gilbert Diendéré. « Le 16 septembre 2015, vers 10 heures, le sergent-chef Roger Koussoubé m’a informé que le général [Diendéré, ndlr] avait instruit de procéder à l’arrestation des autorités de la Transition », expliquait-il lors de son audition. Il avait précisé qu’il n’avait pas directement reçu cet ordre du général Diendéré.
La confrontation entre les accusés n’avait pas permis de clarifier cette zone d’ombre. « Qui endosse la responsabilité de ce coup d’État ? Seul celui qui se sent responsable de ces faits peut en assumer les conséquences et libérer bon nombre de consciences », a affirmé lundi Jean-Baptiste Ouédraogo.
L’ex-président a également réfuté la version de Gilbert Diendéré. Dans des déclarations au parquet militaire, le général avait affirmé que Jean-Baptiste Ouédraogo avait amendé le projet de déclaration du CND au petit matin du 17 septembre 2015. Gilbert Diendéré a par ailleurs toujours soutenu qu’après la lecture du projet de déclaration au ministère de la Défense, Jean-Baptiste Ouédraogo avait dit qu’il ne manquait plus que l’instauration d’un couvre-feu et l’expédition des affaires courantes par les secrétaires généraux des ministères pour que cette déclaration soit une proclamation de coup d’État.
À la barre lundi, Jean-Baptiste Ouédraogo a fait part de son étonnement suite aux déclarations du général. « Je sais ce qu’est un coup d’État. Je dirai tout simplement que le général Diendéré a fait un lapsus. Qu’il attribue ces propos à un profane des coups d’État, je peux comprendre, mais pas à quelqu’un comme moi », a expliqué l’ancien médecin militaire, lui-même arrivé à la tête du Burkina par un putsch avant d’être destitué de cette manière.
« Nous étions dans la gueule du loup »
Le général Diendéré avait également pointé du doigt la complicité de la hiérarchie militaire, prouvée, selon lui, par le fait que celle-ci ne l’avait pas arrêté. Une accusation de nouveau rejetée par Jean-Baptiste Ouédraogo. « Qui aurait pu l’arrêter en ce moment ? Nous étions dans la gueule du loup. C’est nous qui aurions pu être arrêtés. On aurait pu nous massacrer », a-t-il affirmé en réponse au parquet militaire.
Son témoignage rejoint les propos de l’ex-chef d’état-major de la gendarmerie, Tuandaba Coulibaly, qui avait soutenu qu’une mitrailleuse montée sur un véhicule avait été placée à l’entrée du bâtiment par les putschistes alors que la hiérarchie militaire tentait d’obtenir l’abandon du coup de force.
Jean-Baptiste Ouédraogo a également déploré une « omerta » et « une loi du silence du RSP », égratignant au passage l’ancien Premier ministre Yacouba Isaac Zida, en exil au Canada. L’ex-président a en effet confirmé à la barre l’existence, au sein de l’armée sous la transition, de deux clans au sein du RSP, celui de Gilbert Diendéré et un autre, fidèle à l’ancien Premier ministre.
Devant les juges, Jean-Baptiste Ouédraogo a évoqué l’existence d’un « cabinet fantôme », dépendant selon lui de Yacouba Isaac Zida. « Les problèmes entre le RSP et Yacouba Isaac Zida viennent de ce cabinet fantôme », a-t-il conclu.
Source : JA