La justice américaine a décidé de faire la lumière sur les relations entre Boeing et les autorités fédérales chargées de certifier ses appareils 737 MAX, après deux accidents qui ont fait 346 morts à moins de cinq mois d’intervalle.
Le 11 mars, soit au lendemain de la tragédie du vol d’Ethiopian Airlines, la justice a assigné au moins une personne impliquée dans le développement du programme 737 MAX à fournir des documents, incluant des lettres, des courriels ou d’autres messages, révèle le Wall Street Journal, qui cite des sources proches du dossier.
Face à l’ampleur de la crise de confiance, le PDG du constructeur aéronautique, Dennis Muilenburg, a publié un long message écrit et en vidéo lundi soir pour réaffirmer que “la sécurité (était) au coeur de qui nous sommes chez Boeing; assurer des vols sûrs et fiables sur nos appareils est une valeur bien établie et un engagement envers tout le monde”.
L’affaire “prend un tour entièrement nouveau avec l’enquête criminelle”, a réagi Scott Hamilton, expert aéronautique chez Leeham Company. “Contrairement à la France où les enquêtes criminelles sont habituelles quand il y a un accident d’avion, c’est très, très rare aux Etats-Unis”, souligne-t-il, se souvenant d’un seul précédent, celui de ValuJet. Le 11 mai 1996, l’accident d’un DC-9 de cette compagnie en Floride avait fait 110 morts.
Parallèlement, le département américain des Transports mène une enquête sur le processus d’approbation par le régulateur du transport aérien (FAA) des 737 MAX, a également dévoilé le WSJ dimanche. Il se penche en particulier sur le système de stabilisation de l’avion destiné à éviter le décrochage, dit “MCAS” (Maneuvering Characteristics Augmentation System).
Un 737 MAX 8 d’Ethiopian Airlines s’est écrasé le 10 mars au sud-est d’Addis-Abeba, faisant 157 morts, tandis qu’un 737 MAX 8 de Lion Air s’était abîmé en mer de Java fin octobre, faisant 189 victimes.
Si les causes exactes de l’enquête ne seront pas connues avant plusieurs mois, les autorités éthiopiennes comme le Bureau français d’enquêtes et d’analyses (BEA), qui a décrypté les boîtes noires de l’appareil, ont noté des similitudes entre les deux catastrophes.
Elles ont conduit les autorités aériennes du monde entier à interdire provisoirement de vol la flotte des 737 MAX, une décision inédite pour un avion entré en service il y a moins de deux ans.
– Auto-certification ? –
Interrogée lundi, la FAA n’a fait aucun commentaire sur les enquêtes en cours, se bornant à affirmer que la certification du MAX, version remotorisée du best-seller de Boeing, le 737, s’était déroulée conformément à la règlementation.
Boeing a affirmé la même chose.
Selon lui, la FAA “a examiné la configuration finale et les paramètres d’exploitation du système MCAS lors de la certification du Boeing 737 MAX, et conclu que ce système répondait à toutes les exigences réglementaires et de certification applicables”.
Des documents disponibles sur le site de la FAA montrent que le 737 MAX a été certifié comme une variante du 737 NG, son prédécesseur. Autrement dit, il n’a pas été inspecté dans son intégralité, la FAA estimant qu’il n’était pas nécessaire d’examiner certains systèmes. Ceci n’est pas inhabituel dans l’aéronautique s’agissant d’un avion qui n’est pas entièrement nouveau.
Plus gênant, selon des sources concordantes, le régulateur, confronté à des coupes budgétaires et manquant d’expertise, a délégué à des employés de Boeing la certification du MCAS.
Or ce système a, lui, été spécialement conçu pour le 737 MAX pour compenser le fait que ce nouvel aéronef dispose de moteurs plus lourds que ceux équipant le 737 NG et qu’il présentait, de ce fait, un risque plus élevé de décrochage.
Lundi, la FAA a indiqué à l’AFP avoir déjà approuvé le correctif de certains systèmes dont le MCAS que Boeing est en train de développer.
Elle n’était en revanche pas en mesure de dire ce qui avait été fait entre l’accident de Lion Air et celui d’Ethiopian Airlines.
Selon un expert aéronautique ayant requis l’anonymat, les modifications étaient prêtes dès la fin de l’année, mais la fermeture partielle des administrations fédérales américaines (shutdown) en décembre et janvier aurait retardé leur approbation et leur installation sur les avions.
Peter DeFazio, le président de la commission parlementaire des Transports à la Chambre des représentants, envisage, lui, de lancer une enquête sur la certification du 737 MAX, selon des sources parlementaires, ajoutant que des auditions publiques de responsables de la FAA ne sont pas exclues.
AFP