Le Mali se trouve-t-il au bord du gouffre ? Jusqu’où ira le mécontentement populaire qui gagne actuellement tout le pays ? Le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta a-t-il atteint ses limites, toutes ses limites ? Après le Nord, l’insécurité qui sévit au Centre avec son lot de victimes épargnera-t-elle le reste du pays ? Que dire du front social dont la détérioration se manifeste par des grèves et des manifestations de plusieurs organisations de la société civile ? Autant de questions qui sont sur toutes les lèvres. Au-delà, notre pays est aujourd’hui confronté à une crise financière et économique sans précédent. Conséquence ? Six mois après la tenue d’une élection présidentielle fortement contestée, le Mali se trouve à la croisée des chemins.
Le Mali va mal. Le pays est atteint dans tous les segments susceptibles d’impulser son développement économique. La situation d’ensemble du pays offre l’image d’un Mali en proie à une insécurité chronique, une économie sous perfusion, un climat social tendu. En effet, à la crise politique née des contestations de l’élection présidentielle de juillet 2018, s’est greffée une autre, celle qui touche la très grande majorité des maliens, la crise socio-sécuritaire. Nombreux sont les citoyens qui n’ont pas les trois repas quotidiens.
Le Premier ministre, Soumeylou B Maïga, rassure et avait même promis la tenue d’une grande Conférence sociale pour revoir les salaires et autres primes, sans convaincre. Le ministre des Finances, qui détient le cordon de la bourse, apaise en parlant juste de tension de trésorerie et non de crise. Au même moment, les commerçants, dans leur grande majorité, mettent la clé sous le paillasson faute de clients. Les travailleurs des différents secteurs débraillent ou s’appétèrent à le faire pour réclamer une amélioration de leurs conditions de vie.
L’insécurité ? Elle s’est accrue au Nord et au Centre, et n’a pas reculé d’un iota. En effet, au-delà des régions du Nord qui sont sous le contrôle ou la menace constante des groupes armés dont la CMA (signataire de l’accord de paix), terroristes et djihadistes. Ceux-ci ont étendu leurs tentacules jusqu’au Centre et au Sud du pays en instaurant une insécurité chronique dans les régions de Ségou, Mopti, Koulikoro.
Attaques, attentats et attentats-suicides, pose de mines antichar et antipersonnel, braquages, enlèvements d’animaux, assassinats et autres formes de violences constituent le lot quotidien des populations. Encore le dimanche 17 mars 2019, plusieurs militaires (au moins une vingtaine) ont été tués dans une attaque contre le camp de Dioura (Mopti). Quelques jours auparavant, le 12 mars dernier, ce sont 7 soldats qui perdaient la vie dans l’explosion de leur véhicule sur une mine à Dialoubé. Deux soldats français de Barkhane avaient été grièvement blessés quelques jours plus tôt dans un campement temporaire près de la frontière du Niger. Malgré la Minusma, une forte présence militaire française et la création de la force régionale du G5-Sahel, les violences djihadistes persistent dans le pays, avec 237 attaques recensées en 2018, selon l’ONU.
Les populations civiles ne sont pas non plus épargnées par cette spirale meurtrière. Aussi, le Centre (la région de Mopti et une partie de Ségou) est devenu la zone névralgique de l’insécurité au Mali. Plus qu’au Nord, la situation sécuritaire dans cette zone du pays est telle que l’Etat n’y exerce quasiment plus son autorité, laissant de pauvres citoyens à la merci des bandits armés, milices et autres djihadistes.
De 2013 à nos jours, la violence est montée crescendo. Il ne se passe pratiquement plus de jour sans que de pauvres populations civiles, précisément la communauté peulhe, ne soient tués ou assassinés. Les drames se suivent dans une relative indifférence des autorités : le charnier de Doungoura : 25 cadavres au fond d’un puits. Le carnage de Maleimana : 50 morts, Ké-Macina : 42 morts, 32 victimes à Koumaga… Même Bamako n’est pas épargné. La capitale, elle aussi, est en proie à une insécurité galopante. Crimes crapuleux, attaques et braquages deviennent le lot quotidien des populations de la capitale. Les récentes affaires qui ont ébranlés Bamako en sont l’illustration parfaite (assassinat Abdoul Aziz Yattabaré, Imam et directeur de l’institut islamique de Missira, du meurtre du commerçant au grand marché, Kalilou Coulibaly…).
L’économie à vau-l’eau !
Tous les voyants économiques et financiers sont au rouge. Le malaise social est général entraînant une vive tension, aggravée par la flambée des prix des denrées de première nécessité, qui sont, de plus en plus, hors de la portée du citoyen moyen avec comme conséquence immédiate la misère. Cette conjonction de facteurs a pour corollaire l’augmentation de la pauvreté.
« Aujourd’hui, c’est dur ! Il faut se priver !». Ce cri de détresse est d’un chauffeur de taxi, qui ne sait plus à quel saint se vouer. Même les fonctionnaires de l’Etat, censés sentir moins les effets drastiques de ce marasme économique, crient leurs désarrois. La majorité d’entre eux étant confinés dans une situation qui se caractérise par des salaires particulièrement bas. Un haut responsable déclare : « La vie dans ce Mali devient intenable pour les chefs de famille ».
Selon lui, il faut avoir les nerfs solides pour joindre les deux bouts. A la moindre des choses, dit-il, on pète les plombs. Parlant des raisons de cette paupérisation généralisée, il indique que «les dirigeants actuels ont tourné le dos au peuple ». En clair, les princes du jour ont fait du « Mali un gros gâteau », destiné à leurs parents, proches et laudateurs.
En définitive, les conditions de vie des Maliens se dégradent de jour en jour. Concernant cette précarité, un commerçant s’exprime: « Les Maliens vivent aujourd’hui un véritable calvaire. En plus de la pauvreté, on est exposé à une insécurité grandissante. Au grand marché, certains commerçants ont fermé leur boutique. Pour écouler un produit d’une valeur de 50 000 F CFA, il faut parfois plus d’une semaine ».
Les conséquences de cette situation paupérisation générale sont notoires : conflits sociaux, déstabilisation des foyers, banditisme, déperdition des enfants ». Sans commentaire ! « Je vends des accessoires pour les voitures, dit Mohamed Dembélé. Mais en ce moment je ne vends rien. On passe la journée à attendre les clients… ». Certains commerçants de ce marché nous ont affirmé que la nuit, ils font le gardiennage pour pouvoir subvenir aux besoins de la famille.
Au même moment, beaucoup d’entreprises ont été obligées de mettre leurs agents au chômage technique, ainsi des populations sont privées de leurs revenus. Pour tous, les difficultés s’accumulent.
Et pourtant, le gouvernement a toujours vanté les performances de notre économie, qui est la 3ème de la zone UEMOA, avec son corollaire de 5 % de croissance. Donc la crise de trésorerie, qui est une réalité indéniable, ne pourrait résulter que de la mal gouvernance et non d’un manque de ressources financières.
De 2013 à nos jours, le président et son gouvernement ont essuyé de sévères critiques relatives à la mauvaise gestion des ressources publiques. L’opposition politique, des associations et même le Fonds monétaire international (FMI) ont mis le doigt sur plusieurs scandales de surfacturation et de corruption. Ces scandales largement connus n’ont, jusqu’ici, fait l’objet d’aucune sanction.
Budget de présidence en constante augmentation, pléthore de ministres et de responsables (ayant rang de ministre) avec leur coût exorbitant pour l’Etat, frais divers de l’Assemblée nationale, incessants voyages présidentiels à l’étranger, frais de bouche à Koulouba… Le trésor public malien ploie sous le coût des dépenses liées à l’entretien des princes du jour.
Le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta mène un train de vie monarchique. Ajoutez-y les attitudes de mégalomanie de certains tenants du pouvoir et leurs affidés, on peut bien comprendre pourquoi le tiers, voire la moitié du budget du Mali peut être dilapidé dans la prise en charge de la classe dirigeante. La réduction du train de vie de l’Etat, chanté depuis l’accession d’IBK au pouvoir, n’est en réalité que vain mot.
Alors qu’on demande aux Maliens de se serrer la ceinture, les cabinets ministériels s’offrent des augmentations faramineuses. Le gouvernement ne connaît pas la crise, dit-on. Des missions sont parfois organisées pour permettre juste au ministre et sa suite pléthorique d’empocher des perdiems…
Pour soigner ce mal qui est en passe de se cancériser et dont les manifestations premières sont le népotisme, le clientélisme et la corruption, il faut des mesures fortes. Comme, entre autres, la lutte implacable contre la corruption et la promotion des cadres compétents.
Front social : la colère des syndicats
Sur le plan social, les manifestations et grèves se sont intensifiées. L’Union Nationale des Travailleurs du Mali (UNTM) a observé une grève de 72 heures, du 9 au 11 janvier 2019. Cela fait plus de 100 jours que les cheminots maliens observent une grève de la faim. Les travailleurs du chemin de fer réclament 10 mois de salaires impayés. Par faute de moyens financiers pour se soigner, plusieurs travailleurs des rails sont décédés.
Depuis plusieurs mois, les syndicats de l’éducation signataires du 15 Octobre 2016 paralysent l’éducation malienne. Les enseignants reprochent au gouvernement de ne pas faire de propositions par rapport à leur cahier de doléances…
La dernière grève de 12 jours de la Coordination des comités syndicaux des DAF, des CPS, des DRH et des DFM de la Primature et des départements ministériels a pris fin le mois dernier. La principale exigence de la Coordination est la relecture du Décret N°2018-0541/P-RM du 05 juillet 2018 (sélectif), accordant des avantages à certains, afin qu’il soit en intégralité élargi à l’ensemble du personnel des services cités haut.
Les médecins affiliés au Syndicat des médecins du Mali (SYMEMA) à l’Hôpital du Mali ont observé un arrêt de travail de 48 heures, les 14 et 15 mars 2019. Ils réclament le paiement de leurs primes de «bi-appartenants». En absence de satisfaction, une autre grève de 72 heures s’en suivra du 25 au 27 mars prochains et ensuite une grève illimitée à partir du 03 avril 2019. Avec 20 mois d’indemnités impayées aux 28 médecins de l’Hôpital du Mali, le Collectif des bi-appartenant et l’ensemble des médecins concernés ne demandent qu’à être mis dans leurs droits.
Aussi, les blouses blanches manifestent leur colère. Le Comité syndical de l’hôpital Gabriel Touré a déposé, le 4 mars dernier, un préavis de grève de 48 heures (27 et 28 mars prochains). Les doléances, portent sur 13 points regroupés en trois axes prioritaires.
Ça grogne aussi au niveau de la Caisse malienne de sécurité sociale. Là, le syndicat projette une grève de 120 heures à partir du 25 mars prochain. Les syndicalistes dénoncent l’interférence de l’administration dans les affaires syndicales. Aussi, se plaignent-ils, de : « l’imposition du secrétaire général sortant, non moins chef de protocole de la directrice de ladite administration comme représentant du personnel en violations des décisions de l’instance suprême qu’est le congrès ».
Même colère sociale au niveau du ministère des Affaires étrangères et de la coopération. Après avoir déposé un préavis de grève le 12 mars 2019, les travailleurs ont observés, le lundi 18 mars 2019, une grève de 3 jours (du 18 au 20 mars 2019). Selon les responsables du bureau central du Syndicat libre des Travailleurs des Affaires étrangères (SYLTAE) syndicaux, cette grève intervient suite au manque de volonté des autorités de tenir les engagements qu’ils ont pris en juillet 2017. En effet, le gouvernement s’était engagé à faire examiner les différents textes en l’occurrence, le projet de Statut du Corps diplomatique de la République du Mali et le Décret fixant la valeur du point d’indice du personnel occupant certains emplois dans les Missions diplomatiques et Consulaires, en corrigeant les inégalités salariales criardes entre la zone du francs CFA et les autres zones.
Autre mouvement de grève ? Le Syndicat des Travailleurs des Collectivités Territoriales (SYNTRACT) a décrété du 16 au 19 mars 2019 un mouvement pour protester contre le non payement des travailleurs dont certains accusent des retards de salaire de plus de 35 mois dans certaines localités du pays.
Face à un tel tableau, extrêmement sombre, les Maliens de tous les bords donnent l’impression de croiser les bras et de laisser le destin suivre son cours en gardant un silence face à la déliquescence de l’Etat.
Mémé Sanogo
L’Aube