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Au Mali, avec les rescapés du massacre d’Ogossagou

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Le centre du pays dans la tourmente (1/6). A l’hôpital de Mopti, les blessés tentent de revenir à la vie, tandis que des milliers de déplacés ont fui vers cette ville par peur de nouvelles attaques.

Allongé sur un lit, à l’hôpital de Mopti, Ali* ne peut plus bouger. Est-il mort ou vivant ? Seule la perfusion indique que cet adolescent est encore en vie. Handicapé mental, il n’a pas été épargné pour autant, le 23 mars, lors de l’attaque du village d’Ogossagou, où au moins 157 personnes ont été tuées selon les autorités, plus de 160 selon les humanitaires. « Il s’est pris une balle qui a traversé sa tête », chuchote un médecin. Comme Ali, 42 autres blessés, rescapés de cette attaque sans précédent, sont soignés dans cet hôpital du centre du Mali.

Selon la direction, aucun pronostic vital n’était plus engagé ce 28 mars. Mais les corps sont abîmés et les esprits marqués. Dans la salle de déchoquage des urgences, Ramata Bocoum* prend soin du seul enfant qui lui reste : Aïssata*, 15 ans, le regard apeuré, une sonde sortant de son entrejambe et une balle dans le pied. Ses quatre frères, eux, ont été tués devant leur mère le 23 mars. « Je suis sortie de ma case. Les assaillants ont attrapé mes garçons. Ils ont tiré sur les deux grands et ont égorgé les deux petits », explique-t-elle, entre colère et chagrin.

A quelques mètres de là, devant les salles des rescapés d’Ogossagou, Abdoulaye Dicko* essaie de garder l’espoir. Une semaine a passé depuis l’attaque. Il n’a toujours pas de nouvelle de sa femme et de son fils. « J’espère que ma famille va bien. Je crois que oui. Si c’était le contraire, j’aurais eu un coup de fil pour me le dire », se convint-il. La dernière fois qu’il les a vus, sa femme et son fils étaient encerclés de flammes, dans une des nombreuses cases incendiées à l’aide de bidons d’essence par les centaines d’assaillants venus ce jour-là à Ogossagou.

Près de 600 morts depuis mars 2018

Peut-être ont-ils réussi à sortir, comme son ami Moctar Diallo*, assis à sa droite, dont les mains, brûlées, attestent du combat contre les flammes. C’est ce qu’espère M. Dicko*, qui tient à expliquer pourquoi, ce 23 mars, il n’a pas pu, comme tant d’autres, secourir sa propre famille : « Tous ceux qui ont cherché à secourir leurs proches blessés ont reçu des balles. […] Quand les enfants voulaient courir, ils leur tiraient dessus. Ils tuaient tout le monde : les enfants, les femmes ». Son œil gauche, fermé et boursouflé, a été éraflé par une balle.

A l’hôpital de Mopti, dans le centre du Mali, en mars 2019.
A l’hôpital de Mopti, dans le centre du Mali, en mars 2019. Morgane Le Cam

M. Diallo*, lui, a perdu ses trois enfants. « Nous avons pu retrouver un corps, mais pas encore les deux autres », glisse-t-il en regardant ses mains, recouvertes de pansements. Le jour de l’attaque, beaucoup de femmes et d’enfants sont morts brûlés vifs ou asphyxiés par les fumées, à l’intérieur de leur maison. « On est à 157 morts officiellement, mais les autorités locales disent que ça peut aller jusqu’à 200, car certains des corps brûlés sont méconnaissables », raconte un humanitaire, de retour d’Ogossagou.

Depuis mars 2018, ces conflits intercommunautaires ont entraîné la mort de près de 600 personnes au centre du Mali. Des rivalités meurtrières qui opposent des miliciens dogon et peuls sur fond d’antagonisme foncier et qui ont été entretenues et exacerbées par la présence de groupes djihadistes dans la région. Ainsi, la katiba Macina, du prédicateur peul Amadou Koufa, affilié au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), se servit de ces tensions pour recruter des jeunes de la région. Très vite, l’amalgame tendant à assimiler les Peuls à des terroristes se répandit.

Ces conflits, ce n’est pas la première fois que M. Diallo* les fuit. En 2018, il avait déjà dû abandonner son village et avait trouvé refuge à Ogossagou, comme de nombreux autres Peuls de la zone, venus chercher la protection d’un célèbre et riche marabout peul, également tué lors de l’attaque.

Des villages entiers en otage

Ce sont ses voisins dogon qui l’avaient aidé à s’échapper avant que les miliciens de la même ethnie qu’eux n’attaquent les Peuls : « Les Dogon de mon village ne font pas partie de ces groupes-là. Voilà pourquoi ils nous ont aidés », insiste-t-il. Au centre du Mali, les civils, peuls comme dogon, sont victimes de conflits perpétrés par des groupes d’autodéfense armés qu’ils ne soutiennent pas toujours. Ils sont aussi victimes, tous deux, des groupes djihadistes qui prennent des villages entiers en otage quand ils ne les rayent pas de la carte.

« En janvier, les terroristes sont venus dans mon village. Ils ont tiré sur les hommes, volé les animaux et mis le feu à nos greniers et à nos maisons. Tout a été brûlé, il n’y a plus de village », s’inquiète encore Adam Guindo*. Ce vieil homme au regard triste est le seul Dogon parmi les dizaines de Peuls, venus ce 31 mars, bénéficier d’une des distributions du Programme alimentaire mondial (PAM), en périphérie de Mopti. « Il n’y a pas de problèmes entre nous,s’exclame-t-il après avoir récupéré son sac de riz. On est ensemble ici, dans le même problème. On se cherche tous. »

Comme lui, après l’attaque d’Ogossagou, plus de 3 500 habitants du centre du Mali ont déserté la zone pour trouver refuge dans la commune urbaine de Mopti. Depuis mars 2018, dans la région, le nombre de déplacés a été multiplié par 26, passant de 2 151 à plus de 56 000. Ce 2 avril, les bus et les camions, plein de villageois déplacés, continuaient à arriver à Mopti. Tous ont abandonné leur village par peur de vivre le même cauchemar que les habitants d’Ogossagou.

Mais combien sont-ils à être encore coincés chez eux, pris au piège par des groupes armés qui ne laissent, à certains endroits, ni sortir les civils ni entrer les organisations non gouvernementales ? Au centre du Mali, l’accès humanitaire n’a jamais été aussi entravé par des points de contrôle principalement tenus par des miliciens dogon, mais aussi par des miliciens peuls. Après le drame d’Ogossagou, le ministère de la sécurité a promis de désarmer tous ceux qui détiennent illégalement des armes, annonçant une vaste opération militaire en préparation.

« Nous craignons une crise alimentaire »

« Les transporteurs refusent d’aller dans certaines zones pour venir aider les civils à s’échapper. J’ai dû fuir à pied », raconte M. Guindo*. Derrière lui, la distribution de vivres se poursuit. Les rescapés du centre, listés par les autorités locales, défilent devant les salariés du PAM. Une fois leur identité prouvée, un coupon alimentaire de 7 000 francs CFA (10,70 euros) leur est remis – 42 000 francs CFA (64 euros) pour un ménage de six personnes –, leur permettant de récupérer du riz, de l’huile, du sel, du lait et du sucre.

Des familles reçoivent du riz, de l’huile, du sel, du lait et du sucre du Programme alimentaire mondial, à Mopti, en mars 2019.
Des familles reçoivent du riz, de l’huile, du sel, du lait et du sucre du Programme alimentaire mondial, à Mopti, en mars 2019. Morgane Le Cam

En mars, près de 80 300 Maliens ont été assistés par le PAM dans la région de Mopti. Mais quelque 175 000 personnes ont encore aujourd’hui besoin d’assistance, tandis que moins de la moitié des besoins financiers du PAM sont assurés. « Nous craignons une crise alimentaire, alerte Moussa Jean Traoré, chef du bureau du PAM à Mopti. Normalement, les agriculteurs devraient être en train de préparer leurs terres pour pouvoir semer, en attendant les pluies du mois de mai. S’il n’y a pas de sécurité d’ici là, toutes ces personnes ne vont pas pouvoir cultiver cette année. »

Assise sur une chaise, Aminata Bolly* tremble. Cette vieille femme de 71 ans, habitant à quelques centaines de mètres d’Ogossagou, est à bout de force. « J’ai perdu tous mes proches. Ils ont tout brûlé. Je suis seule maintenant, avec ma petite fille. Qu’allons-nous devenir ? », questionne-t-elle, désemparée. Lorsque, ce 23 mars, elle s’est réveillée, elle voyait au loin brûler Ogossagou. « J’ai appelé mon mari. Au moins cent fois. Mais il n’a jamais répondu. J’ai su qu’il était en train de brûler. J’ai retrouvé après une partie de son corps », murmure-t-elle, les poings serrés. A l’évocation du nom du célèbre marabout peul Sékou Barra Issa, brûlé le 23 mars, Mme Bolly* s’effondre, la main sur le cœur. Les larmes coulent et ses lèvres tremblent.

Des respacés dans l’incompréhension

Comme elle, d’autres rescapés assurent avoir donné l’alerte aux autorités. Leur marabout était menacé depuis des mois, tant par les groupes terroristes que par la milice d’autodéfense dogon Dan Na Ambassagou, officiellement dissoute par le gouvernement le 24 mars. « Tout le monde était au courant qu’une menace pesait sur lui. Mais on minimisait. Personne ne pensait à un tel projet », admet une autorité de la région.

Selon le dernier rapport du groupe d’experts indépendants des Nations unies sur le Mali, publié en février, ce cas n’est pas isolé : « Neuf autres attaques ont été perpétrées dans le cercle de Bankass en décembre 2018 et, selon les informations recueillies, bien que la communauté humanitaire ait alerté très tôt le gouvernement, aucune réelle mesure n’a été prise. »

« A chaque fois que les conditions l’exigent, le gouvernement prend des mesures pour apporter des corrections, dans le dessein de voir s’améliorer les choses. Nous saluons le travail des forces armées et de sécurité. Un travail qui n’est pas du tout facile », a déclaré le ministre Amadou Koïta, porte-parole du gouvernement malien, le 29 mars, avant d’assurer que l’attaque d’Ogossagou, « acte ignoble et barbare, ne restera point impunie ».Une enquête a été ouverte pour connaître les auteurs de ce massacre. Les rescapés, eux, restent dans l’incompréhension. Car les forces de sécurité de Bankass sont arrivées dans le village au minimum trois heures après les premières alertes. Leur base n’était pourtant qu’à une quinzaine de kilomètres d’Ogossagou.

Source: lemonde.fr

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