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Le Procureur anti-corruption dans l’affaire Tapily/Président CNPM : “Le président du CNPM n’a fait aucune dénonciation”

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Mahamadou Bandiougou Diawara

Les accusations graves de corruption faites il y a un mois, par le président du CNPM contre celui de la Cour suprême, n’est nullement matière à enquêter au niveau du Pôle économique et financier. Et pour cause, Bandiougou Diawara, le procureur de cette juridiction dit avec explications à l’appui, que Mamadou Sinsy Coulibaly a botté en touche en ayant pas emprunté le chemin qu’il fallait.

La grave accusation de corruption faite le 15 mars dernier, publiquement, au cours d’une conférence par le président du Conseil national du patronat du Mali (CNPM), Mamadou Sinsy Coulibaly, contre le président de la Cour suprême, Nouhoum Tapily, n’est pas appréciée de la même sorte par des profanes en droit que le Procureur de la République près le tribunal de la Commune III chargé du Pôle économique et financier. Bandiougou Diawara, celui-là même qui est chargé de s’attaquer à toute forme de corruption ou de fraude dans notre pays, n’apprécie guère cette accusation portée contre le président de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire de notre pays, de surcroit, 4e institution de la République. Sa réticence n’est pas que c’est un haut magistrat qui est confondu, mais plutôt, la démarche adoptée par celui qui lui a porté l’estocade.

Cette attitude du procureur anti-corruption de n’avoir pas enclenché son droit de saisine est très mal prise par l’opinion publique. Nous sommes allés en sa rencontre pour lui demander son manque de réactivité sur ce que beaucoup considèrent comme une dénonciation majeure qui devait avoir tous ses effets auprès du Pôle économique dont le rôle fondamental est de traquer les délinquants financiers sur simples dénonciations. Cette circonspection de la part de M. Diawara, n’a d’ailleurs pas manqué de provoquer le courroux de ceux qui s’attendaient à des gestes forts de sa part. Est-ce parce que la première autorité judiciaire est sur le gril que la machine judiciaire se grippe automatiquement ? Sommes-nous devant la matérialisation de l’adage de Jean De La Fontaine, selon lequel, ” selon qu’on soit faible ou puissant, les jugements de la Cour vous rendront blanc ou noir” ?

Pour replacer les choses dans leur contexte, lors d’une conférence débat sur le thème de la lutte contre la corruption au Mali regroupant un panel de personnalités dont le président de l’Office central de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite (Oclei), Moumouni Guindo, Mamadou Sinsy Coulibaly avait qualifié M. Tapily de “fonctionnaire le plus corrompu du Mali”. Il avait par la même occasion promis de livrer une chasse aux corrompus en affirmant qu’il y a 1600 fonctionnaires corrompus. Il s’était proposé pour l’occasion, de publier prochainement la liste des 200 plus corrompus parmi eux, en vue de les pousser à la démission.

Il en faut encore plus…

Si pour une certaine opinion mal éclairée des principes de procédure du droit, cette déclaration est plus qu’une dénonciation, pour le procureur anti-corruption, il en faut encore plus. Tout en se gardant de qualifier l’acte de M. Coulibaly, à ses dires, le patron des patrons maliens a fait tout sauf une dénonciation pouvant motiver une enquête contre le président de la Cour suprême, Nouhoum Tapily ou n’importe qui d’autre. Est-ce que le principal concerné est M. Tapily et non un citoyen lambda que le Procureur est resté de marbre ?

“Même un lambda comme vous, je n’allais pas m’autosaisir. Ce n’est pas une question d’autorité ou de qui que ce soit, au contraire, si c’était le cas, je suis enclin de le faire”, a répondu du coup, le procureur Diawara. Et d’enchaîner, “il n’a pas fait de dénonciation. Il a fait une conférence pour dire ce qu’il pense. Est-ce qu’il vous a sorti une seule pièce pour étayer ses propos ? ““C’est comme un membre de la majorité ou de l’opposition qui sort pour dire que tout le monde est corruption dans ce pays. Est-ce que je vais chercher tout le monde ? Sans présager de la véracité de ses propos, je ne peux pas m’occuper de cela”, a-t-il affirmé.

Dans le raisonnement juridique de M. Diawara, Mamadou Sinsy Coulibaly est une autorité constituée, en sa qualité de président du CNPM. En la matière, le Code de procédure pénale en son article 58, est clair et précis. Il évoque à juste titre l’article en question en ces termes : “Toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou autorité de police judiciaire, dans l’exercice de ses fonctions acquerra connaissance de crime ou délit sera tenu d’en donner avis sur le champ au procureur de la République ou au juge de paix à compétence étendue dans le ressort dans lequel le prévenu pourrait être trouvé et de transmettre à ce magistrat tous les procès verbaux, actes qui y sont relatifs. Et toute personne qui aura été témoin d’un attentat soit contre la sureté publique, soit contre la vie ou la sécurité d’un individu sera tenue d’en donner avis au procureur de la République ou au juge de paix à compétence étendue”, a-t-il indiqué. Il a fait comprendre que le mécanisme défini par la loi est très clair et simple en même temps.

Par ailleurs, dans le même registre de dénonciation, il nous a fait comprendre qu’il a déjà poursuivi des magistrats, notaires et avocats dans l’exercice de leurs fonctions. Pour corroborer ses propos au sujet de la loi en question, il dit qu’il est en train d’enquêter sur une présumée malversation à l’Office du Niger (où Me Baber Gano est suspecté d’avoir été rétribué à  près de 400 millions de F CFA dans des conditions douteuses) suite à une dénonciation faite par le syndicat de la structure concernée. “Ce syndicat nous a saisi avec des pièces à l’appui”, a-t-il dit.

Le procureur dit voir la lutte contre la corruption avec tout le sérieux que cela requiert et non une certaine folklorisassion. “A mon avis, il faut rendre sérieuse cette lutte et non la folkloriser. Quand vous avez des éléments sur une infraction, en tant qu’autorité constituée, il faut saisir l’autorité compétente. Quelqu’un qui parvient jusqu’à dire qu’il y a 16 000 fonctionnaires corrompus au Mali dont un tel serait le plus corrompu, cela veut dire qu’il a des éléments probants de ce qu’il avance. Donc il se doit de saisir directement le procureur pour enquête”, a-t-il dit. Toujours selon le procureur, si le Pôle économique devait travailler de cette façon, sa table serait submergée de dossiers et il ne pourrait pas s’en sortir. Il dit ne pas se mêler de cette affaire pour la simple raison que celui qui dénonce sans preuve, la personne ciblée a le droit de porter plainte à son tour pour dénonciation calomnieuse. “Ça devient en ce moment une affaire entre deux sujets de droit. Sinon on voit tous les jours des dénonciations de ce genre sur les réseaux sociaux et autres”, a-t-il expliqué.

Dans le cadre de l’affaire opposant M. Tapily à M. Coulibaly, Bandiougou Diawara s’est dit prêt à lancer sa procédure d’enquête si la dénonciation lui avait été transmise dans les règles de l’art. Il rappelle les dispositions de la loi ” de faire la dénonciation au procureur le plus compétent. Dans le cadre de la corruption, il y a compétence matière qui échoit aux Pôles économiques et financiers de Bamako, Kayes et Mopti”, a-t-il précisé.

Pour le cas spécifique de M. Tapily en sa qualité de magistrat, il a un privilège de juridique qui veut que son affaire, en cas de dénonciation ou plainte, soit instruite par la Cour suprême à travers une section au cas où le procureur de la République près la Cour suprême décide de le poursuivre.

“Mon combat aujourd’hui consiste à enlever les gens dans la lutte folklorique. Vingt ans durant, le Mali n’a fait que ça. Nous en sommes même coupables ici au Pôle, d’avoir orchestré de grandes arrestations de présumés corrompus. Tout s’est finalement terminé en queue de poisson avec des non lieux assortis de paiements de dommages et intérêts par l’Etat”, s’est plaint M. Diawara. Il a fait référence à des inculpations les plus célèbres comme celles de l’ex-PDG de la Sonatam, Moctar Maïga dit Méthiou, de la CMDT, Drissa Kéita, de la Sotelma, Tiémoko Maïga, entre autres. Tous ces cas se sont soldés par des non lieux avec le paiement de dommages et intérêts de l’Etat aux présumés coupables.

Abdrahamane Dicko

Mali Tribune


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