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Tiébilé Dramé, ministre des affaires étrangères du Mali : « Aujourd’hui, l’état du pays nécessite que nous nous mettions ensemble »

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Au Mali, beaucoup sont surpris, voire choqués, par l’entrée au gouvernement de plusieurs figures de l’opposition, qui avaient farouchement combattu le chef de l’État Ibrahim Boubacar Keita lors de la présidentielle de l’an dernier. Le ralliement le plus spectaculaire, c’est celui de Tiébilé Dramé, qui était l’an dernier le directeur de campagne de Soumaïla Cissé, le numéro 1 de l’opposition. Aujourd’hui, Tiébilé Dramé est le nouveau ministre des Affaires étrangères du Mali. De passage à Paris, où il vient d’être reçu par son homologue français Jean-Yves Le Drian, le chef du parti PARENA répond aux questions de RFI.

Tiébilé Dramé : Pas du tout. Ce sont les réalités maliennes qui ont dicté la nécessité que les fils et les filles du pays se retrouvent. Le président Ibrahim Boubacar Keïta, à partir de la mi-février, a lancé un appel à l’ensemble de l’opposition et à toute la classe politique. Soumaïla Cissé, le chef de file de l’opposition, est allé le voir le premier et plusieurs fois. D’autres ont suivi.

Dont vous-même.

Je suis allé le voir à sa demande. D’autres leaders politiques, qui ne sont même pas membres de notre bloc, ont été aussi reçus par le président. Peu à peu, l’idée d’un rassemblement national a fait son chemin. L’idée de l’union sacrée. Le président a dit à ses interlocuteurs : « Le Mali est menacé. Il y a péril sur la Nation, il est important que les enfants du pays… À la suite de ce qu’a dit le vieux roi Guézo d’Abomey… Que les enfants du pays viennent, par leurs mains rassemblées, boucher les trous de la jarre percée ». Et il a parlé de Front national. C’est ainsi que l’idée d’un accord politique a fait son chemin. Et cet accord politique a été initié par l’opposition du FSD [Le Front pour la sauvegarde de la démocratie]. Il a été amendé et finalement nous sommes arrivés au produit qui a été signé le 2 mai. Et ce produit signé le 2 mai contient une feuille de route qui fixe les balises de l’action du gouvernement dans le cadre de l’accord politique. Le premier point, c’est le prochain dialogue politique national inclusif, au cours duquel il n’y aura aucun sujet tabou. Un comité de suivi de l’accord politique sera mis en place. En vérité, avec cet accord politique de gouvernance, le Mali rentre dans une période de réforme dans le consensus.

Donc vous faites le pari que le président Ibrahim Boubacar Keïta a changé. Mais est-ce que vous êtes sûr d’avoir raison ? Est-ce que vous ne risquez pas d’être piégé ?

Pour notre pays, il était important de tenter cela et de se faire confiance. Nous nous sommes combattus…

Farouchement !

Farouchement… Mais aujourd’hui, l’état du pays nécessite que nous nous mettions ensemble. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes tous engagés dans cette dynamique, qui se poursuivra jusqu’au dialogue politique nationale. Je l’espère dans quelques semaines. Dialogue politique, qui verra la participation de toutes les forces politiques et sociales du pays. Même celles qui n’ont pas signé l’accord politique de gouvernance.

Parmi les causes de ce que vous appelez « ce sursaut national », il y a le massacre de quelque 160 villageois peuls. C’était le 23 mars à Ogossagou. Comment en est-on arrivé là, malgré tous les efforts pour réconcilier les communautés du centre du Mali depuis deux ans ? Qu’est-ce qu’il faut faire de plus ?

Il faut faire, de mon point de vue, un dialogue intracommunautaire et un dialogue intercommunautaire. Mais le préalable à cela, c’est qu’il faut faire baisser le niveau de violence. Il faut un engagement accru de la Minusma. Il faut un engagement accru de la force conjointe du G5 Sahel. Il faut l’accompagnement de la force Barkhane pour faire baisser le niveau de violence, afin de permettre au pays de rechercher des solutions, avec les habitants de la région, avec les acteurs de la région.

Ce massacre d’Ogossagou, est-il la conséquence de la perte de contrôle de l’État malien sur les milices ?

Les milices ne peuvent pas avoir droit de cité, dans un État démocratique, dans un État de droit. C’est pourquoi toutes les milices doivent être dissoutes. Nous nous devons de rendre hommage à nos soldats qui, depuis 2012, sont en action !

Mais l’armée malienne ne s’est-elle pas construite autour de gens du Sud qui n’ont pas forcément les capacités d’intervenir au Nord ?

Je peux vous citer le nom de plusieurs officiers supérieurs, originaires du nord du pays, de toutes les communautés. Vous connaissez le général Ag Gamou, vous connaissez le général Mohamed Ould Meydou et bien d’autres, qui sont engagés pour la défense du Mali. Je crois qu’il y a une légende qui n’est pas vraie. Notre armée comporte les segments de toute la nation. Et l’accord de paix d’Alger encourage davantage les acteurs maliens, dans leur ensemble, à créer une armée nationale reconstituée, reflétant la diversité de la nation. Vous savez, l’accord d’Alger est signé depuis quatre ans, maintenant. Il y a encore quelques difficultés. Je pense que, s’il y a une appropriation nationale, une discussion dans le consensus entre toutes les forces vives du pays, nous pourrons avancer très vite.

Depuis la Conférence d’entente nationale d’il y a deux ans, vous avez dit plusieurs fois par voie de presse que vous étiez favorable à une éventuelle négociation avec certains chefs jihadistes. Maintenant que vous êtes dans le gouvernement, est-ce que vous maintenez ces propos ?

Ces questions ne sauraient procéder de décisions ou de positions individuelles ou partisanes. La ligne de l’État malien, c’est qu’il n’y a pas de dialogue envisagé avec ceux dont vous parlez. Je crois qu’il faut s’en tenir à cette ligne de l’État malien et à la ligne qui a été décidée en rapport avec nos voisins, en rapport avec nos partenaires qui nous assistent dans la lutte contre le terrorisme.

Certains disent qu’on ne peut pas discuter avec les grands chefs jihadistes comme Iyad Ag Ghali et Abou Walid al-Sahraoui, mais qu’on peut éventuellement négocier avec des chefs plus locaux, comme le prédicateur Amadou Koufa.

Amadou Koufa et sa katiba Macina font partie du groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Donc, je ne vois pas comment l’on peut faire une différence entre ce chef local – comme vous le dites – et ceux qui dirigent sa coalition. Cette coalition a contribué à verser beaucoup de sang, même trop de sang, ces dernières années.

Dans certains milieux universitaires et militaires en France – je pense, par exemple, au général à la retraite Jean-Bernard Pinatel –, certains disent qu’il faudrait faire évoluer le statut de l’Azawad, pourquoi pas jusqu’à l’indépendance, car les Touarègues ou les Peuls refuseront toujours de se soumettre aux Noirs du Sud.

Je crois qu’il y a beaucoup de faux spécialistes du Sahel et du Mali, qui ont multiplié des déclarations, ces dernières semaines, dans le but évident de préparer l’opinion à la séparation de certaines contrées, du Mali en particulier. Je crois que ces faux spécialistes ne connaissent pas l’histoire de ce vieux pays, quand ils prétendent que les Arabes et les Touarègues n’accepteront jamais d’être dirigés par leurs anciens esclaves du Sud, ou alors que les anciens esclaves du Sud ont un comportement particulier vis-à-vis des Arabes et des Touarègues. En vérité, ils ne connaissent pas l’histoire de ce vieux pays. Les vrais connaisseurs de l’histoire du Mali – les « Malianistes » – ne parlent pas comme ces pseudo-spécialistes du Mali et du Sahel. La réalité est ailleurs. Et ensuite, il ne faut pas oublier que, à Ouagadougou comme à Alger, les acteurs maliens ont apposé leurs signatures sur les principes cardinaux importants que sont l’intégrité du territoire national, l’unité nationale du Mali, la forme laïque et républicaine de l’État. Et nous travaillons activement à créer les conditions de la participation effective de toutes les communautés du Mali à la gestion de leurs affaires, à la libre administration des collectivités, d’ailleurs prévues, déjà, dans notre Constitution de 1992 et réaffirmées dans l’accord d’Alger de 2015. Cela veut dire que ceux qui veulent préparer l’opinion à l’éclatement du Mali, en vérité, perdent leur temps, parce que les Maliens sont tournés, résolument, vers le relèvement de leur pays. Et tous ensemble, ceux du Nord comme ceux du Sud.

C’était il y a quelques jours, à la tribune de l’ONU, et c’était au nom de vos cinq pays du Sahel, le ministre burkinabè des Affaires étrangères Alpha Barry a demandé la création d’une « coalition internationale » antiterroriste, à l’image de ce qui s’est fait en Irak et en Afghanistan. Est-ce que cela vous paraît vraiment possible ?

Alpha Barry est allé à New York pour parler au nom des cinq pays du G5. Et il a raison. Nous avons besoin, au-delà de la force conjointe du G5, d’une mobilisation internationale sous la forme d’une coalition, pour combattre le terrorisme. Parce que la situation se détériore dans la zone Sahel. Parce que le Sahel est un verrou et il est important que, par conséquent, il y ait une mobilisation tous azimuts de tous les pays du monde, comme cela s’est vu quand il s’est agi de l’Irak, quand il s’est agi de l’Afghanistan. Je crois que la vaste bande sahélienne mérite une coalition internationale.

Oui, mais Donald Trump refuse que l’ONU accorde un financement pérenne au G5 Sahel. Est-ce qu’une coalition internationale peut marcher sans les Américains ?

D’abord, il faut reconnaître que les Américains apportent une contribution à la lutte contre le terrorisme, dans un cadre bilatéral avec chacun de nos pays. Il faut saluer cette contribution qu’ils apportent. Leur conception des choses fait que, pour le moment, ils ne suivent pas ce mouvement. Mais il ne faut pas se décourager. Il faut continuer à plaider pour que la force conjointe du G5 Sahel soit placée sous l’empire du chapitre 7 [de la Charte de l’ONU], sur la base, également, d’un financement pérenne venant des Nations unies. Et je crois que c’est cela qui facilitera l’interaction entre la force G5 et la force onusienne qui est présente au Mali, sous la forme de patrouilles conjointes, de moyens logistiques à partager, afin que nous puissions vaincre le terrorisme au Sahel.

Par Christophe Boisbouvier

Source : RFI

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