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Sortie de crise : Faut-il dialoguer avec les groupes radicaux ?

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La question divise les experts des questions de sécurité. Les uns soulignent les précédents historiques qui ont vu les conflits se terminer autour de la table. Les autres mettent en avant le risque, en dialoguant, de valider l’approche des radicaux et de leur accorder une importance qu’ils ne méritent pas

 

Faut-il négocier avec les groupes extrémistes pour la paix dans notre pays ? Le débat vient d’être relancé par International Crisis Group dans un rapport, publié le 28 mai dernier. Le groupe de recherche croit dur comme fer que pour sortir de l’impasse, le dialogue avec ces groupes et leurs soutiens doit être une option à prendre très au sérieux par les autorités de notre pays.

International Crisis Group reconnaît cependant que la démarche sera compliquée et qu’elle est loin d’être gagnée d’avance. Car, il y a des obstacles portant sur la nature des exigences des groupes radicaux, le lien qu’ils entretiennent avec d’autres groupes transnationaux, les pressions exercées sur certains d’entre eux pour qu’ils n’aillent pas au dialogue.

En dépit de ces obstacles apparemment dirimants, quelles sont les chances de réussite du dialogue ? Quelles sont les pistes à explorer pour un éventuel dialogue ? Quelle approche adopter ? Nous avons soumis ces interrogations à l’analyse de certains experts des questions de sécurité au Sahel.

Dr Ali Tounkara en est un. Expert au Collège sahélien de sécurité, une entité du G5 Sahel. Ce professeur à l’Université des lettres et sciences humaines de Bamako fait remarquer que les puissances ont toujours été réticentes à engager le dialogue avec les groupes radicaux violents, avant de finir par s’y résoudre. Il cite en appui à ses propos les négociations entre les Américains et les Talibans en Afghanistan. « Les États-Unis en Afghanistan se sont rendus compte que les seules réponses militaires ne suffisent pas », rappelle-t-il, estimant que la situation pourrait connaître une évolution similaire dans le contexte malien.

D’après Dr Ali Tounkara, la France et la Minusma sont opposées au dialogue avec les groupes radicaux violents. Mais il est formel : « A un moment de l’histoire, un pays doit être franc avec lui-même. Aucun pays n’est parvenu à vaincre le terrorisme avec seulement les armes ». Il ajoute que dans tous les États en proie à l’insécurité ou en lutte contre le terrorisme, il y a toujours eu cette connexion entre le militaire et le civil qui ouvre le dialogue.

LIGNES ROUGES – Dans le cas malien, estime notre interlocuteur, les armes ont montré leurs limites. Le fait d’engager le dialogue avec les groupes radicaux violents n’est pas un signe de faiblesse, soutient-il, estimant que c’est la solution la moins coûteuse.

S’agissant l’approche à adopter, notre expert préconise que les musulmans qui partagent la même obédience que les radicaux pourraient être des relais du dialogue. Dr Ali Tounkara tient à préciser que la proximité du point de vue religieux ne voudrait pas dire que tous partagent les méthodes violentes. « Tout simplement, ceux qui sont proches d’un point de vue théologique, sont les mieux outillés pour élaborer un argumentaire religieux à même de convaincre les groupes radicaux à s’inscrire dans une dynamique de dialogue », développe-t-il.

Dans cette hypothèse de dialogue, l’expert du Collège sahélien de sécurité estime qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir. Il s’agit du caractère laïc de l’Etat et sa forme républicaine. Dr Ali Tounkara pense que le point d’achoppement du dialogue pourrait être l’exigence des groupes extrémistes pour le départ immédiat de toutes les forces étrangères et l’instauration de la Charia. « Le dialogue est indispensable, mais ce sont les conditionnalités qui peuvent le rendre difficile voire lent », analyse-t-il.

Pour Ali Tounkara, les groupes extrémistes ne cracheraient pas sur une offre de dialogue, car ils sont aujourd’hui dans des situations très délicates et cherchent des moyens d’en sortir. Ils sont retranchés dans des conditions peu enviables. Notre interlocuteur dit avoir la ferme conviction que les chefs des groupes radicaux pourraient dire oui au dialogue si on leur tendait la main. Malgré certaines complicités sous-régionales et un ancrage local dont ils bénéficient dans leur croisade contre l’Etat.

QUESTION COMPLEXE – Baba Dakono, chercheur au bureau régional de l’Institut d’études de sécurité pour l’Afrique de l’Ouest, le bassin du lac Tchad et le Sahel, pense que la question du dialogue avec les groupes extrémistes est très complexe et mérite d’être analysée sous plusieurs angles, notamment la disposition de tous les acteurs à s’y inscrire. Le dialogue pourrait être plus complexe que la réponse militaire puisqu’il va engager des gens au-delà des acteurs visibles aujourd’hui. « Les groupes qui sont actifs au Mali appartiennent à des groupes beaucoup plus grands. Ces groupes sont organisés de telle sorte qu’il y a un leadership intermédiaire et un leadership supérieur. Même si le leadership intermédiaire est ouvert au dialogue, il n’est pas évident que le leadership supérieur le soit », analyse Baba Dakono qui souligne lui aussi que dans l’hypothèse d’un dialogue, il faut imposer des lignes rouges à ne pas franchir. Il cite à ce propos la question de la laïcité. Comme approche, il conseille de prendre en compte les facteurs qui poussent les gens à rejoindre ces groupes.

De son coté, Ibrahima N’Diaye, enseignant-chercheur affilié au Centre d’études et de réflexion au Mali (CERM) est lui opposé à toute forme de dialogue avec les groupes extrémistes. D’entrée, il se montre formel : « Le point du rapport d’International Crisis Group selon lequel, il faudrait engager un dialogue directement avec les terroristes n’est pas une recommandation pertinente et utile dans le contexte malien actuel ». Pour lui, le principe est affirmé au niveau international qu’on ne dialogue jamais avec les terroristes. Car cela reviendrait à valider leur approche et leur accorder une importance qu’ils ne méritent pas au plan stratégique. A son avis, cette alternative ne cadre pas avec le cas malien où des leviers existent pour gérer les conflits quels qu’ils soient à savoir le « sinakouya », le «nimôgôya » et le « balimaya».

Pour le chercheur, ce reflexe national ne doit jamais être compromis car ce serait ouvrir la boîte de Pandore et amener des virus qui vont polluer le débat politique ou même la structure de notre société. Ibrahima N’Diaye assure en outre que les armes n’ont pas montré leurs limites au Mali, car elles n’ont jamais été utilisées comme il se doit.
« Selon mes enquêtes sur le terrain, les feedbacks qu’on reçoit, de 2012 à nos jours y compris des forces armées, nous n’avons jamais été en position d’exécuter vraiment ce que nous souhaitons comme politique », fait remarquer M. N’Diaye. Pour qui, il est un devoir pour chaque Etat de se donner les moyens pour assurer sa propre défense et la défense de l’intégrité de son territoire et des populations.

Dialoguer ou pas ? Telle est la question. A première vue, les exigences des groupes radicaux semblent incompatibles avec la laïcité et la forme républicaine de l’Etat. Les radicaux sont contre les institutions démocratiques sous leur forme actuelle. Ils aspirent à instaurer un système théocratique inspiré de la Charia, conformément à leur vision de la religion musulmane.

Le gouvernement a annoncé la création d’un cadre de dialogue politique pour résoudre la crise au centre du pays. Mais il n’a pas encore dévoilé les contours ni l’approche de ce dialogue politique.

La quête de paix peut mener à des compromis acceptables par tous.

Dieudonné DIAMA

Essor

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