Le Conseil des Ministres extraordinaire du vendredi, 7 juin, a entériné ce qui ‘n’était plus qu’un secret de polichinelle: après six mois de prorogation de leur mandat par une loi organique, les Députés maliens bénéficient encore d’une rallonge de leur mandature pour quasiment une année.
La mesure, pour exceptionnelle qu’elle est, n’a pas suscité beaucoup de commentaires ni pour être applaudie, ni pour être désapprouvée. Sans doute, l’Accord Politique de Gouvernance, qui a prévalu, il y a un peu plus d’un mois, a permis un état de grâce propice à la prise d’une telle décision. Celle-ci peut, donc, plaire ou pas, elle est désormais un fait avec lequel il faut compter.
Cependant, il importe d’explorer d’autres angles de la mesure, d’en éclairer les zones d’ombre et prévaloir d’éventuelles bisbilles qui ne manqueront certainement pas de naître par-ci et par-là.
En effet, il ne faut pas perdre de vue que l’entrée de Tiébilé Dramé au Gouvernement comme Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale a sevrée l’opposition d’une langue de critiques particulièrement audible et acerbe. Il n’est même pas exagéré d’affirmer que cela a jeté l’opposition dans une situation des plus inconfortables, amenant son Chef de file, Soumaïla Cissé, à jouer désormais, bon gré mal gré, le rôle de missionnaire de bons offices pour le salut de la Démocratie et du pays. L’autre opposition, incarnée par l’ADP-Maliba, a aussi vu rejoindre son porte-étendard en la personne du désormais ex-Député Amadou Thiam, devenu le défenseur de ce qu’il combattait hier avec un acharnement titanesque. Pour ne citer que ces deux cas, on convient que l’opposition est maintenant dans un état groggy, presque aphone, en tout cas incapable de produire actuellement les énergies philippiques qu’elle ne manquait pas de décocher contre le Gouvernement.
Tout compte fait, le Président de la République, qui n’est pas né de la dernière pluie, sait pertinemment que le train de l’opposition a perdu sa locomotive et que les autres wagons sont contraints à un immobilisme qui lui est profitable. Même le tonique Mohamed Aly Bathily a perdu de sa voix et de sa superbe ; peut-être qu’il lui faut venir réapprendre un peu de latin chez son ancien mentor logé à Sebenikoro. En vieux Sioux rusé, IBK a, enfin, semble-t-il du moins, les mains libres pour engager les réformes qui lui tiennent tant à cœur et pour lesquelles il est conscient que la Communauté internationale l’a constamment à l’œil, avec, d’ailleurs, des pressions obsédantes. La prise, lors d’un Conseil des Ministres extraordinaire, un vendredi, de la décision de prorogation du mandat des Députés et de l’annonce la liste des personnalités devant conduire le dialogue politique national inclusif, est révélateur d’une manœuvre politicienne à la fois tactique et stratégique. Les semaines à venir livreront certainement certains dessous.
Le Conseil des Ministres extraordinaire du vendredi, 7 juin, a en tout cas eu beau jeu de se prémunir de certaines précautions de communication. Il a rappelé ainsi affirmé que la loi organique de prorogation du mandat des Députés de la Ve législature est «afin de réunir les conditions optimales à la bonne organisation des élections». Ce qui n’est pas sans sous-entendre que l’Assemblée Nationale du Mali, institution législative, demeurera dans une situation « d’état d’exception » depuis la réélection d’IBK. Sans que l’on sache, au demeurant, si à la date du 2 mai 2020, tout sera revenu à la normale. La deuxième intelligence dans l’annonce de la mesure, c’est que le Président de la République et son Gouvernement se sont parfaitement dédouanés en rappelant que la première prorogation a été «conformément à l’avis de la Cour Constitutionnelle du 12 octobre 2018». Laquelle «prorogation était motivée par le caractère de force majeure des difficultés entravant le respect scrupuleux des dispositions constitutionnelles et législatives et la nécessité d’assurer le fonctionnement régulier de l’Assemblée Nationale». Six mois n’avaient, donc, pas suffi pour les réglages nécessaires et nous voilà partis pour onze nouveaux mois!
C’est dans un tel contexte que l’annonce des personnalités en charge de conduire le dialogue national inclusif a été faite. Selon le communiqué du Conseil des Ministres, elles auraient «été désignées après une large concertation de la classe politique, des légitimités traditionnelles et de la société civile ». Sans être taxée de mensonge d’État, cette affirmation n’est pas homologuée comme telle par bien des acteurs cités.
Mais cela n’enlève rien à la haute personnalité et à la valeur patriotique de Baba Akhib Haïdara, Ousmane Issoufi Maïga, Aminata Dramane Traoré ainsi que l’Ambassadeur Cheick Sidi Diarra qui présidera le Comité d’organisation pour assurer la préparation matérielle et scientifique du dialogue politique. Tout dépendra de la sincérité avec laquelle l’État envisagera leur implication dans le processus. En tenant compte que tout échec compromettra dangereusement l’avenir, cette sincérité s’impose à tous.
Haroun Barou Dicko
Source: LE COMBAT