Pendant longtemps, nous avons cru, nous Maliens, que les massacres de populations, les génocides, les dévastations d’habitats humains n’étaient pas pour nous, ne pouvaient pas se produire chez nous. Héritiers des plus anciens et grands empires de l’Afrique subsaharienne (Ghana, Mali, Songhoï) nous sommes » une nation aussi soudée qu’un bloc de granit » pour emprunter une formule chère à feu Almamy Sylla, le fondateur du Rassemblement pour la démocratie et le Progrès (RDP).
S’énorgueillant de ce passé glorieux encore quotidiennement exalté par les aèdes du Mandé, du Tekrour et du FoutaDjallon, notre très controversé président IBK ne se plait-il pas à répéter à l’envi : » Nous fûmes quand d’autres n’étaient pas » ? Bien sûr. Il ne saurait en être autrement car il est établi et universellement admis que » l’histoire est une roue qui tourne « .
Elle fourmille d’exemples où les vainqueurs d’hier sont les vaincus d’aujourd’hui.
La roue de l’histoire est justement en train de tourner, à en juger par toutes les apparences, en la défaveur de notre pays. Pour laisser nos lointains ancêtres dormir dans la paix du devoir accompli, il y a soixante années encore, sous le leadership de son premier président Modibo Keïta, le Mali était respecté dans le concert des nations pour sa capacité à maintenir l’intégrité de son immense territoire national, à préserver son unité nationale, à bâtir une économie moderne et suffisamment forte pour faire face aux besoins prioritaires de sa population (se nourrir, se vêtir, se loger, s’instruire, se soigner).
Un demi-siècle après que » le régime de construction nationale » de l’Union Soudanaise RDA et de son chef emblématique se soit écroulé sous l’assaut d’un quarteron d’officiers subalternes qui a vite fait de ramener le pays dans le giron néo-colonial et de l’arrimer au renoncement à l’idéal de développement, il est menacé dans son existence même. Alors que la CMA (l’ex-rébellion kidaloise) contrôle une large partie du territoire national sous le couvert d’un accord de cessez-le-feu et multiplie les obstructions à la mise en œuvre du processus de paix auquel elle n’a adhéré que sous la pression de la communauté internationale, son allié objectif, le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) piloté par Iyad Ag Ghali fait des progrès dans son entreprise de fragilisation du tissu social et de dislocation du pays. Cela, par le biais de la katibaMacina de Amadou Kouffa. C’est elle qui a porté le traditionnel conflit entre nomades (Peuls) et sédentaires (Dogons, Bambaras et autres) autour de l’exploitation des ressources de la terre (eau, pâturages) à son point actuel de dramatisation. Par ses exactions au nom de l’application de la charia, l’interdiction de l’école française, les vols de bétail, les exécutions des populations récalcitrantes. Toutes choses derrière lesquelles ses victimes perçoivent l’ombre des milices peules à ses ordres.
Après le massacre de Sobame Da, le président IBK a reconnu que c’est » la survie du Mali qui se joue« . Des observateurs internationaux réputés pour leur rigueur ont noté » un risque de balkanisation réel du territoire malien« . Le chef de la MINUSMA, Mahamah Saleh Annadif a appelé à » un sursaut national » tandis que des gouvernements alliés réclament l’ouverture d’enquêtes pour identifier les assaillants et les traduire devant la justice. D’autres préconisent des discussions entre chefs coutumiers des communautés en belligérance.
Lorsque la survie d’un Etat est en jeu, il faut des mesures radicales. En la matière la seule qui vaille est la neutralisation de la katiba Ancar dine Macina, épicentre de la tragédie. Certains prônent le dialogue avec Amadou Kouffa et, au-delà de lui, son modèle et parrain Iyad Ag Ghali. Entre l’Etat islamique dans toute sa rigueur que les deux hommes veulent instaurer et » la République laïque, démocratique et sociale » dont le Mali se revendique, il n’y a pas de rapprochement possible. A moins d’aller à la cohabitation des deux entités au sein d’un Etat de type fédéral. Ce qui n’est assurément pas à l’ordre du jour à l’heure actuelle.
En réalité la seule approche qui sied est de neutraliser Kouffa et Iyad. Reste à savoir comment y arriver.
Saouti Haïdara
Source: l’Indépendant