Il y a 100 ans, le traité de Versailles met fin à la Première Guerre mondiale. L’Allemagne, qui n’a eu aucune voix au chapitre et s’estime humiliée, est désignée comme seule responsable du conflit. Que contenait réellement ce texte ?
Le 28 juin 1919, le traité de Versailles signé dans la galerie des Glaces du château de Versailles met fin à la guerre entre l’Allemagne et les Alliés. Depuis le mois de janvier, 27 délégations représentant 32 puissances se sont réunies pour préparer ce texte. Dans une Europe ravagée par la Grande Guerreet où la tentation révolutionnaire, inspirée par l’exemple russe, se propage, les négociations entre Alliés ont été difficiles.
Pour France 24, Vincent Laniol, docteur en histoire, revient sur la genèse de ce texte. L’Allemagne, humiliée, s’est vu imposer des conditions très dures. Mais pour ce spécialiste de la Conférence de la paix de 1919, il serait faux de dire que ce traité est directement et uniquement à l’origine de la Seconde Guerre mondiale.
France 24 : La Conférence de la paix s’ouvre le 18 janvier 1919 avec des délégations venues des cinq continents. Quelles sont les attentes ?
Vincent Laniol : Les attentes des populations sont énormes. Une véritable et sincère aspiration à la paix se développe après cette terrible guerre totale. Dans les pays vaincus, on espère que les conditions du président américain Woodrow Wilson vont apporter une moins mauvaise paix malgré la défaite. Dans les pays vainqueurs, on espère une paix durable et un affaiblissement des vaincus. Dans le monde entier, chacun attend un monde meilleur et la rectification d’anciennes injustices.
Une crise éclate notamment en mars 1919 lors de cette conférence. Quels sont les objets des différends ?
Georges Clemenceau, président du Conseil, souhaite d’abord assurer la sécurité de la France en obtenant l’annexion de la Sarre, territoire riche en charbon, et en garantissant le détachement et la neutralisation de la rive gauche du Rhin du reste de l’Allemagne. Woodrow Wilson et le Premier ministre britannique David Lloyd George s’opposent à ces deux revendications car ils souhaitent éviter, pour le premier, l’annexion de parties du territoire allemand et, pour le second, un trop grand affaiblissement de l’Allemagne. On s’oppose également entre Américains et Européens concernant les réparations, ces derniers ayant une conception large de la note à payer. On frôle la rupture, début avril, lorsque Wilson demande à ce que son navire soit préparé pour un retour anticipé aux États-Unis. Finalement, en quelques jours, des compromis s’élaborent entre les Alliés, chacun n’ayant aucun intérêt à la rupture. En revanche, la crise ne peut être évitée avec les Italiens, qui quittent la conférence à la fin avril car leurs alliés refusent leur annexion de Fiume dans l’Adriatique. Les délégués italiens reviennent quelques jours plus tard à la table des négociations.
Quelles sont les principales dispositions prises par le traité de Versailles ?
Les compromis élaborés entre les Alliés fixent une occupation pour 15 ans de la rive gauche du Rhin, prolongeable en cas de manquement allemand concernant les réparations. La Sarre devient un territoire international administré par la Société des nations (SDN), mais les mines de charbon reviennent à la France. Au bout de 15 ans également, les Sarrois devaient décider de leur destin par un référendum fixant le statut de leur territoire. Pour obtenir ces concessions françaises, les Anglo-Saxons ont promis de nouer une alliance défensive de garantie des frontières françaises en cas de menace allemande. En revanche, on ne se met pas d’accord sur le montant des réparations et l’Allemagne doit accepter un “chèque en blanc” avant que le chiffré définitif ne soit fixé.
Est-il vrai que ce traité était particulièrement dur envers l’Allemagne ? Peut-on vraiment parler d’un diktat ?
Oui, le traité est dur pour l’Allemagne. Elle perd 10 % de sa population de 1914 : l’Alsace-Lorraine, le Schleswig, les cantons d’Eupen et Malmedy, la Posnanie et le corridor de Dantzig. Berlin perd également ses colonies qui deviennent des mandats de la SDN et se voit interdire de s’unir à l’Autriche. Les mesures militaires du traité en font une puissance de second ordre : son armée est limitée à 100 000 hommes, elle n’a pas le droit d’avoir des blindés, ni d’aviation militaire. Le montant des réparations est fixé en 1921 à 132 milliards de marks-or et l’Allemagne se voit imposer un certain nombre de mesures économiques discriminatoires. Mais ce qui est le plus durement ressenti en Allemagne sont les mesures “infamantes” : la mise en jugement de l’ex-Kaiser pour “offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités” (c’est-à-dire pour avoir violé la neutralité de la Belgique en 1914) et la livraison aux puissances alliées de militaires accusés de crimes contre les lois et coutumes de la guerre. L’article 231 est particulièrement vécu comme un verdict de culpabilité morale pour l’éclatement de la Grande Guerre. Il stipule en effet que “l’Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages (…) en conséquence de la guerre”.
On peut parler de diktat car les Allemands n’ont pas vraiment pu négocier oralement avec les vainqueurs, seules les observations écrites concernant les conditions de paix étaient autorisées. Les Allemands vont les transmettre le 29 mai 1919 et se lancer dans une “guerre de notes” écrites avec les vainqueurs, tentant de démontrer que les principes wilsoniens n’ont pas été respectés dans les conditions de paix. Finalement, les Allemands n’obtiennent que peu de changements par rapport aux clauses initiales. Berlin a souhaité jusqu’au bout modifier les clauses jugées les plus infamantes mais devant l’inflexibilité alliée et la menace d’une reprise de la guerre, le gouvernement allemand a accepté de signer le traité de paix.
À voir sur France 24 : “Centenaire du traité de Versailles : comment la paix a mené à la guerre”
Quel est l’accueil de ce traité et les conséquences immédiates ? A-t-il vraiment préparé la Seconde Guerre mondiale ?
Il a été évidemment différent selon les pays. En France, certains vont juger la paix “trop douce pour ce qu’elle a de dur”, comme l’historien proche de l’Action française Jacques Bainville, en ce sens que la paix n’avait pas été assez dure avec Berlin : qu’elle n’avait pas organisé l’éclatement du pays en plusieurs États, que les conditions les plus fermes, comme les réparations, n’étaient liées qu’à des mesures temporaires comme l’occupation de la rive gauche du Rhin. Clemenceau [surnommé “le Père la Victoire”, NDLR] est considéré par ces Français comme “le perd la victoire”. D’autres estiment que le traité est impossible à appliquer, qu’il organise une paix “à l’ancienne” contre les vaincus et qu’il ne règle pas la question russe, si importante à gauche de l’échiquier politique. Enfin, une dernière partie de l’opinion pense que le traité apporte quand même la paix, qu’il redonne une place centrale à la France dans le nouveau système international et que, comme le disait Clemenceau, le traité serait ce qu’on en ferait. Dans l’immédiat, le traité crée la Société des nations, nouvel organe de sécurité collective dont l’échec n’était pas programmé d’avance. À Berlin, le traité est très largement détesté et est un des rares éléments de consensus dans la classe politique allemande.
À mon sens, et à celui de plus en plus d’historiens, on ne peut plus dire que le traité est la cause directe et unique de la Seconde Guerre mondiale comme s’il existait une sorte de lien téléologique entre eux. En effet, le traité était plus flexible qu’on ne l’a dit ou écrit, notamment l’économiste Keynes. On a trop souvent oublié que les années 1924-1929 sont des années de stabilisation en Europe : le Français Aristide Briand se rapproche de son homologue allemand Gustav Stresemann, l’Allemagne paie ses réparations et les partis extrémistes comme le parti nazi font des scores très faibles (2,6 % en 1928). C’est la crise économique de 1929 qui est le véritable catalyseur du retour de l’instabilité en Europe, et singulièrement en Allemagne avec ses six millions de chômeurs en 1932 et les succès électoraux nazis qui en découlent. Dans ce contexte, le Diktat et le souvenir de la défaite deviennent alors les prétextes pour mobiliser leur électorat.
Cent ans après, quel est encore l’impact de ce traité ?
La partie XIII du traité de Versailles est la seule toujours en vigueur. Il s’agit de la création de l’Organisation internationale du travail visant à améliorer les conditions sociales et matérielles des travailleurs. La Conférence de la paix a d’ailleurs été l’occasion d’innovations en matière internationale qui contrastaient avec les congrès antérieurs : l’idée du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, même très imparfaitement réalisé en Europe, rompait avec la tradition de se partager entre souverains des territoires sans demander l’avis des peuples concernés. Les “artisans de la paix” en 1919 ont souhaité organiser des plébiscites dans les régions où la situation était complexe et les nationalités entremêlées. Quand les décideurs de Versailles ont tranché, ils ont également eu le souci de garantir les droits des minorités dans les pays qui en avaient (notamment dans les nouveaux États successeurs de l’Autriche-Hongrie).
Ces nouveautés ont marqué un jalon dans l’histoire des relations internationales, même si le plus souvent elles ont été masquées par des mesures très hostiles pour les anciens vaincus. Il est vrai que les traités ont échoué à maintenir la paix, puisque vingt ans plus tard, une guerre mondiale encore plus terrible et meurtrière a éclaté. Hitler a pris soin de détruire une à une les clauses du traité de Versailles lorsqu’il est arrivé au pouvoir. Sa haine va se poursuivre même au-delà de la fin effective des effets principaux du traité : ainsi, l’original du traité de Versailles a été volé par les nazis en France en août 1940 et n’a jamais été retrouvé.