La première prorogation du mandat des députés a pris fin, hier, dimanche 30 juin 2019. Aux yeux des autorités, une seconde prorogation s’impose. Cette décision prise lors du conseil des ministres le 7 juin dernier a été vote le vendredi 27 juin dernier par l’Assemblée nationale. Mais des voix s’élèvent pour condamner cette nouvelle prorogation. Explications.
Faute d’élections législatives pour des raisons de force majeure, selon le gouvernement, le mandat des députés a été (encore) prorogé d’une année supplémentaire, soit jusqu’au 2 mai 2020.
Selon le communiqué émis par la primature, les raisons de cette prorogation sont essentiellement motivées par « le caractère de force majeure des difficultés entravant le respect scrupuleux des dispositions constitutionnelles et législatives et la nécessité d’assurer le fonctionnement régulier de l’Assemblée nationale ».
«L’évaluation de la situation politique et sécuritaire du pays révèle la persistance des difficultés et contraintes qui ne permettent pas la tenue d’élections législatives régulières et transparentes », indique le communiqué.
Pour rappel, des élections législatives devaient avoir lieu en novembre et décembre 2018, mais elles avaient été reportées par la Cour constitutionnelle qui avait évoqué des raisons « de force majeure », sans les énumérer.
Cela a motivé une première prorogation de six mois du mandat des élus, soit jusqu’au 30 juin courant. Or, les conditions favorables à la tenue de ces élections ne sont pas toujours pas réunies.
Cette énième prorogation est jugée anticonstitutionnelle et illégitime par plusieurs partis politiques et associations de la société civile qui se mobilisent pour faire barrage à cette prolongation.
Aussi, une large partie de la classe politique a récemment affiché leur opposition à un nouveau bail et appelle à la mise en place d’une « Assemblée constituante ».
Pour Dr Oumar Mariko et Moussa Sinko Coulibaly, tous membres de la CoFoP, à la demande des députés, la Cour Constitutionnelle n’avait pas hésité à produire un avis N°2018-02/CCM du 12 octobre 2018, ouvrant ainsi la voie à une prorogation arbitraire de six mois du mandat de la législature en cours, en flagrante violation des dispositions pertinentes de la Constitution du 25 février 1992. Dénonçant toujours cet avis de la Cour, ils indiquent que la loi fondamentale ne confère, en effet, à aucune institution de notre pays le droit de proroger le mandat à terme des députés. Ainsi, déplorant l’attitude du gouvernement à ne poser aucun acte de volonté de tenir les élections législatives à bonne date, ces leaders de la CofoP ont lancé un appel au reste de la classe politique, la société civile, les confession religieuses et les forces armées à se joindre à elle et de mettre tout en œuvre pour empêcher une seconde prorogation du mandat des députés. Aussitôt, les membres de cette coalition politique ont engagé le Président de la République à mettre en place une « Assemblée Constituante » composée des représentants de tous les segments du peuple malien. Selon eux, elle aura pour rôle d’accompagner le Chef de l’Etat et le gouvernement dans la gestion harmonieuse et consensuelle de la chose publique aux fins de remettre sur les rails le train du Mali.
De son côté, l’ADP-Maliba, rejette toute nouvelle prorogation du mandat de l’Assemblée nationale. Le parti a affirmé cette position lors de son second congrès, il appelle à la tenue d’élections législatives ou à la mise en place d’une Assemblée Constituante reflétant la réalité du paysage politique au sortir du premier tour de l’élection présidentielle passée.
Le parti Yelema s’oppose aussi à la prorogation du mandat des députés. Dans un communiqué publié sur sa page Facebook, il annonce : « qu’il avait demandé au Précédent Gouvernement d’engager un dialogue avec la classe politique au sujet de la question des élections législatives. Cet appel n’a pas été entendu et le Gouvernement n’a pas été en mesure d’engager l’organisation des législatives dans le délai qu’il avait pourtant lui-même fixé ». Tout en s’opposant au projet de loi, le parti Yelema estime que le dialogue politique seul est « le cadre approprié permettant d’aboutir à des solutions consensuelles qui conduiront, dans un délai raisonnable, à la réinstauration d’un cadre institutionnel par des élections législatives crédibles et apaisées et auxquelles toutes les composantes politiques du pays participeront».
Le parti FARE et l’Adema association ont tout aussi réagi conjointement le 10 juin dernier. En effet, dans une déclaration, ils appellent les autorités à retirer le projet de loi. Ils sont unanimes que ça porterait gravement atteinte à la constitution du pays et que cela est un fait inacceptable dans une République. Toutefois, ils invitent le régime « à initier un cadre de dialogue inclusif permettant de trouver une solution à la situation qui prévaut ».
Le RpDM de l’ancien premier ministre, Cheick Modibo Diarra, appelle au retrait du projet de loi. Il appelle toutes les forces vives du pays à peser de tout leur poids afin d’obtenir le respect strict de notre constitution.
Même refus de voir les députes rempilé de la part du CNAS Faso Hère. Ainsi, dans un communiqué, le Bureau Politique National de la CNAS-Faso Hèrè (Convention Nationale pour une Afrique Solidaire), présidé par l’ancien premier ministre, Soumana Sacko, a condamné le vote par l’Assemblée nationale d’une loi organique prorogeant la durée du mandat parlementaire en cours. «La promulgation d’une telle loi par le président de la République ferait franchir à l’Etat malien une étape de plus vers sa transformation en République bananière ., la CNAS-Faso Hèrè engage les Forces patriotiques, progressistes, républicaines et démocratiques à l’unité d’action pour faire échec au projet antinational et antidémocratique de restauration de l’ordre sociopolitique colonial et de remise en cause des acquis du 22 septembre 1960 et du 26 mars 1991. Au-delà de la limite de cinq ans fixée par la Constitution du 12 janvier 1992. La CNAS -Faso Hèrè demande instamment au président de la République de ne pas promulguer cette loi scélérate symbolisant un détournement flagrant de la souveraineté nationale. »
Dans le camp de ceux qui sont contre cette nouvelle prorogation, on retrouve le mouvement « Trop c’est trop », ou encore, la MOE-Pocim qui constate le caractère illégitime et illégal de la prorogation du mandat des députés depuis 2018 et du mandat des conseillers nationaux depuis 2016. C’est dire que la préservation et la pérennisation des acquis démocratiques du 26 mars 1991 sont fortement entamées souligne l’ONG.
Quant à l’opposition politique pilotée par Soumaïla Cissé, député à l’Assemblée nationale, elle a réagi à travers un point de presse, le jeudi 13 juin dernier. Pour le président du FSD, Cette prorogation est une violation grave de la constitution considérant son article 61 qui est clair sur la question. M. Cissé estime que la violation est si flagrante qu’on le constate par le fait que le gouvernement n’a même pas demandé l’avis de la Cour constitutionnel comme ça se doit en la matière : «Nous avons augmenté leur mandat pour six mois et le résultat n’a rien donné. Nous pouvons tous dire sans détour une autre prorogation d’une autre année donnera rien aussi comme résultat vu l’état actuel du pays». A la question de savoir ce que le FSD propose en lieu et place d’une prorogation, Soumaïla Cissé réplique que cette tache revient au camp présidentiel. «Le Président reste le premier garant de la constitution donc il revient à lui de prendre des décisions pour éviter sa violation», précise-t-il. A Mountaga Tall d’ajouter que le FSD tiendra des activités auprès de la population afin de le prévenir des dangers lié à une nouvelle prolongation du mandat des députés.
Au-delà des partis politiques, plusieurs regroupements composés d’associations de la société civile sont aussi vent debout contre la prorogation du mandat des députés. C’est le cas de la plateforme « Antala An Ko An Faso » qui juge cette décision illégale et voit dans cette décision, l’incapacité du régime actuel à respecter et faire respecter la loi fondamentale Elle compte user de tous les moyens légaux pour empêcher son effectivité. Pour la plateforme, le gouvernement s’est inscrit dans la voie de la dénégation des principes républicains et du détournement de la souveraineté du peuple.
Autre initiative contre la prorogation du mandat des députés, celle de jeunes activistes. Ceux-ci pour protester contre la prorogation ont mis en place un Parlement Populaire du Peuple, (PPP). Pour ces initiateurs, « ce parlement va jouer le rôle de députés et prendre toutes les préoccupations du peuple en compte. Le parlement est là pour veiller aux intérêts du peuple malien. P.P.P est un parlement qui est créé pour s’opposer à la prorogation du mandat des députés la première activité du P.P.P, consistera à déloger les députés l’assemblée nationale aujourd’hui, 1 juillet date marquant de leur seconde prorogation illégitime ».
La question qui se pose avec ses reports successifs est le risque qu’il y a, pour le gouvernement, de se prévaloir, à l’échéance du nouveau terme, de la persistance des circonstances exceptionnelles en vue de prendre un nouvel acte de prorogation, renforçant ainsi la crise institutionnelle actuelle.
Mémé Sanogo
L’Aube