Les ministres du gouvernement assistent cette semaine au Forum politique de haut niveau des Nations Unies, qui examine les progrès réalisés par les pays relativement à plusieurs des 17 Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. Parmi eux figurent l’ODD 16 axé sur la gouvernance, qui vise à promouvoir des sociétés pacifiques et inclusives, l’accès à la justice pour tous et des institutions responsables à tous les niveaux. Cet objectif comprend 12 cibles à atteindre d’ici 2030 et les progrès accomplis à cet égard sont évalués en fonction de 23 indicateurs.
Sur les 51 pays qui se sont portés volontaires pour faire état de leurs résultats dans ce forum, plus d’un tiers (18) proviennent d’Afrique, le plus gros contingent de la région. Selon une nouvelle étude réalisée par l’Institut sud-africain des affaires internationales (SAIIA) et par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), les pays africains sont parmi les plus innovants et les plus engagés à mesurer et à communiquer sur l’objectif de gouvernance. Leurs efforts pourraient servir de modèle à d’autres.
Ce résultat peut paraître paradoxal, compte tenu de la réputation de l’Afrique comme étant une région en proie à d’importants défis de gouvernance, souvent exacerbés par des crises. Pourtant ce n’est une surprise pour ceux qui se rappellent des premières étapes de l’élaboration des ODD en 2014. Les gouvernements africains ont joué un rôle central dans la défense de l’adoption d’un ODD 16 autonome doté de cibles et d’indicateurs, contrairement à de puissants États membres des Nations Unies qui voulaient reléguer les questions de gouvernance et de paix au préambule du nouveau programme de développement mondial.
L’étude SAIIA/PNUD, qui a interrogé des représentants du gouvernement et des acteurs non gouvernementaux dans 38 pays africains, met en évidence trois principaux moyens par lesquels le continent est en train de devenir un leader mondial dans la mesure des progrès accomplis sur la gouvernance.
Premièrement, l’Afrique démontre que les 12 cibles comprises dans l’ODD 16 sont mesurables et que les organismes nationaux de statistique (ONS) peuvent produire de bonnes données en matière d’accès à la justice, de représentation au sein des institutions publiques et de participation politique, par exemple. Depuis 2012, en fait, les statisticiens africains mettent à l’essai une approche pilote pour institutionnaliser la production des données d’enquêtes nationales sur la gouvernance, la paix et la sécurité. Aujourd’hui près de la moitié des ONS africaines utilisent un module de sondage qui permet aux pays de faire un rapport – en une seule fois et à un coût minime – sur 11 des 23 indicateurs regroupés dans l’ODD 16.
Le succès de cette initiative reflète la forte préférence des décideurs africains en faveur de statistiques nationales fondées sur les expériences des citoyens, plutôt que sur des indicateurs de gouvernance internationale qui reflètent les opinions « d’experts ». Le renforcement de la « souveraineté des données » des pays dans les nouveaux domaines des statistiques de gouvernance et de paix va pousser les pouvoirs publics à augmenter leurs dépenses sur la génération de ces données, ainsi que sur les ONS pour établir des équipes dotées d’une expertise pertinente. Pourtant seulement 16 % des répondants à l’enquête SAIIA/PNUD ont déclaré que leur pays avait alloué des fonds spécifiques pour la production de statistiques de l’ODD 16.
Deuxièmement, les gouvernements africains tentent de plus en plus de « localiser » l’ODD 16, que le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies pousse tous les pays à rejoindre. Près de 60 % des répondants au sondage ont indiqué que leur pays avait adapté les cibles et indicateurs mondiaux au contexte national en consultation avec les dirigeants de la société civile, les chercheurs et les acteurs gouvernementaux. Le gouvernement du Cameroun, par exemple, a invité les groupes de la société civile à « traduire » indicateurs mondiaux de l’ODD 16 en statistiques locales simplifiées, en étroite coopération avec l’ONS. L’évaluation communautaire des progrès réalisés au regard de ces indicateurs vise à compléter le mécanisme de rapport dirigé par le gouvernement.
Enfin, certains pays africains « champions de l’ODD 16 » placent l’objectif au cœur de leur planification, de leurs budgets et de leurs rapports. Au Kenya, tous les représentants du secteur public dans les ministères, les services et les organismes de la région liés à l’ODD 16, sont tenus de signer des contrats de performance avec le gouvernement central, dans lequel ils identifient les cibles et indicateurs pertinents de l’ODD 16 dans leur mandat et expliquent comment ces derniers sont intégrés dans les mesures et plans de développement. Le Ghana et le Bénin, quant à eux, mettent l’accent sur les dépenses budgétaires qui ont une forte incidence sur l’ODD 16. Le gouvernement du Ghana a également divulgué publiquement combien ses priorités financières sont en harmonie avec ses engagements dans le cadre de cet objectif.
En outre, plusieurs pays ont trouvé des moyens novateurs d’assurer que les gouvernements utilisent les nouvelles données nationales de l’ODD 16 dans leur prise de décision. Le Bureau libérien pour la consolidation de la paix forme les utilisateurs des statistiques de gouvernance à analyser et à appliquer ces informations dans leur travail, tandis que l’Ouganda emploie des statisticiens dans ses organismes de justice et de maintien de l’ordre, afin d’aider à créer une « culture des données » entre planificateurs et décideurs.
Pourtant les pays africains ont encore besoin d’améliorer l’accès du public aux données et aux indicateurs de l’ODD 16, afin que les citoyens soient mieux à même de demander des comptes à leur gouvernement. Seulement un quart des répondants au sondage ont déclaré que ces statistiques étaient facilement accessibles au public et moins d’un tiers (32 %) de répondants non gouvernementaux ont estimé que leur gouvernement s’était engagé à rendre facilement disponibles les informations sur l’ODD 16.
Les données sur la gouvernance, comme toutes les autres statistiques officielles, sont un bien public et doivent être accessibles à tous . Sinon l’ampleur réelle de la violence, de l’exclusion et de la discrimination restent cachés et le potentiel de ces informations soigneusement collectées pour améliorer la vie des citoyens ordinaires – en Afrique et ailleurs – ne sera pas entièrement réalisé.
Marie Laberge collabore au Programme des Nations Unies pour le développement à soutenir les efforts nationaux pour mesurer et surveiller la gouvernance, la paix et la sécurité.
Lejecom