Du latin médiéval sclavus, venant de slavus (slave), l’esclavage est l’état d’une personne qui se trouve sous la dépendance absolue d’un maître qui a la possibilité de l’utiliser comme un bien matériel. Il est la privation de la liberté de certains hommes par d’autres hommes, dans le but de les soumettre à un travail forcé, généralement non rémunéré. Juridiquement, l’esclave est considéré comme la propriété de son maître. À ce titre, il peut être acheté, loué ou vendu comme un objet.
Par extension, le terme esclavage a désigné à travers l’histoire un système socio-économique qui est fondé sur le maintien et l’exploitation de personnes dans cette condition et qui constituent une classe d’esclaves. L’interdiction de la traite des esclaves qui est le commerce d’individus préalablement privés de liberté intervient en 1815 et l’abolition totale de l’esclavage le 27 avril 1848 en France et dans ses colonies.
Le Mali souscrivant de manière continue à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 Décembre 1948, et depuis la Révolution du 26 Mars, à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 Juin 1981 (qui prohibent l’esclavage), et conscient des atavismes à combattre, proclame dans les toutes premières dispositions (articles 1er et 2) de la Constitution:
‘’-La personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté́, à la sécurité́ et à l’intégrité́ de sa personne’’.
‘’-Tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs. Toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion politique est prohibée’’.
En d’autres termes qu’il n’y ait ni « horon » ni « djon », que nous sommes tous filles et fils du Mali avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.
170 ans après l’abolition de l’esclavage, pour ce qui nous concerne, et 59 ans après cette belle promesse d’égalité dans la Constitution, la réalité rattrape et submerge les textes. Dans le Mali de 2019, l’esclavage reste non seulement une réalité, mais une très forte interpellation de l’ensemble de l’entité nationale. Les esclavagistes sont là et de plus en plus tortionnaires au mépris de toute dignité humaine. Et les esclaves, tels des damnés de la Nation subissent et périssent dans le silence hypocrite et complice d’une démocratie malienne qui se veut exemplaire. Les actes effroyables enregistrés dans la région de Kayes, au Nord, et ailleurs au Mali, depuis quelques années, ont remis le sujet au-devant de l’actualité.
Obligé qu’il était de prendre position, le Gouvernement du Mali, en janvier dernier, a fait le service minimum. Au lieu de sévir, en ouvrant une enquête sérieuse, il s’est contenté d’un communiqué pour juste marquer sa consternation et son indignation. Comme dans un déni de réalité, au lieu de condamner des actes d’esclavage avérés, le Gouvernement, habitué à la politique de l’autruche, parle de «des velléités esclavagistes au nom d’une certaine culture dont se revendiquent les auteurs » ! Comme si ceux qui en souffraient n’avaient pas assez subi, depuis des générations, en silence, en l’absence de toute compassion, de toute solidarité humaine…, au plan national.
La dédaigneuse condamnation des actes d’esclavagisme perpétrés est en fait motivée que par son souci de tranquillité et de préservation de l’ordre établi ; parce que ces actes sont « de nature à détériorer la paix et la cohésion sociales ». Donc, tant que la paix et la cohésion sociale sont sauves, les esclavagistes peuvent continuer leur sale besogne, les « captifs » continuer leur souffrance sans fin.
Mauvaise perception d’un phénomène qu’il urge d’éradiquer ou mauvaise volonté d’engager la lutte contre les esclavagistes ? L’État du Mali ne peut ne pas agir au risque de se voir accuser de protecteur d’esclavagistes ou s’exposer à une poursuite pour complicité par omission de crime contre l’humanité. En effet, suivant la très célèbre formule de Antoine Loisel ‘’qui peut n’empêche pèche’’. Et la loi malienne est très claire s’agissant de la nature, de la qualification et de la punition de l’esclavage : ‘’on entend par crime contre l’humanité́ l’un des actes ci-après, commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque : a) Meurtre ; b) Extermination ; c) Réduction en esclavage (…)’’ (article 29 du Code pénal). Donc l’esclavage relève du crime contre l’humanité au Mali. Est-ce que les éminences grises du Gouvernement ont compris cela ? Parce qu’il est de la responsabilité de la République d’assurer protection et assistance à tous ses fils, l’État ne peut se dédouaner de voler au secours de ces « damnés du Mali » qui sont devenus aujourd’hui des hères qui errent sans secours et sans illusion.
Dépossédés, violentés, traqués, c’est par vagues successives que ces citoyens du Mali fuient désormais la région de Kayes pour devenir une nouvelle catégorie de réfugiés dans les bras de la Commission nationale des droits de l’homme (C.N.D.H.). Ce lundi 29 juillet 2019, ‘’une vague de déplacés en provenance de Kayes persécutés par les esclavagistes a débarqué à la CNDH avec une vingtaine d’enfants’’ alertait le Président de la CNDH Aguibou BOIRE. Non sans avoir attiré l’attention des autorités et de l’opinion sur : ‘’une implosion sociale couve dans la région de KAYES où certains Maliens « (nobles) » empêchent d’autres « esclaves » de cultiver leurs champs, de prendre la terre pour réhabiliter leurs habitations qui plus est en période hivernale, au prétexte que ceux-ci sont leurs esclaves’’.
Le 19 juillet dernier, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) qui déplorait ‘’l’absence de mesures humanitaires d’urgence en faveur de ces personnes déplacées en état de fragilité certaine’’ avait exhorté les autorités quant à ‘’l’adoption diligente du projet de loi portant répression de l’esclavage et des pratiques assimilées’’ et leur avait recommandé ‘’de diligenter les procédures judiciaires pendantes, précisément (…) en lien avec les infractions constatées’’.
Dans la tourmente de l’affaire Puma, le Gouvernement avait certainement d’autres chats à fouetter.
Toutefois, malgré ses priorités qui se bousculent, le Gouvernement a tout intérêt à prendre ce problème à bras le corps. Pour éviter une implosion sociale d’une autre nature, moins défendable, le Gouvernement ferait bien, comme le suggère la CNDH, d’initier dans les meilleurs délais un dialogue inclusif en vue de la résolution durable de la question de ‘’l’esclavage par ascendance’’ au Mali.
Parce que, si jamais les esclaves, les descendants d’esclaves et alliés d’esclaves se liguaient (comme dans la grève des battus), l’équilibre social pourrait difficilement y résister. En tout cas, les hommes politiques savent que leurs voix comptent sur le terrain.
PAR BERTIN DAKOUO
Info-Matin