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Adam Dicko, Directrice Exécutive de l’AJCAD : «Si les dirigeants n’agissent pas, les jeunes ont d’autres solutions»

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«Après 28 ans de pratique démocratique, il était nécessaire qu’il y ait un regard croisé des acteurs sur la démocratie malienne», estime Adam Dicko, Directrice exécutive de l’AJCAD (Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie), qui pense que le mandat du président de la République, dédié à la jeunesse, ne profite pas pour l’instant à celle-ci

Organisation du forum national sur la citoyenneté active et la démocratie, le dialogue politique inclusif, le soutien à la jeunesse et l’an I du second quinquennat d’IBK, Adam Dicko, la Directrice exécutive de l’AJCAD, que nous avons rencontrée à son bureau, se prononce sur ces différents sujets et d’autres.

Soucieuse de l’accès des populations aux services sociaux de base, de la consolidation des acquis de la démocratie, de l’engagement civique des jeunes et des actions de paix et de sécurité, Adam Dicko, avec d’autres jeunes engagés, ont créé en 2014 l’AJCAD.

Depuis sa création, cette association participe activement à la défense des droits des populations et la citoyenneté active chez les jeunes, et noue des partenariats stratégiques avec des acteurs locaux nationaux et internationaux.

Reconnue pour sa persévérance dans la défense les droits des autres, celle qui estime que «si les dirigeants n’agissent pas les jeunes ont d’autres solutions», est très active sur les réseaux sociaux et suivie par plus de 25 mille personnes.

Toutefois, la politique n’est pas sa tasse de thé. Celle qui a embrassé la vie associative à l’âge de 14 ans, et malgré son jeune âge (moins d’une trentaine d’années), dénonce quotidiennement la mauvaise gouvernance et sensibilise les jeunes sur leurs droits et devoirs. La titulaire d’une maîtrise en Droit des Affaires et en Gestion des Ressources humaines compte rester dans la société civile, afin d’influer sur le cours des politiques publiques. «Le vrai contre-pouvoir n’est pas l’opposition mais la société civile», déclare-t-elle.

L’AJCAD et ses partenaires ont organisé la semaine dernière un forum national sur la démocratie et la citoyenneté active. Pourquoi un tel forum maintenant ?

Adam Dicko : Effectivement, l’AJCAD a organisé le 6 et le 7 septembre un forum national sur la démocratie et la citoyenneté active. L’objectif était de tirer les leçons de la pratique démocratique au Mali ; identifier les défis ; faire l’état des lieux de la pratique démocratique au Mali ; formuler des recommandations pour sa consolidation et voir aussi, quel rôle occupent les jeunes et les femmes qui étaient au-devant de la scène en 1991, pour que le Mali puisse accéder à cette démocratie.

Justement, n’est-ce pas une manière pour vous de faire le procès des 28 ans de pratique démocratique au Mali ?

A.D : Je ne dirais pas le procès mais plutôt le bilan. Vous savez, après 28 ans de pratique démocratique, il était nécessaire qu’il y ait un regard croisé des acteurs, qu’ils soient de la société civile, des politiques, des jeunes, des femmes et les médias, sur la démocratie malienne.

Le bilan de la démocratie est très souvent fait par les partis politiques et les hommes politiques. Il était donc nécessaire de mettre tous les acteurs ensemble afin d’avoir un regard croisé sur ce qui a marché, ce qui n’a pas marché, et ce qui reste à faire pour qu’on puisse quand même organiser notre démocratie.

Globalement, quelles sont les principales conclusions du forum ? Et quelles sont les principaux griefs que vous faites au processus démocratique au Mali ?

A.D : Avant d’arriver à la conclusion, il faut savoir que chacun, en ce qui le concerne (société civile, acteurs gouvernementaux, partis politiques et médias), ne joue pas son rôle. Nous sommes dans une société où chacun pense que le problème de la démocratie et de la gouvernance n’est que le problème de l’autre. Ce forum nous a permis de faire comprendre à chacun qu’il a sa part de responsabilité, et qu’il doit par conséquent améliorer son travail de tous les jours afin de consolider notre démocratie.

Nous avons aussi compris que la démocratie malienne a besoin d’être renforcée et consolidée par des mécanismes institutionnels et constitutionnels. Les questions de représentativité des jeunes et des femmes et de redevabilité doivent être au cœur de toutes les politiques et doivent s’imposer aux tenants du pouvoir, non pas quelque chose qu’un homme peut changer au gré de ses humeurs.

Les relations entre les politiques et les citoyens ont également été abordées. Cela nous a amenés à parler des élections, notamment le poids de l’argent et de la religion dans notre processus électoral. Et tout ceci est couronné par l’ignorance de la population par rapport à la connaissance de ses droits et devoirs et à l’importance qu’on accorde à l’élection.

Je ne dirais pas que le forum nous a permis d’ouvrir les yeux, mais il a permis à chaque acteur de comprendre que l’élection est un élément fondamental pour la démocratie et nécessite la participation de tout le monde.

Nous n’avons pas fait de procès des partis politiques en tant que tel. Mais quand même nous avons mis en place un panel composé de partis politiques, des acteurs de la société civile et ceux en charge de l’organisation des élections, notamment la délégation générale des élections (DGE), la CENI et le ministère de l’Administration territoriale.

Ce panel a prouvé à suffisance que les difficultés sont à tous les niveaux. Les responsabilités sont certes partagées mais les plus grandes, notamment l’échec de nos élections, incombent aux organes en charge des élections. Non seulement le mécanisme n’est pas compris par les Maliens, mais aussi il n’est pas adapté à notre réalité socio-culturelle.

Vous disiez à l’ouverture du forum que le problème qu’on a au Mali n’est pas qu’un problème d’homme, mais c’est aussi un problème de système. Qu’est-ce que vous vouliez dire ? Est-ce qu’on ne peut pas vous rétorquer que le système est animé par les hommes ?

A.D : Je ne dégage pas carrément la responsabilité des hommes. Bien sûr, le système est fait par les hommes. Mais le système doit être plus fort que les hommes. C’est-à-dire quand une personne vient dans une organisation ou un cadre, le système doit imposer à cette personne les règles à suivre. Et non le contraire.

Ce n’est pas l’homme qui doit venir imposer ses règles. Voilà pourquoi je dis que notre problème est le système et pas que les hommes. Parce que chaque homme qui vient, a la facilité de pouvoir manipuler les choses à sa guise. Ce qui prouve que notre système n’est pas aussi fort.

Il ne donne pas la latitude aux citoyens de pouvoir interpeller très facilement ou même de mettre fin au mandat de quelqu’un. Par exemple, si on donnait aux citoyens le pouvoir d’évaluer les mandats des élus communaux, des députés et du président de la République, nous n’allons pas être là. Nous sommes dans un système où la latitude est donnée aux élus communaux d’évaluer le bilan des citoyens.

Est-ce une manière pour vous de remettre en cause notre système ?

A.D : Je ne remets pas en cause notre système. Je dis plutôt que le système doit être plus fort que les hommes. Nous devons plutôt renforcer notre système. Les réformes à venir doivent être structurelles et qui donnent beaucoup plus de pouvoir aux citoyens et qui prennent en compte nos valeurs sociétales et culturelles.

Le problème au Mali est qu’on prend la forme pour rejeter le contenu. Si nous avons pris la démocratie, on le prend avec sa forme et son contenu. Et c’est cette dernière qui donne beaucoup plus de pouvoir aux citoyens. C’est pourquoi nous avons dit, lors de ce forum, qu’il faut que le Mali aille rapidement et nécessairement vers une décentralisation poussée, qui va donner plus de pouvoir et de responsabilité aux citoyens.

Que pensez-vous de l’organisation du dialogue politique inclusif ?

A.D : Je pense que le dialogue politique inclusif est une opportunité en or pour le Mali. Notre pays traverse une crise multiforme, multidimensionnelle, multi acteur et multi secteur. Ce n’est pas que la démocratie qui est aujourd’hui décriée par le citoyen, mais notre mode de gouvernance. Il est nécessaire que les Maliens s’asseyent et que l’on discute afin de nous entendre sur quelque chose. Mais malheureusement, le dialogue politique -dont le processus est exclusif- est compliqué.

C’est-à-dire ?

A.D : Nous sommes dans un pays où on parle d’inclusivité, mais on constate que le dialogue n’est conduit que par trois personnes, qui, bien évidement, rencontrent des entités différentes. Mais est-ce que le citoyen qui se trouve au milieu rural dans son champ, sait qu’il y’a un dialogue politique inclusif ? Est-ce que ces préoccupations sont prises en compte ? Est-ce que les préoccupations de cette femme qui a besoin de parcourir trente à quarante kilomètres, pour se rendre dans un centre de santé, sont prises en compte ? Je ne sais pas. Mais quand même le processus auquel on assiste ne part pas dans ce sens.

Le DPI ne doit pas être un dialogue du Mali des Bamakois. Il doit être un dialogue du Mali réel. Si le dialogue est organisé pour que tout se passe à Bamako, je dis, dès à présent, qu’il a échoué. Parce que le dialogue doit prendre en compte tous les aspects, tous les acteurs, tous les Maliens, à quelque niveau que ce soit. Je ne dirais pas que le triumvirat doit aller écouter tout le monde. Mais il y’a des mécanismes qui permettent au triumvirat de pouvoir recenser les préoccupations et les besoins des Maliens au niveau le plus bas.

On fait appel aux leaders d’associations qui n’ont que souvent deux à trois personnes derrière eux et qui ne viennent très généralement que pour les per diem. Ça va être comme le processus de la signature de l’Accord d’Alger, où on a vu les personnes qui étaient parties représenter le Mali, qui étaient préoccupées par leur per diem et le prix des nuitées, et non de ce qui se débattait là-bas.

Résultat, on s’est retrouvé avec un document dit Accord dont le contenu est inapplicable au Mali. Parce qu’il n’a pas pris en compte tout simplement les besoins réels des Maliens. Je crains que ce dialogue aussi ne soit la même chose.

Il y’a un cafouillage qui ne dit pas son nom. On ne sait pas qui organise le dialogue. Le président a mis en place le triumvirat. Nous avons aussi un ministère en charge des réformes institutionnelles. Finalement, qui organise le dialogue ? Les recommandations concernent qui ? On ne sait rien. Chacun est dedans avec souvent les mêmes acteurs.

La primature organise un atelier avec les acteurs de la société civile, ce sont les mêmes qui se retrouvent avec le ministère en charge des réformes. Pendant ce temps, on dit que les termes de référence du dialogue politique inclusif ne sont pas encore validés. Du coup, on ne sait pas quel schéma cadre on est en train de suivre. Nous qui sommes à Bamako ne le savons pas, à plus forte raison, les Maliens qui se trouvent dans des coins reculés. Tout ceci mis bout à bout fait que l’on se dirige  lamentablement vers un autre échec du président IBK.

Quel est votre regard sur le soulèvement des jeunes de Kayes, Kati et aujourd’hui Tombouctou ? Je rappelle que vous avez apporté votre soutien aux manifestants.

A.D : Je pense que j’ai dit lors du forum que la jeunesse malienne n’a pas d’autre choix que de s’engager. C’est-à-dire nos aînés ne nous ont pas laissé la chance de pouvoir nous engager pour dire non. Nous n’avons que l’engagement aujourd’hui. C’est très dommage que les gens se soulèvent pour demander juste une route. C’est le minimum que devrait faire le gouvernement.

Mais si cela n’est pas fait et que les jeunes prennent la responsabilité de pouvoir réclamer tout haut. Je pense qu’on ne peut que les soutenir. Ils n’ont pas pris les armes. Ils n’ont rien fait. Ils ont tout simplement dit tant qu’on n’a pas de route, personne ne passera.

Ils ne le font pas pour ruiner les autres, mais plutôt pour choquer le gouvernement, pour lui montrer qu’ils en ont marre. Ça me fait mal de voir les jeunes se battre pour le minimum qu’on devrait faire pour les populations. C’est dommage ! Parce que c’est un manque à gagner pour l’Etat.

L’effort déployé par les jeunes pour barricader les routes pouvait servir pour la construction et le développement du pays. Mais ils sont obligés de le faire parce que les dirigeants n’ont pas l’oreille attentive et n’ont pas les yeux pour voir que l’urgence aujourd’hui, pour Kayes, Tombouctou et bien d’autres localités, est d’avoir une route.

Les dirigeants ne peuvent pas comprendre qu’il est inacceptable qu’un habitant de Gao fasse le tour de deux pays pour pouvoir venir à Bamako. Et vice-versa. Ils sont assis parce qu’ils partent pour Gao par avion. Mais ils ne voient pas le calvaire subi par un étudiant sans moyen, qui, pour venir à Bamako, est obligé d’emprunter de gauche à droite ou faire des choses qui ne sont pas très catholiques pour pouvoir chercher juste le prix du transport, qui a augmenté.

On continuera à faire notre influence politique afin de les mobiliser davantage. On n’aura plus pitié des dirigeants parce que ce n’est pas de la pitié qu’il faut. Nous allons les pousser jusqu’à ce qu’ils agissent. S’ils n’agissent pas, les jeunes ont d’autres solutions.

Le président de la République a fêté le 4 septembre, l’an un de son quinquennat. Quelle appréciation faites-vous des douze derniers mois d’IBK au pouvoir ?

A.D : Je pense que ces mois ont été entachés par des massacres, des détournements de fonds. Nous savons que plus de sept-cents civils maliens ont été tués depuis le début de l’année. Nous savons qu’il y a eu assez de détournement dans l’achat des équipements de l’armée. Ce sont des choses inacceptables et inadmissibles que, dans un pays en guerre, les plus grands détournements se fassent dans le secteur de la sécurité et de l’armée.

Le président de la République a placé son mandat sous le signe de la jeunesse. J’avoue que nous n’avons pas senti durant les douze derniers mois cet engagement du chef de l’Etat vis-à-vis de la jeunesse malienne. Nous n’avons pas beaucoup vu la jeunesse aux commandes. Parce qu’une chose est de nommer une personne de moins de quarante ans à la primature, mais une autre chose est d’impliquer les jeunes. Aujourd’hui, les jeunes de Ségou à Kidal ne demandent que la sécurité et la circulation des personnes et de leurs biens.

Mais ils ne l’ont pas fait pour le moment. Les jeunes ne demandent aussi que l’éducation et l’accès aux services sociaux de base. Tel n’est pas le cas. Nous savons que les examens de fin d’année se sont déroulés dans des conditions dramatiques. Nous savons que les élèves ont fait plus de la moitié de l’année à la maison.

Je ne pense pas que le mandat dédié à la jeunesse lui profite. Nous ne l’avons pas, en tout cas, senti lors des douze derniers mois. Même si on constate une certaine accalmie au centre. Ce qui est notre souhait. Et nous allons pour cela continuer à accompagner les autorités afin que la normalité puisse revenir dans cette partie du pays. Il faut quand même reconnaître que le président de la République doit très vite se ressaisir et  prendre les choses en main, afin d’aller vers une responsabilisation de la jeunesse malienne.

Entretien réalisé par Abdrahamane Sissoko

source:le wagadu

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