La 8e édition du Festival International de la Liberté d’Expression et de Presse (FILEP) s’est tenue du 25 au 28 septembre 2019 à Ouagadougou sous le thème : « Des plumes, des micros et des caméras pour une Afrique libre et unie ». Durant quatre jours, les journalistes venus des quatre coins du monde et de l’Afrique ont consacré cet évènement majeur pour les hommes de médias. Initié il y a vingt ans à la suite des événements tragiques sur l’assassinat du journaliste Norbert Zongo le 13 décembre 1998, le Filep a grandi. À cette occasion, nous rendons un hommage mérité à ce journaliste burkinabè qui a inspiré le plus grand combat pour la liberté d’expression et la démocratie dans son pays.
Sa vie, immensément riche en engagements, restera une source d’inspirations intarissables pour les futures générations de journalistes, à travers toute l’Afrique. Rendons à Norbert Zongo sa mémoire immortelle, afin que, comme il l’avait prophétisé, « on ne puisse pas le tuer une deuxième fois ». Le Filep nous en donne une belle opportunité. S’il fallait définir la vie de Norbert Zongo en trois mots, serions-nous tentés de dire simplement : un homme libre. Journaliste d’investigation, la vie de Norbert est très mouvementée, riche en évènements. Parce qu’il a choisi ‘’d’imprimer sur l’histoire la courbe de son propre destin’’ il restera fidèle à son peuple dans la lutte pour la démocratie véritable. Malheureusement, ‘’La vie est courte. La vie des héros encore plus courte.’’ À 49 ans, il est entré dans l’histoire. Nul doute qu’il fait désormais partie de ceux dont la postérité n’aura jamais assez de parler… en bien…
Parce qu’il crut en la liberté…
Inscrit à l’École régionale de Koudougou – Primaire
Entrée en 6e au Cours Normal de Koudougou en octobre 1964.
Il crée alors son premier journal ” La voix du Cours Normal “. Écrit sur des feuilles de cahiers d’écolier. Très tôt le matin (4 h 30 min), Norbert ZONGO écoutait la BBC et d’autres radios étrangères, sélectionnait les nouvelles intéressantes et en faisait des brèves qui seront affichées avant 6 h 30 min. Mais taxée plus tard d’avoir une connotation politique, la ” Voix du Cours Normal ” sera interdite.
Norbert ZONGO obtient le BEPC en 1969, mais est interdit d’accès à toutes les classes de Seconde des établissements scolaires du Burkina Faso (raisons, inconnues).
Instituteur adjoint à Barsalogho (province du Sanmatenga) à partir de 1971.
Alors enseignant, il obtient son baccalauréat en 1975.
Son départ de Barsalogho à Pô mécontentera les populations qui voyaient ainsi partir un être cher. Norbert ZONGO enseignera également à Pô.
Sa vie d’enseignant est aussi caractérisée par la conviction et la détermination. Alors instituteur à Pô, Norbert Zongo s’est inscrit à la Faculté de Droit, à l’Université d’Abidjan où il opte pour l’examen terminal unique (E.T.U).
Il enseignera également comme professeur de français au Lycée Saint Joseph, à Ouagadougou. Pendant son cursus d’enseignant, il n’observera presque jamais d’absence au cours. Très humaniste, il entretenait de bonnes relations avec ses confrères, élèves, et parents d’élèves.
Norbert Zongo consacrait une bonne partie de son temps ” hors cours ” à la lecture et quelquefois à la chasse.
En 1979, il est admis à l’Institut Supérieur de Presse du Conseil de l’Entente à l’Université de Lomé.
Éléments nouveaux sur la vie estudiantine de Norbert Zongo à Lomé
Norbert Zongo avait lié amitié avec un ex-conseiller du Président Eyadema qui avait rejoint l’opposition. Celui-ci était pourtant recherché par le service de renseignements du Togo, ce qui mettra Norbert Zongo également dans le collimateur de la Présidence du Togo. Ses prises de positions politiques aidant, le jeune étudiant sera suivi clandestinement à travers la ville par les services de renseignements du Togo.
Norbert Zongo enverra le manuscrit de son roman le ” Parachutage ” à une maison d’édition au Sénégal. Dans une lettre, le directeur d’édition lui dira de ne pas le publier afin d’éviter d’être dans le collimateur du régime togolais.
Mais Norbert Zongo ne recevra jamais la lettre du directeur d’édition. Elle sera interceptée par les services de renseignements. Ces derniers demandent au directeur d’édition de leur expédier le manuscrit, dans une lettre signée ” Norbert Zongo ” et à une adresse qui n’est pas celle de ce dernier.
Le manuscrit reçu, la police accentue la surveillance de Norbert Zongo. On peaufine son plan d’exécution. Un officier de gendarmerie est chargé de l’opération.
Mais une amie de ce dernier (sa copine) avertira Norbert Zongo et l’invitera à quitter immédiatement le pays. Ayant constaté qu’il était suivi partout et ayant appris qu’il devait être éliminé, Norbert Zongo prend la fuite en direction du Ghana grâce à un camion de légumes, avec l’aide de ses amis.
À la frontière avec le Ghana, Norbert Zongo échappe au contrôle d’un commando de militaires, mais sera découvert plus tard par un officier togolais qui lui demande de le suivre. Alors Norbert Zongo lui assène un coup de poing à la figure. Ainsi grâce à cette bagarre qu’il a déclenchée, Norbert Zongo et l’officier Togolais sont conduits au poste de police par des policiers ghanéens. L’officier dira que Norbert Zongo est un bandit en fuite, mais ce dernier ripostera en fournissant des explications.
Le commissaire de la police ghanéenne dépêchera une mission pour conduire Norbert Zongo à l’ambassade du Burkina Faso à Accra. L’ambassadeur offre à Norbert Zongo une chambre d’hôtel. Mais ce dernier refuse, car conscient qu’il était exposé à des dangers, surtout qu’ils étaient suivis depuis la frontière avec le Togo par une Mercedes curieuse. Finalement sur insistance de l’Ambassadeur, il s’y rendra, mais plus tard dans la nuit, Norbert Zongo quittera l’hôtel par la fenêtre, et rejoindra l’Ambassade où il se réfugiera.
Aux environs de 2 heures du matin, une explosion se fait entendre dans sa chambre d’hôtel. L’ambassadeur demande alors au Président Saye Zerbo de faire venir Norbert Zongo dans son pays natal. De retour au Burkina, il est arrêté et détenu à la gendarmerie de Ouagadougou, une année durant. (1981-1982).
Norbert Zongo est probablement l’un des rares à échapper aux mailles des services de renseignements du Togo.
Il poursuivra plus tard ses études de journalisme avec l’aide de l’écrivain Hamadou KOUROUMA, à l’Université de Yaoundé. En 1984, il rejoint l’École Supérieure de Journalisme de Yaoundé au Cameroun. Il en revient en 1986 et forge alors ses premières armes dans les organes de presse d’État : au quotidien Sidwaya d’abord, puis à l’hebdomadaire Carrefour Africain. Il collabore régulièrement aux journaux privés Le Journal du jeudi et La Clef. Ses analyses critiques sur la vie nationale dans ces organes amènent le pouvoir en place à l’affecter à Banfora, bourgade située à 450 km de Ouagadougou. Il refuse d’obéir à cet ordre, rend sa démission et crée son propre journal, l’hebdomadaire L’Indépendant en juin 1993. Ce journal devient rapidement l’hebdomadaire le plus lu et le plus commenté même dans les hameaux les plus reculés du Burkina.
Un homme est mort, tout un peuple se mobilise
Vingt mille, trente mille, cinquante mille, selon les sources. C’est une marée humaine qui, ce 16 décembre 1998, a accompagné, la dépouille de Norbert ZONGO, le long des onze kilomètres séparant la morgue du cimetière de Gounghin. La veille, les étudiants, les élèves et une frange importante de la jeunesse de la capitale avait pris d’assaut les rues de la capitale et s’était attaquée particulièrement aux biens et aux insignes du parti au pouvoir. “Pouvoir assassin”, “justice pour Norbert Zongo” clamait leurs slogans.
Celui que des milliers de Burkinabè suivent ainsi dans la douleur et la colère, ce 16 décembre, est tombé dans un piège savamment tissé par ses assassins, le 13 décembre 1998, aux environs de 15 h, à Sapouy, localité située à 100 km de Ouagadougou. Norbert ZONGO et trois personnes qui l’accompagnaient ont été mitraillés à bout portant avant d’être brûlés avec leur voiture. Dès le lundi matin, dans les bureaux et les rues de Ouagadougou, la rumeur bruissait : “Norbert ZONGO est mort”. “Incroyable” disait les uns, “impossible” répétait les autres. On aurait tant voulu ne pas y croire, mais on pressentait que c’était vrai…
Celui dont le nom circule alors sur toutes les lèvres était un homme-orchestre : journaliste, directeur de publication, écrivain, scénariste, conférencier, militant des droits de l’Homme, animateur d’associations, photographe, guide de chasse… Extrêmement populaire, il a marqué ses compatriotes par sa grande indépendance d’esprit et son attachement profond aux libertés humaines, dont celle d’expression.
Norbert Zongo signait ses articles du nom de plume Henri Sebgo, qu’il a adopté depuis sa collaboration au Journal du jeudi. Son journal est lu et commenté tous les mardis, dans les hameaux les plus reculés du Burkina. Élu président de la Société des Éditeurs de la Presse privée du Burkina (SEP), Norbert Zongo noue des contacts avec les chancelleries et obtient des aides matérielles conséquentes. Ces soutiens lui permettent de lutter contre les multiples contraintes qui pèsent sur la presse privée au Burkina, dont le coût très élevé des facteurs de production et le manque de formation des rédacteurs.
Un credo : les droits humains
“Les enfants de Garango”, “Les événements de Réo”, “l’affaire David Ouédraogo”, “la veuve Somé”… : toutes les histoires mettant en jeu les violations de droits de l’Homme, la corruption, les atteintes aux libertés publiques, les spoliations des plus démunis ; tous les cas d’injustice ont toujours trouvé une place dans l’hebdomadaire L’Indépendant. Sous la plume acerbe de Henri Sebgo, les histoires les plus sombres de la IVe République étaient mises à nu, analysées, commentées. Les victimes y trouvaient du réconfort et les bourreaux tombaient en rage.
Norbert ZONGO était par ailleurs un militant actif du Mouvement burkinabè des Droits de l’Homme et des Peuples. Il se joignait souvent aux activités de cette structure en parcourant le pays d’est en ouest et du Nord au Sud pour y délivrer des conférences. Ce qui, sans aucun doute, a contribué à la notoriété du journal L’Indépendant et à la popularité de Henri Sebgo.
Au cours des nombreuses rencontres et confrontations avec ses confrères journalistes, il a toujours répété que l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme a été adopté pour protéger les journalistes et qu’il appartient aux hommes de médias du Burkina d’en “abuser”. Certains thèmes relatifs revenaient de manière récurrente dans ses éditoriaux et ses conférences, reflétant les préoccupations fondamentales de cet humaniste : la liberté d’expression, les perversités de la dictature et des dictateurs, le rôle des intellectuels dans la lutte pour l’État de droit, le déséquilibre des rapports nord-sud, les dérives liées à la fascination par l’argent, l’importance de l’engagement du peuple dans le soutien à la démocratie… mais aussi le courage face à la mort quand on s’engage pour une cause que l’on sait noble.
De grande taille, dotée d’yeux de félin, Norbert ZONGO faisait preuve d’une rectitude parfois proche de l’intransigeance. Sa fermeté sur certains principes était inébranlable : ainsi, pour lui, les questions relatives aux droits humains, au respect du peuple, à l’honnêteté ne se marchandaient pas. Mais cette exigence constante cachait un coeur d’or. Il était toujours prêt à partager ce dont il disposait, dépensant sans compter pour les plus démunis.
Dans Le parachutage, comme dans Rougbenga, deux de ces romans, Norbert Zongo décrit la quête de la liberté, la nécessité de vivre, le droit d’être. Il dépeint sans fausse pudeur les sociétés africaines coloniales et postcoloniales marquées par la corruption, l’affairisme, l’intolérance, l’exclusion, le culte de la personnalité.
Cette rigueur et cette passion guidaient aussi la pratique professionnelle de Norbert ZONGO. Il était fermement attaché aux grands principes de la recherche et la vérification des sources d’information. Le journalisme d’investigation, son domaine de prédilection, présente beaucoup de dangers en Afrique, mais jamais Norbert n’a failli à son double devoir d’informer et de respecter les règles de la profession.
Cette rigueur dans la recherche et la vérification de l’information, il voulait la transmettre à ses confrères et aux futurs journalistes. À la SEP, il avait initié un cours de techniques rédactionnelles au profit de certains journalistes de la presse privée. Au Centre National de Presse, qui porte désormais son nom, il partageait avec ses camarades le souci d’introduire la lecture des journaux dans les lycées et collèges.
Un baromètre de la société burkinabè
Norbert ZONGO, alias Henri Sebgo, était adulé par les uns, les plus nombreux certainement, et haï par les autres, ceux qui craignaient ses révélations sans doute, ceux qui ont fini par le tuer. Il ne laissait personne indifférent. L’Indépendant constituait un véritable baromètre de la société burkinabè et, en cela, Henri Sebgo rendait vraiment service à tous : gouvernants comme gouvernés. Les menaces qui pesaient sur lui, il les a évoquées de manière dramatiquement prémonitoire, comme le montrent certains des textes qui suivent.
Mais Henri Sebgo était le reflet de Norbert Zongo, perpétuellement enthousiaste, et l’air avenant, toujours prêt à narrer une petite histoire pour dérider, pour faire rire. Après avoir échappé à la mort suite à une tentative d’empoisonnement en novembre 1998, il racontait à qui voulait l’entendre qu’il ne s’agissait que d’une intoxication alimentaire. Il en rigolait, même si, derrière son ironie, pointait l’inquiétude. Mais Norbert se moquait de sa propre peur…
Pour tromper l’angoisse, il se rendait régulièrement à son “ranch”. Passionné de chasse depuis sa plus tendre enfance, il avait créé, en 1994, un parc à gibier : le Safari-Sissili. Parti de rien, avec rien, il n’avait transformé cette zone giboyeuse envahie par les éleveurs en un lieu de chasse sportive et villageoise avec la participation des populations riveraines. Homme d’affaires très avisé, son ambition était de faire de cette contrée de la province de la Sissili, une zone de safari-vision pour les touristes, mais surtout de recherche et d’observation pour les enseignants et étudiants passionnés de faune et de flore. La mort l’a fauché à quelques kilomètres de ce ranch auquel il avait consacré ses fins de semaine, ses économies et une bonne part de son inépuisable énergie.
Toutes les couches sociales du Burkina se sont reconnues en ce supplicié du 13 décembre 1998. C’est pourquoi, depuis sa mort, les manifestations de solidarité et de compassion ont pris racine dans les villes et villages du Burkina, semblant dire “Norbert Zongo, qui comblera le vide que tu laisses derrière toi ?” Ses compatriotes se sont mobilisés, ne répondant à d’autres mots d’ordre que celui de leur cœur et de leur conscience citoyenne, comme s’ils cherchaient à infirmer cette parole que Norbert avait coutume de citer : “Le pire n’est pas la méchanceté des gens mauvais, mais le silence des gens biens.”
Sources : Centre National de Presse Norbert Zongo
Adapté par Henri Levent