Sous-équipées et mal formées, les forces de défense et de sécurité sont mises à rude épreuve par les groupes djihadistes liés à Al-Qaida et à l’Etat islamique.
Ce soir-là, lorsque Moussa* a mis son casque de combat et son gilet pare-balles usé pour aller patrouiller, il savait la mission risquée. « Ce n’était vraiment pas prudent. J’étais dans le véhicule de tête, nous devions traverser une zone dangereuse, de nuit, avec notre vieux pick-up qui tombe en panne », raconte le militaire, de retour de mission dans le nord du Burkina Faso. « Les terroristes nous guettaient, ils étaient 40 avec une mitrailleuse chacun. Nous, nous n’en avions qu’une pour six, on se voyait déjà morts », poursuit le jeune homme. Blessé dans l’assaut, il a échappé de peu à un tir de roquette, et vu l’un de ses camarades abattu sous ses yeux.
Sous-équipées, mal formées, les forces de défense et de sécurité burkinabées paient un lourd tribut depuis la montée, ces quatre dernières années, de la menace de groupes djihadistes armés affiliés à Al-Qaida et à l’Etat islamique. En un mois, plus de 40 membres des forces de l’ordre ont été tués, selon un décompte de l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled).
« On manque de tout là-bas : d’armes, de tenues de protection, de véhicules blindés – le seul au camp est en panne depuis deux ans… Alors on doit sortir en pick-up, mais si on tombe sur un engin explosif, c’est fini pour nous », poursuit Moussa. Mines, embuscades, attaques de postes militaires… Les groupes armés ont affiné leur mode opératoire et mettent à rude épreuve les forces burkinabées, qui semblent incapables d’enrayer le cycle des violences. « L’ennemi est plus équipé que nous, alors maintenant, si on ne veut pas mourir, on préfère fuir », confie le militaire.
« Mouvement d’humeur »
« On n’a pas assez de vivres et d’eau non plus, et il faut se cotiser pour acheter des médicaments. On enchaîne les missions, tout le monde est fatigué et démoralisé », affirme au téléphone un sous-officier au Sahel, la région la plus durement touchée par les attaques, dans le nord du pays. Il assure ne pas avoir été relevé ni avoir reçu ses « primes d’opération » depuis six mois. « Des collègues tombent chaque jour, c’est dur psychologiquement, on se dit souvent qu’on sera le prochain. Je suis prêt à mourir pour mon pays, mais dignement. Là, c’est l’abattoir ! », fustige-t-il. Moussa, lui, est plus résigné : « Certains abandonnent. D’ailleurs, si ça continue comme ça, je préfère qu’on me radie plutôt que d’aller mourir comme un chien. »
Dans les casernes, la grogne monte. L’attaque terroriste contre le détachement de Koutougou, dans la province du Soum, le 19 août, qui a fait 24 morts selon un bilan officiel (le plus lourd jamais connu par l’armée burkinabée), a choqué dans les rangs. Selon nos informations, l’alerte avait pourtant été lancée plusieurs jours avant l’assaut par des villageois et des soldats. « Les chefs n’ont pas pris la menace au sérieux et n’ont jamais envoyé le renfort aérien demandé par les hommes sur place, qui ont été obligés de fuir. Comment se fait-il aussi que les dépouilles de nos camarades soient restées trois jours à pourrir là-bas ? », s’interroge, écœuré, Issa*, un jeune militaire qui a perdu plusieurs amis ce jour-là.
Un « mouvement d’humeur » éclatera d’ailleurs deux jours plus tard au camp Guillaume-Ouédraogo de Ouagadougou. Les 21 et 22 août, des soldats ont tiré des coups de feu en l’air, plusieurs heures durant, demandant à voir le président Roch Marc Christian Kaboré et le chef d’état-major de l’armée, rapporte Issa, qui dort au camp. « Les jeunes étaient très remontés par la gestion de l’attaque et des conditions de prise en charge des blessés. Il y a eu des négociations, les chefs ont essayé d’étouffer le mouvement dans l’œuf », relate-t-il avant de promettre, plus sombre : « Une chose est sûre, ce n’est pas fini… »
Il y a une dizaine de jours, la « quasi-totalité » des policiers de la ville de Djibo ont préféré plier bagage face à la dégradation de la situation sécuritaire, indique le syndicat de la police nationale, l’Unapol. Selon nos informations, plusieurs détachements militaires ont également quitté leur poste dans le nord du pays, près de la frontière malienne. « Certaines unités ont chassé leur chef. La colère monte et elle pourrait avoir un effet boule de neige. Sans troupes dans cette zone, c’est une passoire pour les groupes terroristes », s’inquiète une source sécuritaire.
Une profonde défiance
Koutougou, Tongomayel, Nassoumbou… La liste des attaques de postes militaires ne cesse de s’allonger ces dernières semaines et met au jour la faiblesse d’un appareil sécuritaire profondément déstabilisé. L’armée ne s’est jamais vraiment remise de la chute de l’ancien président Blaise Compaoré à la suite d’une insurrection populaire, en octobre 2014, et de la dissolution de sa garde prétorienne, le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), en 2015. « Elle est toujours divisée en clans. Il y a un conflit générationnel entre les anciens, promus sous l’ancien régime, et les jeunes sur le terrain, qui se sentent abandonnés, rendant la collaboration et la prise de décision difficiles », analyse un ancien gendarme.
Entre hauts gradés et hommes de rang, la défiance est profonde et grandit. « Les jeunes se font tuer, tandis que les chefs restent dans leur bureau à Ouaga. Ils multiplient les promesses mais rien n’arrive. Où part cet argent ? », demande un policier. Cette année, le budget du ministère de la défense a été augmenté de 23 %, pour atteindre 209 milliards de francs CFA (environ 319 millions d’euros). « Insuffisant », reconnaît le colonel Jean Arthur Idriss Diasso, à la direction de la communication. « Mais nous partons de loin. Nous avions une armée de caserne et n’avions jamais connu le terrorisme avant 2015. Il a fallu tout revoir : les effectifs, la formation, l’équipement. Ce sera un combat de longue haleine, mais nous y arriverons », tente-t-il de rassurer.
Fin août, le ministre de la défense a lancé une campagne de « recrutement exceptionnel » de 500 militaires du rang, nés entre 1996 et 1998, pour compléter les 1 500 recrues qui doivent être enrôlées d’ici à la fin de l’année. Reste à voir si les jeunes répondront à l’appel.
*Les prénoms ont été changés.