Cheikh Hamahoullah fut l’un des principaux propagateurs du tijânisme en Afrique occidentale. Il mena un combat inlassable pour la liberté et la dignité des peuples d’Afrique pendant la période coloniale. En s’appuyant sur des documents d’archives, la tradition orale africaine et des manuscrits conservés par les fidèles et les adversaires du Cheikh, Alioune Traoré présente l’itinéraire de la personnalité de C. Hamahoullah, qui fut l’un des principaux propagateurs du tijânisme en Afrique occidentale. En se fondant sur de nombreux documents d’archives, l’auteur éclaire sa pensée religieuse et son combat contre l’oppression coloniale.
Dans «ISLAM ET COLONISATION EN AFRIQUE : Cheikh Hamahoullah, homme de foi et résistant», il rejette surtout l’image d’un Hamahoullah «agitateur sans culture et sans foi», que répandaient complaisamment les rapports des administrateurs coloniaux.
«Que fait la dépouille de ce résistant en France loin de sa terre natale africaine» ? Ainsi s’interrogeait, il y a quelques années, Khadim Ndiaye, philosophe et chercheur en histoire. Dans ses écrits et dans ses propos, il lui arrive souvent d’évoquer éloquemment «le souvenir émouvant du résistant spirituel, Cheikh Hamallah, dont la dépouille évoque une fin tragique loin de la terre natale».
De descendance chérifienne, Cheikh Ahmédou Hamahoullah descend de Mohammed (PSL) par l’intermédiaire de Hasan Ibn Ali, fils de Fâtima qui est la fille du Prophète de l’islam.
Dans les moments les plus pénibles de sa vie, Cheikhna ou le «Chérif de Nioro» fit «preuve de stoïcisme et surtout de courage. Ni les menaces d’emprisonnement des autorités coloniales ni les provocations et chantages des marabouts proches des administrateurs ne troublaient sa sérénité».
A «ces maîtres du jour», le fils béni d’Assa Diallo parlait la tête haute, les yeux dans les yeux, avec assurance et sérénité. Même ceux qui ne partageaient pas ses thèses sur la Tijâniyya admiraient le courage de l’homme.
Selon des historiens et des traditionnalistes, Cheikh Hamallah est un mystique malien persécuté par les autorités coloniales françaises et finalement déporté en 1942 au camp d’internement d’Evaux-les-Bains (Creuse)
Nationaliste, non violent et résistant au nom de la foi, ce mystique soufi de Nioro du Sahel fut calife de la Tijâniyya à l’âge de 19 ans. Jouissant toujours d’un prestige fondé sur son ascétisme et son mysticisme, il est aujourd’hui encore vénéré comme un saint au sein de la communauté musulmane en Afrique et dans la diaspora.
Entre le 19 et 21 juin 1941, Cheikh Hamallah vécut de dures épreuves qui commencèrent en réalité bien avant du fait de ses convictions religieuses et de par son refus de se plier à l’ordre colonial. Arrêté en 1925, détenu à Mederdra (Mauritanie), puis déporté en Côte-Ivoire jusqu’en 1935. Il est de nouveau arrêté en 1940 et déporté cette fois-ci en Algérie puis libéré.
Du fait de son influence grandissante, sa maison de Nioro est prise d’assaut à son retour. Il est encore arrêté le 19 juin 1941 avec ses disciples. Transféré à Dakar, il est envoyé le 21 juin à Alger pendant que certains de ses disciples étaient, eux, déportés dans d’autres villes du Soudan français (actuel Mali) voire de l’Afrique de l’ouest française (AOF).
Début avril 1942, l’érudit du Sahel est de nouveau déporté en France à Evaux-les-Bains. Malade, car n’ayant pu s’adapter au climat de la France, il est transféré à Montluçon (une commune française située dans le centre de la France, sous-préfecture du département de l’Allier dans la région Auvergne-Rhône-Alpes) où il décède, officiellement d’une cardiopathie. A Nioro, la nouvelle du décès n’est annoncée que le 7 juin 1945. Située à l’Allée 36 du cimetière de l’Est à Montluçon, sa tombe est devenue un lieu de recueillement de ses disciples, les hamallistes, qui viennent du monde entier.
Toujours retranché dans la foi en Dieu comme le plus sûr des boucliers contre la méchanceté humaine
Pour magnifier le courage et la sainteté de ce guide spirituel de millions de musulmans à travers le monde, les traditionnalistes rapportent souvent cette scène qui s’est déroulée après l’arrestation de Cheikh Hamahoullah déporté à Dakar, au Sénégal :
-«Voici le fameux Chérif Cheick Hamallah», s’exclame le gouverneur général» ! Et de poursuivre, «Chérif Hamallah, te crois-tu plus fort que tous ces grands marabouts ? Te crois-tu plus instruit encore ? Pourquoi ne restes-tu pas tranquille ? Si tu es encore turbulent, c’est parce qu’on ne t’a pas encore embêté. En tout cas, tu vas souffrir et je te promets que tu ne verras plus cette terre d’Afrique. Ne veux-tu pas être comme tous ces grands marabouts ici présents ?»
Debout et enchaîné devant l’assistance, le Chérif Hamahoullah a le courage de répondre pour prouver qu’un vrai chérif descendant du prophète de l’islam n’a jamais peur.
«Je ne vois sincèrement pas ce qu’on peut me reprocher Monsieur le Gouverneur. Je paie mes impôts, je rachète mes prestations, je ne me suis pas opposé au recrutement des tirailleurs. Ma conscience ne me reproche rien du tout. J’attends toujours vos preuves de ma culpabilité. Pour répondre à vos questions, je dirai que les marabouts que voici sont très respectables et en aucune façon ils ne veulent être enchaînés publiquement comme moi. Et moi, je ne voudrais pas être comme eux … Regardez leurs poitrines, ils acceptent vos médailles…de ce bas monde. Vous pouvez être sûr que moi je n’épinglerai jamais vos médailles sur ma poitrine. Dieu ne m’autorise pas à le faire. Enfin, comme tu tiens à me faire souffrir, je vais t’aider dans ce sens. Tu peux m’interdire le port du chapelet, tu peux m’empêcher de prier, tout cela ne me fait pas souffrir. Mais, comme tu tiens absolument à me faire souffrir, voilà comment tu peux le faire : empêche-moi de penser à Dieu pendant que je suis en vie» !
Du Sang du Prophète Mohamed (PSL), Hamahoullah était apparu à nombre de ses contemporains non seulement comme un «Cheikh d’une haute spiritualité et d’une vaste culture», mais aussi et surtout comme «un adversaire redoutable du régime colonial français». C’est sans doute pourquoi, précise l’auteur, «une certaine conspiration du silence semble entretenue autour du nom du Cheikh Hamahoullah». Et comme l’a reconnu Gaye Ibrahim Jacques, conseiller général du Sénégal cité dans l’ouvrage, «la méchanceté humaine a poursuivi cet homme de Dieu»
Adulé de sont vivant comme un Saint
Cheikh Hamahoullah était réellement respecté et admiré par ses contemporains pour sa très grande ferveur religieuse. C’est cette admiration populaire qui connut son épanouissement dans le véritable culte d’un Saint vivant. Dès lors, il était difficile de dissocier la personne physique aux dimensions humaines du marabout au pouvoir mystique qui apparaissait aux yeux du nombre de ses contemporains comme un être hors du commun.
«Cette situation a compliqué la tâche à l’historien, car il est difficile de porter un jugement de valeur sur un homme qui apparait surtout comme un Soufi. C’est la raison pour laquelle la plupart des historiens étrangers qui ont écrit sur le Hamallisme n’ont pu comprendre ce que Cheikh Hamahoullah représentait pour les sociétés musulmanes du Sahel», rappelle l’auteur.
Et de poursuivre, «il n’est pas facile de comprendre la hamallisme si l’on méconnait la manière dont l’islam était perçu selon les mentalités de l’époque… La plupart des administrateurs coloniaux du Soudan n’avaient compris ni les raisons pour lesquelles Cheikh Hamahoullah suscitait tant de vénération, ni les motivations et les aspirations des gens qui désertaient les bureaux, les écoles, les marchés pour l’acclamer avant de se bousculer, comme autour de la Kaaba, dans le seul but de lui serrer la main et de toucher ses vêtements».
Il est alors aisé de comprendre pourquoi Cheikh Hamallah figure en place d’honneur sur la longue liste des résistants africains déportés loin de leurs terres.
«Je n’évoquerai pas la controverse religieuse, objet de tous ses déboires. Hampâté Bâ, un de ses disciples (Hamallah était le maître de son maître Tierno Bokar Tall) la raconte fort bien dans ses écrits. Je dirais simplement que le Diviser pour mieux régner avait bien fonctionné. Quelques Africains se sont laissés prendre au piège atomisant du colonisateur», rappelle le Sénégalais Khadim Ndiaye, philosophe et chercheur en histoire dans une Tribune publiée en 2017.
«Pour ceux qui veulent aller loin, je recommande l’ouvrage d’Alioune Traoré, historien et fonctionnaire à l’UNESCO : Cheikh Hamahoullah, homme de foi et résistant», a-t-il alors conseillé.
Ce livre a été édité pour la première fois en 1983 aux Editions «Maisonneuve et Larose» et réédité en 2015 chez l’Harmattan.
Moussa Bolly
Source: Le Matin