Des femmes, occupées à enfiler des perles, étaient assises sur des nattes à même le sol. Quelques-unes l’étaient sur des chaises, disposées en demi-cercle autour des nattes. Quasiment toutes avaient un handicap plus ou moins prononcé au niveau des jambes et pieds. Dès le pas de la porte, la bonne ambiance, une belle énergie semblait ouvrir ses bras et sourire à chaque nouveau venu.
Foulard indigo sur la tête, avec mes grosses lunettes assorties à ma tête, j’ai balayé du regard l’assistance, avec un énorme sourire spontané, avant de lancer, tout naturellement, un tonitruant et joyeux «Aw ni sokoma» (bonjour en bambara) à cette assistance, dont tous les visages m’étaient inconnus.
La réponse à ma salutation, vibrante et pleine de belle énergie, m’a fait comprendre que j’avais bien fait de suivre mon intuition et d’accepter cette invitation à raconter ma vie devant une assistance de femmes handicapées de ma commune (commune I du district de Bamako).
J’ai été installée à la meilleure place, confortable, et à l’abri du soleil et de son avancée dans le ciel. Une forte émotion m’a envahie quand à l’annonce de mon nom, pour les présentations, j’ai bénéficié, de ce que j’appelle «les graines plantées par les parents et qui, un jour, sont récoltées par l’enfant qui se trouve là où il faut, quand il le faut et surtout qui y est sensible…car c’est aussi un transfert de responsabilité». Bref, la magie de «Gologo» a agi… Merci Barké (feu Mamadou El Béchir Gologo), repose en paix.
J’ai été rejointe, pour faire face à cet événement, par la mémoire de mon père et de mes mamans. Plusieurs témoignages profonds, les amis… De quoi se recentrer sur certaines choses. Ainsi, un aveugle, guidé par sa première épouse, après avoir su que j’étais «la fille de…», a longuement discuté avec moi avant de dire ceci à sa première épouse et guide du jour : «Tu diras à ta petite sœur, que si une doit vous rejoindre un jour, c’est elle, Assétou Gologo»!
Ma potentielle future coépouse et moi avons éclaté d’un fou-rire, simultané et spontané, comme je n’en avais pas eu depuis longtemps. L’histoire et le parcours de vie de cet aîné, qui était l’un des deux seuls hommes de l’assistance, méritent d’être connus, de tous les jeunes qui errent sans savoir le sens de l’existence ou même imaginer qu’elle puisse avoir un sens.
Le deuxième homme, plus âgé, était assis comme un sage. Qu’il s’approche pour m’écouter attentivement, pendant mon intervention, m’a émue, car je sais qu’il a capté, du haut de sa sagesse, même ce que je ne disais pas. Au moment du partage, pour commencer, j’ai tenu à dire à l’assistance combien je me sentais bien et les souvenirs qu’ont ravivé, le fait de les voir assises, rigolant, plaisantant tout en se rendant utiles.
Je pense bien, que c’est mon cœur, s’étant senti à l’aise, qui leur a parlé, et l’effet s’est fait ressentir. Le partage a été profond, fructueux, et parsemé d’humour…
Je n’avais pas menti en disant à ces femmes, dès les premiers instants, que leur handicap était peut être visible, mais les visages épanouis et frais que je voyais, étaient la preuve qu’elles ne souffraient pas du pire handicap qui puisse toucher un être humain, à savoir celui du cœur, de ne plus avoir la capacité de ressentir l’autre, de compatir avec et de partager le bonheur, de manière spontanée, sans calculs.
Nombreuses sont épanouies dans leur mariage, si j’en crois les plaisanteries sur les «baya», ceinture de perles destinée à pimenter les choses et à rendre nos hommes fous la nuit, en musique (clic, clic, clic) et en parfums subtils… Et je vous dis les filles, j’ai rarement vu autant d’aussi belles peaux réunies dans une assistance féminine. Je pense que je vais leur demander le secret et le partager.
J’ai été raccompagnée avec des chants, des sourires et de la joie et, surtout, j’ai l’impression que mon cœur a fait le plein de bonne énergie pour un bon bout de temps.
Je voulais partager avec vous ces émotions, cet espoir, cette force et ce bonheur.
Jah gift is life ! La vie est un véritable cadeau de Dieu !
Le Matin