Les actions de la Plateforme « Awn Ko Mali Dron », le dialogue national, la situation sécuritaire, l’état désastreux du pays, le projet de révision constitutionnelle… ce sont là, entre autres, sujets d’actualité abordé par Mme Sy Kadiatou Sow, présidente de l’Adema-Association et de la Plateforme « Awn Ko Mali Dron ». Celle qui est affectueusement appelée par les Maliens « la dame de fer » reste fidèle à ses convictions : la défense de la Constitution, ainsi que des valeurs républicaines. Pour elle, il est urgent que les Maliens se mobilisent autour de l’Agenda Mali et non un agenda dicté de l’extérieur et imposé à nous. Interview exclusive !
L’Aube : Vous êtes à la tête de la Plateforme « Awn Ko Mali Dron », peut-on savoir les principaux objectifs de cette Plateforme et ses membres ?
Mme Sy Kadiatou Sow : Au départ 5 organisations (Association A.DE.MA, CNID association, CSTM, FOSC et le parti FARE constatant une convergence de vue sur des questions d’intérêt national ont décidé de fédérer leur énergie et intelligence pour réussir une unité d’actions : elles ont adopté une déclaration le 28 juin 2019 relative à la situation sécuritaire, au dialogue national inclusif et au renouvellement du mandat des députés : à titre de rappel cette déclaration a fait l’objet de signature lors d’une conférence de presse au cours de laquelle d’ autres acteurs politiques et de la société civile ont signé la dite déclaration. Il s’agit donc pour notre plateforme de contribuer efficacement au renforcement des capacités de ses membres (acteurs politiques et de la société civile) dans le combat qu’ils mènent pour la souveraineté, l’intégrité territoriale, (refus de la partition du Mali) le respect de la Constitution, la défense des valeurs républicaines, le renforcement de notre système démocratique et le progrès économique et social de notre pays.
N’est-ce pas un regroupement de plus ? Comme il en existe beaucoup d’autres au Mali ?
Non, pas du tout ! le regroupement d’organisations est de nature à rendre plus efficace l’engagement citoyen et patriotique de ses membres : Les centres d’intérêt des organisations ne sont pas forcément toujours les mêmes, mais il est important que celles qui ont des convergences de vue sur des questions d’intérêt national, voient voire comment et jusqu’où elles peuvent cheminer ensemble pour atteindre des objectifs communs. Nous pensons qu’il faut en finir avec les discours creux et lénifiants et mener des réflexions profondes sur les vraies préoccupations des populations et les défis à relever, de façon à contribuer ensemble à y trouver des réponses adéquates et durables à travers des actions concrètes ayant des effets et impacts directs sur les politiques et décisions publiques : se faire entendre à tous les niveaux : local, national, international.
Aujourd’hui quelles sont les actions prioritaires de votre Plateforme ?
Rassembler toutes les forces vives autour de la défense de notre Constitution dont la révision est programmée avec comme objectif principal, d’y intégrer des dispositions de « l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger » qui risqueraient d’aboutir à la partition de notre pays.
Mobiliser toutes les énergies pour le retour de Kidal dans le Mali.
Capitaliser les réflexions diverses sur les stratégies de sortie de crise endogène et durable en les diffusant le plus largement possible auprès des populations à travers notamment des campagnes de mobilisation citoyenne.
A terme constituer avec d’autres organisations un groupe de pression, un mécanisme de« veille citoyenne » qui observe, analyse et interagit avec les citoyens.
Le dialogue national fait débat actuellement. Vous avez décidé de ne pas y participer. Pourquoi ?
Pour des raisons que nous avons clairement indiquées dans nos différentes déclarations comme étant des « piliers indispensables à un véritable dialogue national qui place le peuple au cœur du processus endogène de sortie de crise et non pas un « exercice de défoulement collectif » : je rappelle juste quelques unes :
1/ Le dialogue n’est pas inclusif parce que le processus a été conçu de manière unilatérale par le Président et ses alliés (dès l’élaboration des TDR, le format, le contenu, le choix des organes et personnalités devant conduire le DNI, la liste des participants citoyen est absent, le processus décisionnel).
2/ C’est un dialogue « administré » la forte présence des représentants de l’administration et influence du pouvoir politique tout au long du processus.
3/ Concernant les sujets à débattre nous avons estimé que l’un des principes cardinaux du DNI doit être de ne pas présumer des réformes institutionnelles et de considérer au contraire le DNI comme un préalable à toute réforme institutionnelle. Or, la communication sur le DNI (gouvernement et facilitateurs) fait principalement référence à l’APG (accord politique de gouvernance) dont une grande partie de l’opposition et de la société civile n’est pas signataire, APG qui insiste lourdement sur la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et sur la nécessité d’inscrire la révision de la Constitution dans les TDRs et s’engage même à introduire un projet de loi dans ce sens. Comment ne pas en conclure que le DNI est « orienté ».
4/ Le caractère souverain n’est indiqué nulle part dans les TDRs : encore une fois les résolutions des assises n’auront aucune force contraignante et leur sort est lié à la libre décision du Président de la République : eu égard aux expériences précédentes, nous n’avons aucune confiance en sa volonté de respecter et faire respecter les décisions issues du DNI.
5/ Le temps utile à un véritable DNI ouvrant la voie à une sortie de crise endogène et durable est sacrifié au profit d’une course contre la montre pour répondre à un agenda qui n’est pas celui du Mali
Avez-vous rencontré les autorités pour faire part de vos réserves ? Si oui, quelle a été leur réaction ?
Certaines organisations membres de notre Plateforme dès les premières rencontres avec les facilitateurs ont fait part de leurs craintes et recommandations pour la réussite du processus et par la suite, lorsque les premiers TDRs leur ont été envoyés en vue de l’Atelier de validation, elles ont notifié par écrit leur décision de ne pas y participer en indiquant les raisons de cette décision : nous avons donc été très surpris d’apprendre par la presse que les facilitateurs ont déclaré n’avoir pas été officiellement informés : il y’a eu certainement un dysfonctionnement à leur niveau. Nous les avons rencontrés (à leur demande) cette fois ci en tant que Plateforme quelques jours après leur conférence de presse et nous avons eu de longs échanges qui ont permis d’expliciter davantage nos arguments et de leur coté les mesures prises pour garantir le bon déroulement du processus : en conclusion, nous avons constaté que nous n’avons pas la même perception du DNI, de la démarche adoptée, et en particulier du sort réservé aux résolutions. Ils ont réaffirmé leur détermination à poursuivre les échanges afin d’amener tous les acteurs à participer aux débats, et nous les avons assuré de notre disponibilité à répondre à leur sollicitation.
Il y a-t-il eu des démarches entreprises auprès de vous (la Plateforme « Awn Ko Mali ») pour vous faire changer de décision ?
Oui ! Les autorités coutumières et religieuses avant les facilitateurs.
A votre avis, la politique de la chaise vide est-elle meilleure ?
Il ne s’agit pas pour nous de pratiquer la politique de la chaise vide mais d’être conséquents avec nous mêmes en refusant de cautionner un processus qui ne correspond pas à notre vision et qui n’apportera pas de solutions de sortie de crise endogène et durable : nous ne voulons pas embarquer dans un train dont la destination finale n’est pas connue.
Aujourd’hui la situation d’ensemble du pays inquiète. Quel regard jetez-vous sur cette situation au triple plan économique, sécuritaire et social ?
Elle est plus qu’inquiétante, elle est angoissante ! Ce sont les fondements de l’unité nationale, de la cohésion sociale qui sont atteints et les espoirs de développement qui s’éteignent. En dehors de ceux qui vivent grassement de la crise à travers la corruption, la délinquance financière et toutes sortes de trafics (armes, drogues, humains) toutes les catégories socio professionnelles subissent les affres de cette crise : tueries barbares de civils et militaires, affrontements intercommunautaires instrumentalisés, braquages, exactions contre populations innocentes, économie locale en grande souffrance dans les zones investies par les groupes rebelles et milices armées ,avec comme conséquence direct le recrutement et l’embrigadement des jeunes par les bandes armées. Quant au front social il est en ébullition permanente en raison essentiellement du non respect des engagements tenus pour calmer les mouvements de grève ou de colère des populations excédées par la mauvaise gouvernance en général et en particulier, la gabegie dans la gestion des maigres ressources financières . Les opérateurs économiques continuent de courir derrière leurs paiements par le Trésor Public et les ménages vivent dans l’angoisse du lendemain. Les autres doivent serrer la ceinture et consentir des sacrifices pour financer l’effort de guerre, alors qu’aucune réduction significative du train de vie de l’Etat et notamment de son chef n’est visible, bien au contraire !
Tous les autres maliens en dehors de cette catégorie de prédateurs, voudraient évidemment sortir de ce cauchemar et rêvent d’un Mali stable, uni, en paix dans lequel la justice sera égale pour tous et la prospérité équitablement partagée.
Après le Nord, le Centre est le théâtre de violence avec des affrontements intercommunautaires. Pour certains, le Mali est au bord d’une guerre civile. A votre avis quelle est la solution pour ramener la paix au Centre et éviter un tel scenario catastrophe ?
Il est vrai qu’il n’ya pas de solutions miracles et les maliens savent maintenant que les incantations, professions de foi, promesses de campagne électorales ne n’apportent pas les solutions appropriées. Je rappelle une évidence : la confiance est la base de l’aboutissement de tout dialogue, négociation et/ou participation à la résolution de tout conflit. Le déploiement des moyens militaires, est certes nécessaire pour rétablir un rapport de forces mais il ne suffira pas à ramener la paix et la stabilité.
Mais encore une fois il faut placer le Citoyen au Centre de toutes les politiques publiques, et stratégies de sortie de crise durable : les ressources humaines, morales existent pour inventer ensemble une feuille de route consensuelle.
Aujourd’hui, les populations des communes en insécurité permanente sont doublement pénalisées : elles et leurs biens ne sont pas sécurisés par leur Etat, et elles se retrouvent exclues du DNI, sous prétexte de l’insécurité. Les débats sur leur sort seront menés sans eux : Or, il n’y aura pas de solutions durables sans leurs contributions et leur engagement à la mise en œuvre des décisions prises consensuellement.
Vous avez été un des acteurs clés de la révolution de 91 et vous avez été haut responsable de ce pays pendant ces 30 dernières années. Aujourd’hui, à votre avis, quel est le vrai problème du Mali ?
Le manque de vision politique qui conduit à un pilotage à vue se traduisant par une instabilité gouvernementale sans précédent dans l’histoire politique de notre pays. La mauvaise gouvernance avec son corolaire de corruption et de délinquance financière dans tous les domaines de la vie publique (politique, administratif, financier, social). S’y ajoute l’impunité qui est devenue la règle et favorise le laisser aller et le règne de l’injustice. Le manque de confiance des citoyens (voire la défiance) vis-à-vis des pouvoirs publics, des institutions de la république. La faiblesse de l’engagement citoyen et patriotique indispensable pour veiller au grain et rappeler aux institutions de la république le devoir de rendre compte. Et j’en passe…
Êtes-vous inquiète ?
Très inquiète mais pas au point de désespérer de notre capacité à rebondir et reconstruire un autre Mali.
Vous êtes contre le projet de révision constitutionnelle qui, après l’échec de 2017, est encore d’actualité. Pourquoi vous vous opposez à cette révision ?
Pour les mêmes raisons ! La situation sécuritaire s’est dramatiquement aggravée depuis 2017 : elle est passée de « résiduelle » à « chronique et généralisée » et le chef de l’Etat, chef suprême des armées, a fini par déclarer que le pays est en guerre.
Une partie du Pays reste sous occupation et seules les personnes choisies par les groupes armés rebelles peuvent séjourner en toute tranquillité à Kidal, leur sécurité étant assurée par lesdits groupes, en l’absence des FAMAs. Dans les localités dites du Nord et du Centre, les milices et autres mouvements dit jihadistes se partagent les check points et rançonnent les populations. Cela malgré la signature depuis 2015 de ce fameux accord constamment violé par les signataires sans état d’âme. Notre Etat n’exerce donc pas sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire.
La volonté sans ambages de modifier la Constitution pour la rendre « conforme » à certaines des dispositions de l’Accord pour la Paix est rejetée par la majorité des maliens qui considèrent qu’elles renferment les germes de la partition de notre pays.
Votre mot de la fin ?
Les maliens sont capables de faire ou refaire le diagnostic des maux dont souffre leur pays et d’y apporter les solutions endogènes durables. Nous voulons et pouvons établir notre propre feuille de route et souhaitons que nos partenaires soutiennent sa mise en œuvre : Nous voulons l’Agenda MALI pas un autre !
C’est ce que signifie aussi « Anw ko Mali Dron » :
Nous resterons mobilisés pour cette cause parce que nous y croyons fermement et sincèrement.
Réalisée par
C H Sylla
L’Aube