Depuis le 1er janvier 2011, l’Etat est à pied d’œuvre pour attribuer une troisième licence de téléphonie globale (fixe, mobile, Internet). Dans ce cadre, il a signé le 12 février 2013 une convention de concession avec un groupement d’opérateurs à l’issue d’une procédure d’entente directe. Une procédure qui, selon nos informations, n’a respecté aucune législation en vigueur.
Violation des textes en vigueur
Selon nos informations, c’est l’article 13 de l’Acte additionnel de la Cedeao n°AS/A/3/01/07 du 19 janvier 2007 relatif au régime applicable aux opérateurs et fournisseurs de service qui dispose que « lorsqu’un Etat membre a l’intention d’octroyer des licences individuelles : il les octroie selon des procédures ouvertes, non discriminatoires et transparentes et, à cette fin, soumet tous les candidats aux mêmes procédures, à moins qu’il n’existe une raison objective de leur appliquer un traitement différencié ». Dans cette même optique, l’article 7 in fine de la Directive n°01/2006/CM/Uemoa relative à l’harmonisation des politiques de contrôle et de régulation du secteur des télécommunications prescrit que « les Etats membres prennent les dispositions légales et réglementaires nécessaires afin de confier à l’Autorité nationale de régulation l’instruction des demandes, et soumettre l’attribution de l’autorisation à l’avis préalable motivé de l’Autorité nationale de régulation ».
Ainsi, l’Ordonnance n°2011-024/P-RM du 28 septembre 2011 portant régulation du secteur des Télécommunications et des Postes au Mali précise, en son article 11, que « la procédure d’appel d’offres pour l’octroi de la licence est de droit pour l’établissement et l’exploitation d’un réseau et la fourniture d’un service de téléphonie mobile ainsi que pour l’établissement d’un opérateur global de téléphonie ».
Il résulte de ces deux dispositions que, pour attribuer une licence de téléphonie globale, l’Etat du Mali doit nécessairement recourir à une procédure d’appel d’offres réunissant les qualités d’objectivité, de transparence et de non-discrimination
Il résulte des analyses que le MPNT a attribué ladite licence à un groupement d’opérateurs en mettant en œuvre une procédure d’entente directe au lieu de procéder à un appel d’offres tel qu’exigé par la législation en vigueur dans le domaine des télécommunications. Alors que l’analyse des documents fournis par le CTA établit que l’attribution de la 3ème licence de téléphonie globale au Mali avait initialement été opérée sur appel d’offres international lancé le 21 octobre 2011. Cette procédure a été annulée le 11 janvier 2013. A la suite d’une demande introduite le 14 janvier 2013 par un membre du groupement attributaire de la procédure annulée, le MPNT a conclu, avec un nouveau groupement, une entente directe formalisée dans un acte dénommé « convention de concession pour l’exploitation d’une licence de téléphonie globale (fixe, mobile et Internet) » signée le 12 février 2013.
L’entente directe ainsi usitée, comme procédure d’octroi d’une licence de téléphonie globale, s’écarte des principes supranationaux mais aussi des dispositions nationales. En effet, l’Acte additionnel de la Cedeao et la Directive de l’Uemoa, en posant les principes fondamentaux qui gouvernent la procédure d’octroi de licence de téléphonie, mettent l’accent sur la nécessité pour les Etats de maintenir le libre jeu de la concurrence au bénéfice des populations et de l’économie. Ils recommandent, ainsi, aux Etats d’opter pour la procédure d’appel d’offres comme l’indique l’acte additionnel sous la dénomination de « procédures ouvertes ».
Au plan national, deux ordres de réglementation pourraient être invoqués, à savoir les textes relatifs aux marchés publics et les textes législatifs spécifiques au secteur des télécommunications. Le Décret n°08-485/P-RM du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et délégations de service public pose comme principe la nécessité, pour les autorités contractantes, de recourir à l’appel d’offres pour sélectionner les candidats à une délégation de service public. Il est vrai que l’article 80.3 de ce Décret admet, dans ce domaine, le recours à l’entente directe mais il le subordonne à deux conditions clairement caractérisées, à savoir : survenue d’une urgence extrême susceptible de provoquer la rupture de la fourniture d’un service public ; le cas de figure où seul un prestataire est susceptible de fournir le service recherché.
Il en résulte qu’au regard du Décret n°08-485/P-RM du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public, l’appel d’offres est le mode de passation privilégié en matière de délégation de service public et que l’entente directe est une exception strictement encadrée.
En toute occurrence, le cadre législatif applicable à l’attribution d’une licence de télécommunication est, par essence, celui spécifique au secteur si tant est qu’il règle la question technique posée. Sous cet angle, l’Ordonnance n°2011-023/P-RM du 28 septembre 2011 portant régulation du secteur des télécommunications prévoit deux procédures pour l’attribution d’une licence de télécommunication : l’octroi sur demande d’un candidat et l’attribution sur appel d’offres. Toutefois, ces deux modes ne sont pas admis pour tous les types de services de télécommunications. En effet, l’article 11 alinéa 2 de cette Ordonnance, libellé identiquement dans l’Ordonnance n°99-043 du 30 septembre 1999, prescrit que l’appel d’offres « est de droit » pour l’attribution d’une licence de téléphonie mobile ou de téléphonie globale. Les termes de cette disposition sont explicites et ne laissent que la possibilité de recourir à un appel d’offres pour attribuer une licence de téléphonie globale. La procédure d’entente directe qui a abouti à l’Arrêté n°2013-0404/MPNT-SG du 12 février 2013 manque donc de fondement légal.
Le manquement aux dispositions communautaires et nationales expose l’attribution de la 3ème licence de téléphonie globale scellée par la convention du 12 février 2013 à un risque de nullité pour défaut de base légale. Il pourrait en résulter pour l’Etat du Mali de lourdes conséquences financières et une atteinte à son crédit.
Motifs non justifiés
Selon nos informations, le Décret n°08-485/P-RM du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public, en son article 80.3 relevant d’un chapitre définissant « le régime spécial de passation des délégations de service public » dispose que « l’autorité délégante peut également avoir recours à la procédure par entente directe selon les modalités définies à l’article 49 du présent décret, dans les cas suivants :
-lorsque, en cas d’extrême urgence constatée par l’entité administrative chargée du contrôle des marchés publics, nécessitant une intervention immédiate visant à assurer la continuité du service public, il ne serait pas possible d’ouvrir une procédure de sélection avec mise en concurrence ;
-lorsqu’une seule source est en mesure de fournir le service demandé ».
Après des vérifications, il a relevé que dans la Lettre n°0023/MPNT-SG du 14 janvier 2013 qu’il a adressée au ministre de l’Economie, des Finances et du Budget pour demander l’autorisation d’une entente directe, le ministre de la Poste et des Nouvelles Technologies indique que « la seule option reste l’entente directe pour les raisons ci-après : la défaillance du premier attributaire ; l’extrême urgence pour l’Etat de disposer de ressources financières pour faire face, d’une part, à l’effort de guerre, et d’autre part, soutenir la fragile situation budgétaire ».
Un examen de ces motifs à la lumière de l’article 80.3 du Décret n°08-485/P- RM du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public laisse apparaître que la défaillance d’un premier attributaire ne remplit les critères d’aucun des deux cas de figure admis pour ouvrir droit à une entente directe comme mode de délégation de service public. En effet, le risque de rupture de la fourniture du service public de la téléphonie ne se posait pas d’autant que deux opérateurs étaient déjà opérationnels. L’attribution d’une troisième licence avait pour résultat ultime d’améliorer l’offre du service de téléphonie. Cet objectif ne participe pas d’un cas d’extrême urgence. A fortiori, il ne peut nullement être argué que le groupement était la seule source possible de la fourniture d’un service déjà disponible.
En tout état de cause, ces impératifs seraient-ils fondés qu’ils ne constitueraient pas des motifs de droit pour recourir à l’entente directe en matière de délégation de service public, car les conditions définies à l’article 80.3 du Décret n°08-485/P-RM du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public n’ont trait qu’au risque de rupture de la fourniture du service public ou à l’impossibilité de recourir à une autre source. Les contraintes budgétaires n’entrent dans aucune de ces deux catégories.
Il est à souligner que pendant les travaux de la phase contradictoire, le Ministre chargé des Finances a insisté sur le fait que le recours à l’entente directe a permis à l’Etat de disposer de ressources financières substantielles à un moment où il en avait un besoin pressant pour juguler les difficultés liées au contexte particulier marqué par la rupture institutionnelle survenue en mars 2012 et l’état de guerre consécutif à l’occupation d’une partie du territoire national par des forces hostiles.
La DGMP-DSP n’a pas visé la disposition appropriée pour autoriser l’entente directe
Selon nos sources, c’est l’article 80.3 du Décret n°08-485/P-RM du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public qui dispose que « l’autorité délégante peut également avoir recours à la procédure par entente directe selon les modalités définies à l’article 49 du présent décret, dans les cas suivants :
-lorsque, en cas d’extrême urgence, constatée par l’entité administrative chargée du contrôle des marchés publics, nécessitant une intervention immédiate visant à assurer la continuité du service public, il ne serait pas possible d’ouvrir une procédure de sélection avec mise en concurrence ;
– lorsqu’une seule source est en mesure de fournir le service demandé ».
Il en ressort que la DGMP-DSP n’a pas reposé son avis favorable sur la disposition spécifique aux délégations de service public mais plutôt à une disposition relative aux acquisitions de biens ou de services, à savoir l’article 49 du Décret n°08-485/P-RM du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et délégations de service public. Or, en ce qui concerne les délégations de service, le Décret n°08-485/P-RM du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et délégations de service public renferme un chapitre consacré aux modes de passation des délégations de service public sous la dénomination de « régime spécial aux délégations de service public ». C’est dans ce chapitre spécifique que figure l’article 80.3 ci-dessus cité.
En ignorant le régime spécial de passation de délégations de service public, la DGMP-DSP a émis un avis dénué de fondement légal.
André Traoré
Soleil Hebdo