Écoliers et étudiants ont manifesté jeudi par milliers au Liban, où un soulèvement inédit contre les dirigeants politiques accusés de corruption et d’incompétence, est entré dans sa quatrième semaine sans signe d’essoufflement.
Depuis le 17 octobre et l’annonce en plein marasme économique d’une nouvelle taxe aussitôt annulée, des centaines de milliers de personnes ont battu le pavé pour réclamer le départ de l’ensemble de la classe politique quasiment inchangée depuis la fin de la guerre civile (1975-1990).
A Beyrouth et dans les autres villes du pays, les manifestants deviennent de mieux en mieux organisés, ralliant de nouvelles catégories sociales avec des initiatives visant à préserver l’ampleur de la mobilisation.
A Tripoli, la grande ville du nord, des manifestants ont enlevé dans un geste symbolique des portraits du Premier ministre démissionnaire Saad Hariri fixées à des lampadaires, qu’ils ont remplacées par des drapeaux libanais sous les applaudissements de dizaines de personnes, selon une correspondante de l’AFP sur place.
Ils ont ensuite appelé par mégaphone les habitants et les commerçants à enlever les affiches de figures politiques sur les façades de leurs immeubles.
“Le message, c’est que Tripoli n’appartient à aucun leader”, lance Youssef Tikriti, jeune militant de 23 ans.
Dans la capitale Beyrouth, des milliers d’écoliers et d’étudiants, sacs à dos sur les épaules, se sont rassemblés devant le ministère de l’Education, allumant des fumigènes colorés et brandissant des drapeaux libanais.
– “Donner une leçon” –
“On rate nos cours pour vous donner une leçon”, peut-on lire sur une pancarte brandie par une jeune fille.
“On va à l’école, on se fatigue et au final on va décrocher des diplômes, les accrocher à la maison sans rien en faire, ni travailler”, déplore de son côté Marwa Abdel Rahmane, 16 ans, en allusion au chômage dont le taux chez les jeunes dépasse les 30% selon la Banque mondiale.
Les écoles et les universités sont restées fermées pendant les deux premières semaines de contestation.
Les manifestants ont obtenu le 29 octobre leur première victoire avec la démission de M. Hariri et de son gouvernement, qui continue de gérer les affaires courantes en attendant la nouvelle équipe.
M. Hariri a indiqué avoir eu jeudi de nouvelles consultations avec le président Michel Aoun au sujet de la formation d’un nouveau gouvernement et celles-ci vont se poursuivre avec les autres parties politiques.
Les manifestants entendent maintenir la pression jusqu’à obtenir un gouvernement de technocrates qui ne seraient pas issus du sérail politique traditionnel.
Signe des difficultés, l’inamovible Nabih Berri, à la tête du Parlement depuis 1992, a indiqué selon sa chaîne de télévision NBN qu’il voulait que M. Hariri soit reconduit à son poste.
Particulièrement critiqué par les manifestants, M. Berri est resté discret depuis le début de la contestation.
Outre à Beyrouth et Tripoli, des étudiants ont défilé notamment dans les villes de Nabatiyé (sud) et Baalbeck (est), bastions du puissant Hezbollah, selon l’agence de presse ANI.
Mercredi soir, des milliers de femmes se sont rassemblées sur la place des Martyrs à Beyrouth, en tapant sur des casseroles dans un joyeux tintamarre.
– “Sombrer dans la pauvreté” –
Les Libanais sont exaspérés par l’absence de services publics dignes de ce nom, avec surtout de graves pénuries d’eau et d’électricité.
Pour la Banque mondiale, “le plus urgent” est “la formation d’un gouvernement correspondant aux attentes de tous les Libanais”. En cas d’impasse persistante, la moitié de la population pourrait sombrer dans la pauvreté et le chômage “augmenter fortement”, a-t-elle averti après une rencontre mercredi d’une délégation de la BM avec Michel Aoun.
Selon cette institution, environ un tiers des Libanais vit déjà sous le seuil de pauvreté.
Ces derniers jours les autorités ont mis en avant les mesures adoptées pour illustrer leurs efforts dans la lutte anticorruption, sans calmer la rue.
La justice a ordonné jeudi l’ouverture de nouvelles enquêtes dans des affaires de corruption ou de gaspillage de fonds publics présumés visant de hauts responsables, selon ANI. Le parquet général a ordonné une enquête concernant “tous les ministres des gouvernements successifs depuis 1990 à ce jour”.
En soirée, des dizaines de manifestants se sont rassemblés devant le domicile à Beyrouth de Fouad Siniora, qui a été entendu par le procureur financier concernant 11 milliards de dollars de dépenses, effectuées entre 2006 et 2008 quand il était Premier ministre
AFP