Chérif Mohamed Haïdara est le président du Conseil supérieur de la diaspora malienne (Csdm), une organisation faîtière des Maliens vivant à l’étranger, représentée dans plus de 48 pays (avec un bureau fédéral aux USA) à travers le monde avec plus de 2 millions de membres. Dans l’interview qu’il a bien voulu nous accorder, ce Malien vivant entre les Etats-Unis d’Amérique, le Niger, la Guinée… qui est aussi le secrétaire chargé de la diaspora et de la migration malienne au sein du Conseil national de la société civile, nous donne le point de vue du Csdm sur plusieurs sujets. Il s’agit, entre autres, du Dialogue national inclusif, la libération de plus de 400 Maliens en Guinée, la lutte contre la corruption et surtout des remous au sein des bureaux de certaines représentations du Csdm en France et en Guinée.
Aujourd’hui Mali : Quel regard portez-vous sur le Dialogue national inclusif ?
Chérif Mohamed Haïdara : Merci de l’intérêt que vous accordez au Csdm à travers cette interview. S’agissant du Dialogue national inclusif (Dni), je pense que le Csdm a toujours voulu un cadre pareil pour éviter une situation d’incompréhension et conflictuelle entre Maliens. C’est pourquoi, après avoir évalué la situation sociopolitique et sécuritaire, nous avons écrit aux autorités pour demander le report des élections législatives sachant bien que c’est une violation de la Constitution.
Cette correspondance a été envoyée à tous les QG des partis politiques pour dire que la diaspora souhaite le report du scrutin, ces formations politiques étaient toutes conscientes que les élections ne pouvaient pas se tenir, mais n’avaient pas le courage de le dire. Pour nous, si l’application de la Constitution peut davantage fragiliser le pays, il faut dans ce cas revoir la copie. C’est ce que nous avons demandé. Nous sommes très heureux de constater que le report des législatives a été acté et personne n’a voté contre à l’Assemblée nationale.
C’est important que les uns et les autres sachent que c’est à la suite de ce report qu’il y a eu l’accord politique de gouvernance, auquel nous avons adhéré en acceptant la main tendue. Dans cet accord politique, il y a un pan accordé au dialogue. Et nous, au niveau de la diaspora, nous sommes pour ces retrouvailles car elles permettront à nos compatriotes de se dire beaucoup de choses afin qu’ils puissent se comprendre. De ce fait, il faut que le Triumvirat travaille de concert avec le ministère des Réformes institutionnelles pour la réussite de ce processus.
A notre avis, au niveau du Csdm, pour que ce dialogue soit une réussite, il faut que les résolutions soient contraignantes et une équipe indépendante soit aussi nommée par le président de la République pour le suivi des recommandations issues de ces travaux. Toujours pour la bonne réussite des travaux, lorsque nous avons constaté qu’il y a une crispation, nous avons écrit au président de la République le 11 octobre 2019 pour qu’il repousser la date définitive du dialogue final. Nous avons été très clairs parce que notre souhait c’est de voir tout le monde autour de la table. Ce n’est pas tout. Pour nous, le format doit changer à savoir l’opposition, la majorité, la société civile. Le Burkina a mené son dialogue en trois jours avec ce format.
En tant que président du Csdm, vous avez des préoccupations que vous avez déposé sur la table du Dni. Quelles sont-elles ?
Evidemment, nous sommes venus avec beaucoup de préoccupations. Je vous rappelle que sur les 24 pays étrangers retenus pour les travaux du Dialogue, le Csdm participe dans tous les 24 pays. Comme préoccupation principale, nous avons demandé le recensement des Maliens établis à l’extérieur. Jusqu’à présent, on n’en connait pas le nombre exact. Certains parlent de 3 voire 4 millions aujourd’hui, tandis que nous avoisinons 7 millions. Nous avons aussi demandé des cartes d’identité consulaires biométriques, la représentation des Maliens à l’Assemblée nationale.
Pour ce faire, nous voulons le même nombre de députés ou supérieur à toutes les régions du Nord du Mali car nous savons que les Maliens de la diaspora sont 3 fois plus nombreux que toutes les populations qui se trouvent dans le Nord du Mali. Ce n’est pas tout. Nous avons aussi demandé que nous soyons représentés au niveau de l’Administration, que nous ayons un tiers des sénateurs, un code d’investissement de la diaspora et une banque d’investissement avec au moins 100 milliards Fcfa de capital.
Nous sommes convaincus que le Mali se relèvera de cette crise grâce au concours de la diaspora. Des pays industrialisés comme la Chine, l’Inde, le Rwanda, le Cap Vert, le Sénégal…l’ont été surtout grâce au concours de leur diaspora. Pourquoi pas nous ! Nous avons aussi demandé que la représentativité des Maliens de l’extérieur à l’Assemblée nationale soit un droit constitutionnel. Nous ne voulons pas une loi organique. Nous avons proposé que si les Maliens décident d’aller aux élections avant la révision constitutionnelle, que le gouvernement signe une charte pour réaffirmer que ce qui serait retenu par rapport aux Maliens de la diaspora durant le Dni ne sera pas changé.
La lutte contre la corruption est à la une des journaux. Est-ce qu’il vous arrive d’être victime de ce fléau ?
Ah oui bien évidemment ! Quand on détourne dans un pays plus de 700 milliards de Fcfa entre 2012 et maintenant, vous ne pensez pas que ce chiffre soit énorme ? Avec ce montant, on pouvait créer de nombreux emplois et éviter à nos compatriotes de mourir dans la mer pour rejoindre l’Europe. Partir ou rester est un choix. Mais quand on n’a rien au pays, on préfère aller mourir dans la mer ou dans le désert que de rester ici.
Je voudrais juste vous dire par là que les Maliens de la diaspora sont plus victimes de ce phénomène que ceux de l’intérieur. C’est ce que je dis à longueur de journées lors des foras : si on n’arrive pas à créer des opportunités d’emplois dans nos pays, même si les Européens électrifient la mer, certains vont les rejoindre.
Pour moi, l’argent détourné pouvait créer des usines, des centres de formation car aujourd’hui ce sont les techniciens de la sous-région, notamment les Béninois et les Sénégalais qui sont les plus sollicités au Mali pour la simple raison que nous avons un besoin de formation. J’affirme haut et fort qu’en tant que secrétaire chargé de la diaspora et de la migration malienne, si on dépose demain une plainte contre X ou contre le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la corruption, la diaspora malienne, étant la première victime de ce fléau, va se constituer partie civile.
Nous avons aussi appris que vous avez joué un grand rôle dans la libération de nos compatriotes retenus en Guinée. Est-ce que vous pouvez nous expliquer davantage de quoi il s’agissait ?
Pour la petite histoire, je vis entre les Etats-Unis, le Niger, la Guinée. C’est tout récemment lors de mon séjour en Guinée que j’ai vu un certain nombre de nos compatriotes à la télé qu’un préfet d’une localité de la Guinée a présentés comme des individus extrêmement dangereux et qui voulaient déstabiliser leur pays. Je me suis dit en quoi ces individus qui ne portaient que des gris-gris pour certains peuvent être considérés comme dangereux. C’est partant de cela que j’ai mené des enquêtes. J’ai trouvé que nos compatriotes étaient venus dans ce pays dans le cadre d’une société d’arnaque de grande envergure appelée Qnet.
C’est une société qui vous demande de payer 500 000 ou 800 000 Fcfa et qu’en retour vous allez avoir des formations, des bonus mensuels sur les personnes que vous allez inscrire. En somme, nous nous sommes rendu compte que ce sont les victimes de ces sociétés qui vont le plus souvent à la police pour dénoncer ces gens. Suite à mes recherches, j’ai trouvé que bon nombre de nos compatriotes étaient incarcérés dans les prisons guinéennes.
Plus de 300 à Siguiri, 36 à Kankan, 26 à Conakry, 22 à Kagbélé. Leur arrestation a surtout coïncidé avec une tension politique dans ce pays et le discours de certains caciques du parti au pouvoir présentait nos compatriotes comme des terroristes qui étaient venus dans le but de déstabiliser le régime d’Alpha Condé. Donc, le dossier était sensible et les gens évitaient de les défendre publiquement. Heureusement, en Guinée, je me considère comme chez moi car j’ai des contacts et des amis à plusieurs niveaux.
J’ai pris donc la décision d’aller dans une émission matinale de grande audience, dénommée les “Grandes gueules”. Sur le plateau, j’ai dit ma version des faits sur ces arrestations en précisant que nos compatriotes qui ont été arrêtés ne sont pas des terroristes et ne constituent aucune menace pour l’Etat guinéen. C’est comme ça que la situation a pu être décantée.
Mais il faut surtout saluer l’engagement et la détermination de l’ambassadeur du Mali en Guinée, Modibo Traoré, et le consul qui ont fait un très bon travail. Moi, ma force dans cette affaire est que j’avais une liberté de ton que ces diplomates ne pouvaient pas utiliser compte tenu de leur statut. C’est pourquoi, j’ai fait le tour des télés, des radios et des journaux de la presse écrite pour défendre nos compatriotes et l’Ambassadeur a aussi pris l’initiative d’associer dans ce combat ses autres homologues de la Cédéao. Il a aussi rencontré le Premier ministre. Et ces ambassadeurs ont pu rendre visite à nos compatriotes, avant leur libération.
De nos jours, sur les 400, 340 sont revenus hier (ndlr : lundi) et tous les autres suivront. Mais nous, Csdm, nous avons porté plainte contre Qnet qui a fait beaucoup de victimes parmi nos compatriotes. Car je connais une fille qui a payé plus de 10 millions Fcfa avec le soutien de sa famille et son père était obligé de vendre leur parcelle pour investir dans Qnet.
Et après, ils se sont rendu compte que c’est une arnaque à grande échelle. Pour ce faire, nous nous sommes attachés les services d’un avocat du nom d’Amadou Diallo. La pression que nous avons exercée a permis au gouvernement d’annuler l’exercice de Qnet sur son territoire et nous demandons à tous les autres pays, plus particulièrement aux autorités maliennes, d’emboiter le pays aux Guinéens en ne cautionnant pas ces pratiques au Mali.
Il y a des remous au sein du bureau Csdm de France. Quelle est votre part de vérité ?
En 2016, M. Draméra, en tant que vice-président du Csdm, a donné mandat à Beydi Dramé de mettre en place un bureau Csdm-France. Ce qui a été fait et le nommé Dramé a été élu président du Csdm-France. En 2017, il y a eu un problème entre le bureau national du Csdm et celui de France, suite à l’organisation du Forum de la diaspora. Car il s’est avéré que le nommé Beydi voulait faire de cette tribune une activité du Parena dont il est membre, chose que nous ne pouvons pas accepter car nous sommes une organisation de la société civile.
Suite à cette incompréhension, j’ai annulé ledit forum. Beaucoup de membres du bureau, ne sachant pas la vraie version des faits, à l’époque, l’ont soutenu jusqu’à la découverte de la réalité car il cachait mes messages à tous les autres membres du bureau. Non content de cette annulation, il a proféré des injures. C’est partant de cela qu’il a été suspendu pour six mois.
Une commission a été mise en place au sein du Csdm pour mener des enquêtes. Cette commission a prouvé noir sur blanc qu’il avait tort. Cependant, durant sa période de suspension, il est parti mettre sur pied une autre organisation dénommée Coordination générale des Maliens de l’extérieur (COGEMEX).
Dans son rapport, la Commission lui a suggéré de démissionner soit de cette Coordination nouvellement créée soit du Csdm car il ne pouvait pas présider les deux en même temps. Il n’a pas voulu. Et nous avons continué ainsi à organiser le deuxième forum. Mais à notre grande surprise, il a adressé une lettre aux organisateurs en leur demandant d’enlever le logo du Csdm sur leurs affiches. Pire, il a même envoyé un huissier de justice pour faire le constat. Plus grave, au cours de nos enquêtes, nous avons découvert qu’il avait enregistré le logo du Csdm. Il faut qu’on soit clair là-dessus, le logo de cette organisation ne peut pas appartenir à un individu, mais au Csdm donc personne ne peut se l’approprier.
- Dramé étant militant du Parena, je pense qu’il ne pourra jamais se lever un jour pour enregistrer le logo de ce parti en son nom. Même s’il faisait cela, ce serait inconcevable. Bien qu’exclu du Csdm France, il continue toujours à mener des activités et à adresser des correspondances au nom du Conseil supérieur de la diaspora malienne. Nous avons été obligés de prendre un avocat et il a été assigné au tribunal le 27 juillet car il est en train de faire du faux et usage de faux.
Pensez-vous que Beydi Dramé bénéficie d’un soutien quelconque ?
Bon, j’estime qu’il a le soutien du ministre des Maliens de l’extérieur, Amadou Koïta, et pourquoi pas de celui de son grand frère, le ministre des Affaires étrangères, Tiébilé Dramé. Vous avez vu que lors de l’expulsion des Maliens du Foyer Bara, c’est une déclaration de Beydi Dramé au nom du Csdm France qui a été lue par un responsable du journal Le Républicain sur les antennes de RFI. Et nous pensons aussi qu’il bénéficie du soutien de son parti, le Parena.
Et la situation de la Guinée ?
Par rapport à la situation dans ce pays, le Csdm a été trahi par l’un de ses membres du nom de Mohamed Sidibé. Ce dernier que nous avons fait élire de façon démocratique au Haut conseil devait en principe démissionner avec tous les membres de son bureau. Il ne l’a pas fait.
Moussa Diakité qui était membre du haut conseil ayant constaté le non respect de l’engagement pris par Mohamed Sidibé a proposé un deal pour nous aider à organiser le CSDM Guinée en occupant le poste de secrétaire général. Par la suite le CSDM Guinée a découvert que Moussa Diakité était une taupe du haut conseil, le Bureau exécutif a décidé de révoquer son mandat le 4 novembre 2017. En tout cas au niveau de l’ambassade, il est très facile de vérifier qui est le président du CSDM-Guinée, mais malgré tout, il a envoyé une lettre de soutien à Beydi Dramé se présentant comme le président du Csdm de ce pays. Il continue à son tour de nous insulter.
C’est pourquoi, pendant mon récent séjour en Guinée, j’ai tenu à le voir chez lui afin qu’on échange et en rentrant dans sa maison, comme il est dans une cour commune, j’ai été inspiré en demandant à celui qui m’accompagnait de filmer toute la scène et chez lui on m’a dit qu’il est déplacement et lui-même au téléphone m’a confirmé cela, sachant bien qu’il n’avait pas voyagé. C’est comme ça que nous sommes sortis de la maison et la vidéo est à ma disposition. Donc juste vous dire qu’aucunement il n’a été menacé.
Où en sommes-nous avec la plainte que vous avez introduite contre Habib Sylla, président du Haut Conseil des Maliens de l’extérieur ou bien vous l’avez retirée ?
Laquelle des plaintes ? Parce qu’il y a deux plaintes contre lui. L’une émanant d’un Collectif de Maliens en France, présidé par Diadié Sylla.
Les membres de ce Collectif disent avoir été arnaqués par le Haut conseil de base des Maliens de France sur 700 titres fonciers et la seconde plainte émane du Csdm. Elle est relative à l’usurpation d’identité. C’est un collectif à Paris, le Csdm et un journaliste qui sont les plaignants dans ce dossier. Cette procédure judiciaire contre Habib Sylla suit son cours.
Propos recueillis par
Kassoum THERA
Aujourd’hui Mali