Après les déclarations du Président béninois de retirer les réserves de change africaines du Trésor français, l’hallali du franc CFA a-t-il sonné? Sputnik France s’est entretenu avec le géopolitologue sénégalais Makhoudia Diouf qui milite pour la fin de cette monnaie «coloniale» dans le cadre d’une sortie ordonnée des États de la zone franc.
Tel un serpent de mer dont on ne finirait pas de voir la queue, il ne se passe plus une année sans que la polémique sur la monnaie commune aux 14 pays francophones d’Afrique de l’Ouest et du Centre, ainsi qu’aux Comores, n’enfle. En cause: la convertibilité fixe et illimitée des franc CFA et comorien vis-à-vis de l’euro qui est garantie par le Trésor français en échange du dépôt de 50% des réserves de change des quinze États de la zone franc.
Jugé par trop néocolonialiste par les jeunes générations d’Africains de l’Ouest et du Centre, cet «arrangement» entre la France et ses anciennes colonies est de plus en plus contesté. De même que la parité fixe avec l’euro (1 euro = 655,957 francs CFA et 1 euro = 491,968 francs comoriens) est critiquée car elle prive les économies africaines de la zone franc de la flexibilité d’un taux de change ajustable qui pourrait leur donner un avantage comparatif pour exporter. Alors qu’avec un franc CFA rattaché depuis 1999 à une monnaie forte comme l’euro, elles sont plus enclines à importer qu’à produire pour elles-mêmes, voire à exporter.
Resté longtemps technique et réservé jusqu’ici aux seuls experts, à coups d’arguties économiques et monétaires, le débat sur le franc CFA est en train de prendre une tournure plus politique. Les déclarations récentes du Président du Bénin, Patrice Talon, demandant ouvertement – et pour la première fois – que l’Afrique retire ses réserves de change du Trésor français pourraient ainsi sonner son hallali.
Même si la sortie définitive du franc CFA est plus compliquée à organiser qu’il n’y paraît, l’essentiel pour Makhoudia Diouf, coordonnateur du collectif Sortir du franc CFA qu’il a fondé en 2017, est que les Africains eux-mêmes puissent s’approprier et décider de cette question. «Je suis allé rendre visite à tous les parlements des pays huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Pas un seul pour l’instant n’a débattu de la persistance du franc CFA cinquante ans après les indépendances», déplore-t-il.
Enseignant en lycée en Eure-et-Loir, où il vit, et professeur de géopolitique en école de commerce à Paris (IGS), Makhoudia Diouf milite pour que les Présidents africains de la zone franc prennent leurs responsabilités en se réappropriant cet attribut essentiel des États qu’est la souveraineté monétaire au lieu de se contenter de l’ombrelle de Paris et de la garantie du Trésor français.
«Il y a eu des précédents (de sortie du franc CFA): la Mauritanie, Madagascar, la Guinée. Ce qui me fait penser que cette fois est la bonne, c’est la prise de conscience de plus en plus forte de la jeunesse africaine qu’il faut se désenchaîner du franc CFA. Ainsi que le consensus qui se fait jour, y compris au sommet, que la dépendance vis-à-vis de la France n’est plus supportable à un moment où celle-ci est ringardisée par la Chine et la Russie», affirme-t-il.Pas question, toutefois, pour lui que les quinze États de la zone franc sortent en ordre dispersé, à commencer par le Bénin. «Nos chefs d’État devront se concerter pour que cela soit fait selon les règles, car il faut privilégier une sortie groupée du franc CFA», indique Makhoudia Diouf.