Dans cette interview, le 2è vice-président du Haut conseil islamique du Mali (HCI) rappelle ce que disent les textes coraniques sur l’enseignement. Il partage également ses réflexions pour juguler le phénomène du terrorisme et l’intégration des arabisants dans la conduite du pays
L’Essor : Les terroristes prétendent qu’ils agissent au nom de l’islam et s’en prennent aux écoles en disant qu’ils combattent l’enseignement en français. Que disent les textes coraniques en matière d’enseignement ?
Thierno Hady Thiam : La religion musulmane est basée sur la connaissance, l’apprentissage, le savoir lire et écrire. La première des choses que Dieu a demandée à son prophète Mohamed (PSL) de nous communiquer, c’est de savoir lire. Le prophète lui-même dit que la recherche de la connaissance est une obligation pour tous les musulmans et toutes les musulmanes.
L’islam est une religion qui est universelle, n’appartenant pas à une ethnie, à une nation. Donc, la langue arabe n’est qu’un moyen de communication et de compréhension, ce n’est pas un but. De ce fait, on ne doit pas fermer les écoles, parce que l’enseignement est en français. Le président Modibo Kéïta en 1963, avec son ministre de l’éducation Abdoulaye Singaré, a voulu nationaliser les médersas en introduisant la langue française comme deuxième langue et la langue arabe comme première langue. Mais il a échoué, car n’ayant pas été suivi par les promoteurs des médersas en ce temps. Donc, dire qu’on va arabiser les musulmans du monde, c’est une colonisation, chacun est fier de sa langue. La croyance ne connaît pas la langue, la croyance c’est une question de foi. L’islam s’adapte à tous les milieux et à tous les temps.
Mais ceux qui sont en train de semer la zizanie maintenant ou poser de faux problèmes, comme si tous les musulmans doivent parler arabe causent du tort. Certains pays comme l’Indonésie, la Malaisie, l’Iran et la Turquie ne sont pas des états arabes, ils parlent leurs langues et pourtant ce sont les plus grands pays islamiques aujourd’hui. L’Indonésie seulement fait plus de 350 millions d’habitants musulmans.
L’Essor : Les arabisants se sentent marginalisés dans la gestion des affaires publiques. Quelle solution faut-il pour les intégrer dans la conduite du pays ?
Thierno Hady Thiam : La marginalisation des écoles médersas et des arabophones a commencé depuis longtemps, avec de nombreuses conséquences aujourd’hui. D’abord, les arabisants ne se sentaient plus Maliens, parce qu’il n’y a pas d’égalité entre un élève qui va à l’école publique et l’autre de la médersa. De même, il ressort des études que j’ai faites que tous les enfants qui sont dans les médersas viennent des milieux défavorisés et pauvres.
Une autre conséquence de cette marginalisation que nous sommes en train de vivre présentement est la radicalisation elle-même entretenue par la pauvreté et l’abandon. Celui qui ne trouve pas des oreilles attentives à ses revendications, il y a de risques qu’il se laisse entraîner par les terroristes qui ne sont que des brigands.
L’Essor : Quelles sont les propositions concrètes qu’on peut faire pour sortir de cette situation ?
Thierno Hady Thiam : Il s’agit dans un premier temps de revaloriser toutes les médersas et les écoles coraniques, car la langue arabe c’est comme la langue française. On ne doit pas marginaliser les élèves à cause de la langue ou à cause de leur religion. Il faudra aussi faire des passerelles entre les écoles coraniques, les médersas et l’école publique. Aussi, il est temps de créer des écoles normales pour former les enseignants des établissements franco-arabes parce qu’il faut la formation des formateurs pour que le niveau soit rehaussé. Il y a tellement d’élèves dans les medersas, qu’on ne peut pas laisser tout le monde aller vers les universités. Donc dans ce cas, on va ouvrir une école normale pour la formation des formateurs, un institut pour la formation des prêcheurs et des imams. Et ceux-ci vont s’occuper de la religion, mais étant bien formés. On va ouvrir des écoles d’apprentissage des métiers (mécanique, électricité, etc) mais seulement au niveau DEF. On peut aussi créer des écoles de traduction et d’interprétariat, français et arabe. Et les sortants de ces écoles pourront travailler dans l’administration surtout aux ministères des Affaires étrangères, des Affaires religieuses et autres ainsi que dans les ambassades comme des interprètes ou des traducteurs.
L’Essor : Quel commentaire faites-vous de l’idée d’islamiser une terre où l’islam est pratiqué depuis des siècles ?
Thierno Hady Thiam : Quand il y a eu l’attaque à Tombouctou en 2013 avec la destruction des mausolées, les envahisseurs ont voulu appliquer la charia dans un état laïc, les ulémas sont sortis avec des recommandations pour dire qu’il n’y a pas de jihad contre les musulmans. Le jihad qui veut dire fournir des efforts permet aux musulmans de se défendre contre les ennemis et mécréants qui voudraient les attaquer. Donc, on ne peut pas appliquer la charia islamique dans un État laïc, même si la grande majorité de la population est musulmane. Qui plus est, nous vivons dans un pays démocratique, républicain, laïc. C’est à la population de décider si on veut que l’arabe soit la langue officielle au Mali ou le français.
Un groupe ne peut pas s’organiser, venir tuer les gens, piller les biens, fermer les écoles, couper les mains au nom de la charia ou de l’islam alors que personne ne leur a donné cette autorisation au Mali ici et ni ailleurs. L’islam est organisé, c’est une religion divine ; il n’est pas la fabrication des gens. Ce n’est pas à un groupe de prendre la décision, de venir appliquer la charia.
En conclusion, le monde entier vit aujourd’hui un bouleversement planétaire. Le nouveau système mondial que certains veulent instaurer crée beaucoup de problèmes dans nos pays pauvres. Pour atteindre leur objectif, ils utilisent beaucoup de gens qui sont souvent innocents.
Curieusement, c’est dans les 56 États islamiques qui font 1 milliard cinq cent millions de musulmans sur la terre qu’il y a les problèmes et les crises. Et pourtant, ce sont les pays les plus riches sur la terre. Il y a l’exemple du Mali avec ses fleuves, ses terres cultivables, ses animaux, ses gisements (uranium, or, diamant, pétrole, gaz et autres). Dieu nous a tout donné, et pourtant à présent ils nous traitent de pauvres parce qu’ils veulent qu’on leur laisse exploiter. Il faut voir dans les pays du Golfe et dans le Moyen-Orient, là où il y a les tensions, ce sont des états pétroliers comme en Libye tout près. Et c’est cette démolition de l’ancien système qui a favorisé le terrorisme dans nos pays surtout avec la pauvreté et le manque de confiance entre gouvernants et gouvernés. Cette crise est plus grave que celle qui se passe au centre ou au nord. Les gens crient qu’il y a des crises, c’est vrai mais la base c’est le manque de confiance entre gouvernés et gouvernants. Si on arrive à résoudre ce problème, on va combattre le terrorisme très facilement, mais tant qu’il n’y a pas de confiance entre les politiciens eux-mêmes, entre les politiciens et la population, la crise va persister.
Il faut trouver une solution très rapide entre nous-mêmes, créer la confiance entre nous, ainsi on pourra faire face au terrorisme. En ce moment, ces « jihadistes » ou ces soit-disant « jihadistes » vont lamentablement échouer. Mais, tant qu’il y a la crise, ils vont trouver que l’état est faible et ils vont en profiter.
Donc, il est temps de prendre conscience de tous ces paramètres pour trouver une solution définitive à nos problèmes.
Propos recueillis
par Massa SIDIBÉ