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GAZ BUTANE: PÉNURIE EN VUE SUR LE MARCHÉ

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Bamako, 06 décembre (AMAP) Au fin fond de la zone industrielle de Banankabougou, en Commune IV, à l’opposé du Stade du  26 mars », une grande cour sur plusieurs milliers de mètres carrés. A l’entrée principale, un panneau mentionne « Sodigaz », la première société privée de distribution de gaz butane s’est, confortablement, installée là. Sur cette aire, les bombonnes de gaz font une montagne. Toutes vides. En face, les installations de remplissage des bombonnes sont liées à de grosses cuves. Curieusement, ce lieu de travail, habituellement, brouillant et bruyant par la manipulation des bombonnes de gaz et le mouvement des camionnettes, est vide et calme, ce lundi, début décembre, à notre passage. Pour cause, les cuves sont vides.

De sa fenêtre, Oudiary Diawara, le gérant, prend son mal en patience. Il se laisse consoler par la vue imprenable sur le parking de gros porteurs des cours voisines. Il tourne en rond dans son bureau situé à gauche et au-dessus des ateliers. “Comme vous pouvez le constater, nous sommes en arrêt de travail. Nous n’avons plus de gaz. Les partenaires nous exigent du cash”, explique le distributeur de gaz, à bout de nerfs.

Pourquoi n’avez-vous pas de cash ? A cette question, il répond sec: “Eh bien, parce que l’Etat nous doit beaucoup d’argent et il ne nous paye pas, depuis plus d’une année”. Comme lui, la quasi-totalité des sociétés de gaz sont au ralenti. Un retard de paiement de la subvention de plus de 6 milliards grève les comptes des sociétés de distribution qui vont manquer de quoi renouveler leur stock.La subvention qui leur permettait de respecter leurs engagements avec leurs fournisseurs n’est pas au rendez-vous. Le Trésor public est trop sollicité. Le pays traverse, en effet, un temps orageux du fait de crises multidimensionnelles.

Fatouma est une femme de ménage dans une des nombreuses familles nucléaires de Bamako. Elle dit vivre avec son époux et leurs trois enfants: Maman, Michou et Junior, le dernier de 6 ans. La jeune femme a 36 ans. Elle est mariée dans un quartier populaire de Bamako, Sogoninko. Elle habite non loin de la célèbre gare routière, « Autogare », réputée être un nid de petits bandits et un terrain de chasse de la police de proximité.

En lieu et place du gaz butane que la ménagère vient chercher, en ce jour ensoleillé de fin d’année, la dame, depuis ses 18 ans révolus, a toujours fait sa cuisine avec le charbon de bois. “Depuis quelques années, j’ai arrêté l’utilisation abusive du charbon. Il coûte de plus en plus cher”, explique la jeune femme qui repart de la gare routière avec une bonbonne de gaz rechargée.

“Au départ, j’ai toujours cru que le gaz est une affaire de nantis. En réalité, je me trompais. Le gaz est plus économique que le charbon, à mon avis”, poursuit Fatouma. C’est vrai, confirme Oudiary Diawara, gérant de Sodigaz et président du Regroupement des opérateurs gaziers. “Même en haut lieu, on pense que le gaz est une affaire de nantis. C’est totalement erroné. Les études démontrent que le gaz permet à nos ménages de faires des économies substantielles », explique l’opérateur..

TOTAL S’EN VA –L’utilisation du gaz butane peine à s’installer dans les habitudes et atteindre sa vitesse de croisière au Mali. Les ménages ne s’habituent pas encore à la cuisine avec le gaz. Le charbon et le bois demeurent les combustibles favoris. Dans un esprit volontariste, les autorités publiques ont libéralisé le secteur du gaz pour inciter les investisseurs à importer ce combustible. Double objectifs : préserver les forêts et améliorer les conditions de vie dans les foyers. Au fil des ans, sept sociétés de distribution de gaz butane se sont installées à Bamako et environ. Sodigaz a été le premier à se jeter à l’eau. Suivirent Sigaz, Coumba gaz, Kama gaz, Fasogaz, Dilli gaz, Bama gaz et MG gaz. Quelques multinationales se sont essayées à la commercialisation du gaz butane. La dernière en date à jeter l’éponge est Total. Le président des opérateurs gaziers pointe un doigt accusateur sur le Gouvernement qui ne respecte pas ses engagements de paiement des factures. En effet, depuis 1982, ce produit est largement subventionné par l’Etat pour encourager les populations à abandonner le charbon et le bois. De nos forêts, il ne reste plus grand-chose. Depuis 1982, une fois l’an, les factures déposées par les sociétés sont payées.

Constatant leur fonds de commerce bloqué dans les caisses de l’Etat, les multinationales se sont retirées du secteur. Seuls les privés nationaux se battent, comme ils peuvent, pour garder leurs sociétés en vie. Le Mali étant en guerre, les fournisseurs du gaz à l’étranger exigent des opérations de payer cash, avant d’enlever le gaz de leurs dépôts. C’est le cas au Togo, au Bénin, en Côte d’Ivoire. « Le retard de paiement de la facture de subvention de la part du ministère de l’Economie et des Finances a mis en péril nos activités », se plaint Oudiary Dawara.

Les arriérés de factures des opérateurs, au 30 octobre 2019, atteignent 6.500.000.000 de Fcfa. « Nous avons bénéficié de l’accompagnement du Fonds européen de développement (FED) pendant 3 ans », se souvient le président des opérateurs gaziers du Mali. « Au début, les pouvoirs publics ont honoré leurs engagements. Ces dernières années, nous avons, malheureusement, remarqué que de sérieuses difficultés persistent dans le règlement des factures », poursuit-il.

En matière d’utilisation du gaz butane dans les foyers, le Mali n’occupe pas un rang glorieux. Dans la sous-région, on arrive très loin après la Côte d’Ivoire (250 000 T/an), le Sénégal (160 000 T/an), le Burkina Faso (100 000 T/an) et la Mauritanie (70 000 T/an). Le Mali consomme, à peine, 20 000 tonnes par an. Il faut avouer que le gaz est mal vendu aux ménages. Et La communication autour de l’abandon du charbon est timide.

PAS D’ARGENT – Hamadoun Oumar Touré, Directeur de l’énergie domestique à l’Agence malienne pour le développement de l’énergie domestique et de l’électrification rurale (AMADER), au cœur du dossier de la subvention du gaz domestique, rappelle que la crise est récurrente. Entre l’Etat et les opérateurs, c’est une guerre entre le chats et les souris. Le spécialiste salue le courage des pouvoirs publics qui, depuis les années 1990, à l’instar des autres pays du Sud, a décidé de freiner la désertification à travers l’utilisation intensive du gaz butane. “Il s’est avéré que c’était un peu trop cher. C’est pourquoi, il fallait trouver des moyens pour amener les ménages à avoir accès à ce produit. L’idée de la subvention est ainsi venue. Le Mali fait partie des pays pionniers, en son temps, par rapport à la subvention du gaz. L’Etat subventionnait, non seulement, le gaz mais, même les réchauds pour permettre à une grande partie de la population d’avoir accès à ce produit”, explique-t-il M. Touré, sans chercher ses mots.

« Le Mali a commencé bien avant beaucoup de pays dans la région. Malheureusement, on est derrière tous ces pays aujourd’hui. Il faut reconnaitre que l’Etat a fourni beaucoup d’efforts, en payant six à sept milliards de francs CFA par an”, poursuit Hamadoun Touré qui note que “de nouveaux consommateurs arrivent tous les jours”. Et, par conséquent, la note devient de plus en plus salée.

Pour lui, l’enveloppe de la subvention grossit parce que le prix du gaz varie et échappe à toute maitrise. “C’est ce qui fait que l’Etat n’arrive pas à supporter cette subvention”, analyse le directeur technique. Sur le marché, il n’y a que deux types de bouteilles qui sont subventionnées : les six et les trois kilogrammes. Malgré tout ce que l’Etat est en train de fournir, il y a des difficultés de remboursement pour la simple raison que l’argent dédié à ce financement ne couvre pas les besoins. Les difficultés résident à ce niveau ».

En dépit des difficultés, l’horizon n’est pas sombre. Notre interlocuteur révèle que l’Etat a déjà entamé des réformes pour un financement plus adapté du gaz : un fonds gaz. Selon lui, une étude qui a été commanditée par l’Office national des produits pétroliers (ONAP) au niveau du ministère des Finances a démontré la pertinence de l’idée. “Cela peut être un début de solution pour appuyer, un peu, le gouvernement à alléger la charge de cette subvention sur le budget de l’Etat”, espère Hammadoun Touré.

Sur ce point, il est en phase avec les opérateurs gaziers qui ne demandent qu’un mécanisme plus fiable pour disposer, à temps, de leurs ressources. Mais en attendant la création du Fonds gaz et sa mise en orbite, Fatouma et les autres femmes vont devoir s’attendre à des ruptures répétées de gaz. Les mêmes effets risquent de conduire aux mêmes conséquences, d’année en année.

Des ménagères, comme Fatouma, utilisant le gaz butane pour faire la cuisine, en famille, ne sont pas nombreuses. Fatouma a eu beaucoup de chance. Elle repart du point de vente avec une recharge de gaz, gonflant, à son tour, l’enveloppe de la subvention en souffrance. Après avoir remplacé sa bombonne de gaz de 6 kg contre 3500 Fcfa, elle ne sait pas que près de la moitié du coût réel est pris en charge par l’Etat. Elle aurait pu débourser au moins 6000 Fcfa pour le même produit. « Je ne sais pas pour les autres femmes mais je pense, réellement, qu’il est plus avantageux de cuisiner avec le gaz que de se salir les mains et la maison par le charbon. L’Etat doit continuer à nous aider », ajoute, timidement, la jeune femme qui repart en direction de son domicile, avec un léger sourire aux lèvres.

AC/OD/MD

(AMAP)

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