Un sport collectif devenu individualiste
Ces douze dernières années, le football a connu la suprématie de deux monstres, que tout
oppose mais que la régularité dans les performances unit. Ils ont été comparés sous
absolument tous les angles, notamment les titres, puis l’unité de mesure pour les
départager est devenue le but. Messi et Cristiano Ronaldo (CR7) ne sont pas l’objet de cet
article, mais leur rivalité a tellement été forte que la Ligue des Champions et leur nombre
de buts ont à chaque fois déterminé qui était numéro 1 pour le Ballon d’or. Cette recherche
effrénée du titre individuel a commencé à avoir un impact négatif sur ce sport qui, faut-il le
rappeler, est collectif et surtout, malheureusement, à dénaturer le jeu des ‘’candidats’’ au
Ballon d’or. Les scènes de joueurs se disputant des penaltys ou ne faisant pas la passe qui
s’imposait sont devenues nombreuses, Salah, Neymar et Cavani ne nous contrediront pas.
Complexe :
Au delà de la tendance individualiste vers laquelle est entraînée ce sport collectif, ces votes
pour le Ballon d’or suscitent également une réflexion sociétale qui va au-delà du football.
Il existe clairement un complexe, façonné notamment par des années de désinformation et
mythes sur le joueur ‘’noir’’, physique et solide mais qui serait très peu doté de capacités
techniques et tactiques. N’est-ce pas Laurent Blanc, Sagnol, Riolo?
Ce complexe s’est imprimé dans la tête de beaucoup, à commencer par certains africains
eux mêmes, qui vont tout bonnement affirmer qu’il est impossible que Sadio Mané soit
devant Lionel Messi dans un quelconque classement. Diantre, il ne s’agit absolument pas
de récompenser quelqu’un qui ne le mérite pas, loin de là, mais plutôt de rendre à César ce
qui appartient à César.
N’ayons pas peur des mots, il y a une forme de jalousie maladive de certains ‘’frères’’ qui
privilégient la réussite de l’étranger plutôt que du voisin, car percevant que celle-ci les
écraserait. ‘’Si Eto’o ou Drogba ne l’ont pas eu, ‘’votre’’ Sadio ne va pas l’avoir…’’. Ces deux
stars africaines ont pourtant vocalement exprimé leur soutien à Sadio Mané et crié leur
ras-le-bol quant au manque de reconnaissance des joueurs africains dans ces trophées.
D’autres vont dire les africains n’ont pas voté pour Sadio donc TAISEZ-VOUS et ne vous
plaignez pas. La sottise de cet argument est extrêmement troublante et dénote d’une
ignorance des raisons profondes de ce complexe. Ce type de raisonnement devait
sûrement exister à l’époque pour que 400 ans de traite négrière prospèrent sur le
continent. D’autres diront pourquoi le soutenir juste parce qu’il est africain? À la coupe du
monde, les africains soutiennent les équipes du continent car elles sont largement
sous-représentées dans la compétition. En terme de situation minoritaire, c’est le même
cas pour le Ballon d’or avec en plus la nuance que l’Amérique a voté Messi et l’Europe Van
Dijk.
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Les chaînes mentales sont réelles. Économie, Sécurité, ça va bien au-delà du football, pour
des sujets beaucoup plus importants.
Il est souvent délicat de parler de racisme, pour la bonne et simple raison que, dans des
cas de ce genre, dix mille justificatifs peuvent être convoqués pour cacher ou nier cet abject
sentiment. Identifier les ‘’double standards’’ qui, eux, sont irréfutables, est un exercice plus
aisé, plus rationnel, moins subjectif. Alors identifions les…
Sadio Mané en 2019
Bien au-delà des statistiques, (le foot n’est pas le basket), Sadio Mané a connu une année
2019 monstrueuse. Encore faut-il pour ça suivre les matches (ce que les américains
appellent ‘’eye test’’ ) pour être bluffé par sa percussion, sa justesse technique, son
abattage et ses retours défensifs. Son impact sur Liverpool et l’équipe nationale du
Sénégal, en tant que leader technique et joueur le plus décisif, est tout simplement
indéniable.
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Mais puisqu’il faut parler des stats, il finit quand même meilleur buteur du championnat
d’Angleterre, 22 buts, avec aucun penalty et plusieurs passes évidentes non reçues. Je
demeure convaincu que la course au Ballon d’or africain a compté pour beaucoup dans la
perte du titre de champion de Liverpool d’un point, Sadio Mané étant délibérément privé,
plus d’une dizaine de fois, d’être face au gardien ou aux buts vides. Ah oui, les buts
donnent le Ballon d’or…
Puisqu’il faut parler de buts, à la CAN, il est deuxième meilleur buteur, marque autant que
Mahrez et mène son équipe nationale en finale.
En Ligue des Champions, il est également sensationnel. Neuer ne dira pas le contraire. Face
au grand Barça, c’est le seul des trois stars de l’attaque liverpuldienne qui est présent au
retour, et s’il ne marque pas pour cette victoire historique 4-0, il est partout malgré le jeûne
du ramadan. Il décante la situation dès le début en finale en obtenant un penalty… que
s’empressera de tirer Salah. Ah oui, les buts, ça donne le Ballon d’or…
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Penchons nous sur ceux qui le devancent au classement du Ballon d’Or…
Messi
Sur le plan du talent pur, la suprématie de Lionel Messi est indéniable sur tout autre joueur
(ou quasiment, pour ne pas relancer les sempiternels débats Messi-CR7 au demeurant de
plus en plus ennuyeux). Mais le ballon d’or est une récompense annuelle. Et sur l’année
2019, nous avons vu Messi humilié en Ligue des Champions (par le Liverpool de Sadio
Mané), battu (puis suspendu) en Copa America avec un penalty au compteur pour toute la
compétition et même perdant en Coupe d’Espagne. Ironie du sort, il faisait le doublé
coupe-championnat la plupart des années où il s’est incliné devant CR7 et donc avait plus
de titres que cette année où il remporte le Ballon d’or. D’autres diront mais il a marqué
plus de buts que tout le monde. Dans ce cas pourquoi Modric a t-il remporté le Ballon d’Or
en 2018 et pas CR7? Très logique tout ceci…
CR7
Il a remporté l’ô combien Prestigieuse ‘’Ligue des Nations’’ (oui oui, la nouvelle compétition
de matches amicaux entre européens) et les trophées domestiques avec la Juventus (qui
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les gagne chaque année depuis huit ans, Cristiano ou pas) et a vu une baisse vertigineuse
de ses statistiques. Éliminé par l’Ajax en Ligue des Champions, SA compétition. Il termine
malgré tout devant Sadio Mané au classement. Étonnant et détonnant. Ah oui les buts c’est
important pour le Ballon d’Or, mais comme c’est CR7 c’est différent.
Van Dijk
Le titre de meilleur joueur de PL de Virgil Van Dijk et sa propulsion en avant par Liverpool
même, au détriment de Salah et Mané, sont pour moi les faits les plus troublants de tout
ceci. Fermons les yeux et imaginons Mbappe ou Neymar faire la saison de Mané. Qui va
oser propulser Thiago Silva comme figure de proue? Durant toutes les années de succès du
Real Madrid cette année, jamais on a imaginé Sergio Ramos comme Ballon d’Or. N’a t-il pas
évolué à un niveau extraordinaire et d’ailleurs été plusieurs fois décisif? Matip, Lovren, les
pauvres vont toujours au duel et au charbon. Mais ils ne sont pas grands avec un port
altier, serein et une queue de cheval, pointant du doigt pour ‘’donner des ordres’’. Van Dijk
est certes un grand défenseur qui a été très performant en 2019 (enfin à part la fuite
systématique face à Messi au match aller), et à un niveau tout à fait similaire en 2018
d’ailleurs. Mais cette année là il n’a pas été mis en avant par rapport à Salah qui avait été au
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top niveau. Pourquoi l’est-il alors en 2019 quand Sadio est le meilleur? Il est tout à fait
convenable qu’un défenseur puisse être Ballon d’or, comme la légende absolue
Beckenbauer ou Cannavaro en 2006. Mais si c’est seulement l’année où le petit sénégalais
est bien placé… hum… double standard!
Liverpool
C’est cependant bien ce qui a été fait par le club, notamment son coach, Jurgen Klopp, son
vice-capitaine James Milner, et sa légende Steven Gerrard, avec des déclarations prenant
fait et cause pour le géant hollandais à quelques jours du verdict.
La personnalité trop lisse de Sadio est elle en cause? Il est gentil, il sourit, il ne fait jamais de
vague. C’est la raison de la surprise générale lors de son énervement après une énième
passe décisive refusée par Salah. Cet épisode est arrivé beaucoup trop tardivement. Sadio
étant très discipliné, il a longtemps attendu que le coach ramène le joueur concerné à la
raison. Cela n’a pas été le cas. Pour le Ballon d’or, Klopp connaissait peut-être les résultats
au moment de sa déclaration mais il aurait dû être plus intelligent sur le coup, comme l’a
été Didier Deschamps en 2018.
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Ballon doorkat, ballon dehors, ballon dort, les jeux de mots s’empilent et il urge pour
France Football de revoir sa liste de votants afin que la transformation en une mascarade
de ce trophée autrefois prestigieux ne devienne inexorable .
Oui, Weah l’a gagné en 1995. Cette année là, les africains n’avaient pas voté. D’ailleurs est-il
sûr que si ça avait été le cas, Weah aurait fini gagnant? Klinsmann, Del Piero, ça faisait plus
convenable, n’est-ce pas?
Quant à toi Sadio, ne te décourage pas, que tout ceci décuple plutôt tes forces. Quand
Messi et CR7 ont commencé à gagner ce trophée, tu jouais encore pieds nus sur les
terrains de Bambaly. Tu es maintenant parmi eux. Continues à être décisif, préserve tes
intérêts au maximum (il n’est pas normal que Salah, Van Dijk et Firmino gagnent plus en
salaire que toi malgré ta renégociation de contrat), poursuit tes immenses oeuvres sociales
et saches que tu es aimé de ton peuple. Il a été présent sur les réseaux sociaux (
#SadioManeBallondor) et sur les médias (avec les anciens gaindés Habib Beye et Diomansy
Kamara, entre autres).
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Continues à écrire ton histoire, une histoire de Lion!
Amadou Kane (Douk Kardastyle)
Producteur du film ‘’Sénégal :Une Histoire de Lions’’
amadoukane16@hotmail.com #UneHistoiredeLions