Les paysans commencent à comprendre que leurs enfants leur seront plus utiles instruits que brisés par de lourds travaux champêtres.
Initié par l’Association «Routes du Sud» d’Awa Méité van Til, la 10e édition du Festival Daoulaba, «Rencontres autour du coton», a eu lieu du 13 au 15 décembre 2019 au Musée national de Bamako. Elle a débuté par une conférence-débats sur le travail des enfants dans les zones cotonnières du Mali. Un thème présenté par un panel d’experts.
«Chœur de femmes pour tisser la paix» ! Tel était le thème de cette 10è édition. Un événement qui, compte tenu de sa pertinence et de son prestige croissant, a bénéficié du soutien de plusieurs partenaires comme l’Organisation internationale du travail (OIT), l’Union européenne (UE), l’Unesco… «Ce festival est un rendez-vous autour du coton. Mais, pas que du coton seulement», a précisé la coordinatrice de «Routes du Sud», Mme Awa Méité van Til, à l’ouverture de l’événement.
Phénomène récurrent dans les zones cotonnières, le travail des enfants était au cœur des échanges de la première conférence-débats le vendredi 13 décembre 2019. Un thème présenté par un panel d’experts. L’équation à ce niveau, c’est de pouvoir faire la différence entre la socialisation et les pires formes du travail effectué par un enfant sans commune mesure avec son âge, son poids… Premier à prendre la parole, le directeur de la Cellule nationale de lutte contre le travail des enfants (créée par la loi n° 10050 du 23 décembre 2010) a présenté le phénomène en faisant un état des lieux et en présentant des instruments juridiques nationaux, panafricains et internationaux visant à le combattre.
Ainsi, selon Amadou Thiam, une enquête réalisée en 2005 faisait ressortir que deux enfants sur trois travaillent pour améliorer le revenu familial ; 40 % des enfants font un travail dangereux. À l’époque, le nombre d’enfants travailleurs était estimé à trois millions, dont près de 57 % dans l’agriculture. Et pourtant, a rappelé M. Thiam, la Constitution du Mali protège les droits de l’enfant. Tout comme la loi n°92-020 (adoptée par l’Assemblée nationale le 18 août 1992) portant Code du travail. Notre pays a aussi adhéré à la Charte africaine pour la protection de l’enfant et de diverses conventions internationales.
L’expert a rappelé que l’âge légal du travail au Mali est 15 ans. Consultant, Mamadou Touré a d’abord mis l’accent sur les avantages que les paysans, les coopératives, le Trésor public… tirent de la cotonculture. Pour la campagne 2017-2018, le Mali a occupé la première place en Afrique subsaharienne avec 728 000 tonnes. Ce qui a rapporté 187 milliards de Fcfa à la vente, dont 4 milliards reversés aux coopératives. Sans compter que les zones cotonnières produisent 25 à 30 % des céréales du pays.
Et les revenus du coton permettent aux cotonculteurs de s’équiper ; de réaliser des écoles, des centres de santé communautaire (CSCOM), des adductions d’eau potable, des lieux du culte. Mais, pour M. Touré, il est regrettable que 71 % des cotonculteurs soient encore accrochés à la méthode conventionnelle moins rentable que la culture bio par exemple. PRISE DE CONSCIENCE-Si la production de coton biologique de la CMDT est actuellement marginale (200 tonnes sur une production annuelle totale de 728 000), le potentiel est pourtant estimé à plusieurs milliers de tonnes par an. Et selon les observateurs, cette filière bio est appelée à compléter et éclipser progressivement celle du coton traditionnel. Et cela d’autant plus qu’elle représenterait pour les cotonculteurs des milliers d’emplois en plus ainsi qu’une hausse conséquente des revenus.
Membre d’une coopérative de producteurs de la Région de Sikasso, Samuel Zonou est bien placé pour faire le point du travail des enfants dans les zones cotonnières, notamment dans la 3è région administrative du Mali où 95 % des paysans cultivent du coton. Il ne nie pas le phénomène même s’il assure qu’il est en baisse ces dernières années. Selon lui, les enfants sont utilisés surtout pour labourer, semer et récolter les champs de coton. Il lie le phénomène au manquer de bras valides et le sous-équipement de certaines familles. Mais, ces dernières années, le phénomène du travail des enfants est en baisse parce que, grâce aux campagnes d’information et de sensibilisation, les paysans commencent à comprendre que leurs enfants leur seront plus utiles instruits que brisés par de lourds travaux champêtres.
La mécanisation amorcée ces dernières années contribue aussi à la réduction du travail des enfants dans les champs de coton. Selon M. Samuel, depuis plus de deux ans, le Bureau international du travail (BIT) finance des projets pour prévenir et lutter contre le phénomène dans les zones cotonnières. «Même s’il est timide, le changement est perceptible car la prise de conscience est réelle au point que, aujourd’hui, des coopératives répriment le travail des enfants. Les contrevenants sont amendés et les amendes prélevées sur leurs ventes du coton… Les enfants et les femmes sont également exclus de l’utilisation des produits toxiques…», a expliqué M. Samuel Zonou.
10 000 ENFANTS SAUVÉS
Le responsable de la Cellule nationale de lutte contre le travail des enfants, M. Thiam, a également confirmé cette prise de conscience qui est la conséquence du travail d’information et de sensibilisation du gouvernement et de ses partenaires comme le BIT et des ONG. Cette sensibilisation a ainsi touché au moins 8.353 acteurs (paysans, leaders communautaires…). Tout comme 995 enfants ont été touchés par ces campagnes. «10 000 enfants ont été ainsi sauvés des pires formes du travail.
Certains ont été scolarisés et d’autres ont bénéficié de programmes de formation par l’apprentissage pour pouvoir mieux s’insérer dans la vie active et se construire un meilleur avenir», a souligné Amadou Thiam. Mais, pour lui, les acquis sont fragiles. D’où la nécessité d’une coordination des initiatives afin de créer une synergie d’actions plus efficace. Le panel a également formulé des recommandations pour enrayer totalement le phénomène du travail des enfants dans la cotonculture. Il s’agit par exemple de l’accélération de la révision des statuts pour une meilleure prise en charge des droits fondamentaux au travail du BIT Adoptée en 1998, la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail reconnaît quatre droits du travail comme fondamentaux.
Il s’agit de ceux relatifs à la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective ; l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire ; l’abolition effective du travail des enfants ; et l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession. Les experts ont aussi recommandé au gouvernement et à ses partenaires de recenser et d’aider les familles démunies à s’équiper pour qu’elles n’aient plus à recourir aux enfants comme employés. L’accélération de l’accès des enfants à l’éducation est aussi vivement souhaitée.
Moussa BOLLY
Source: Journal l’Essor-Mali