Les recommandations et résolutions du DNI, la révision de certaines dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation sont des sujets sur lesquels s’exprime dans cette interview le président du parti Alliance pour la République. L’ancien ministre évoque également la situation sécuritaire du pays ainsi que la question de la lutte contre la corruption et la délinquance financière.
L’Essor : Monsieur le président, selon vous, les recommandations et résolutions issues du Dialogue national inclusif pourraient-elles être la voie de sortie de crise pour notre pays ?
Oumar Ibrahima Touré : Permettez-moi d’abord de vous remercier pour l’initiative de cette interview, mais aussi pour votre travail d’information au profit de nos concitoyens et cela depuis des décennies. Le journal L’Essor occupe une place particulière sur la scène de la presse écrite au Mali.
Cela dit, nous saluons cette belle initiative que fut le Dialogue national inclusif. Le président de la République a été bien inspiré de proposer le DNI. Le gouvernement est à remercier pour l’organisation. Nos aînés du Triumvirat ainsi que le comité d’organisation, dirigé par l’ambassadeur Diarra, méritent nos félicitations. Sans l’implication des citoyens, le dialogue n’aurait pas eu cette ferveur collective. C’est dire que sa réussite doit à la conjugaison des efforts des uns et des autres, du pays profond jusqu’à Bamako pour la phase nationale.
Ce fut non seulement un bel exercice démocratique, mais aussi une occasion de retrouvailles fraternelles et citoyennes entre filles et fils de la nation. Il faut néanmoins regretter l’absence d’une partie de la classe politique, mais j’ose espérer qu’étant un pays de traditions et de cultures ancrées dans le dialogue, nous continuerons, sans doute, à nous parler. J’ai, en dépit de ces absences dont je parlais à l’instant, noté une forte mobilisation, un enthousiasme populaire, des débats parfois houleux, mais tous inscrits dans le respect dont nous savons faire montre comme valeur cardinale de notre société.
Il faut également saluer la pédagogie qui a porté le dialogue, des communes jusqu’au plan national en passant par les cercles et les régions. Cette stratégie d’échelle a permis de prendre en compte le pouls réel du pays et les aspirations profondes des populations. Les différentes thématiques ayant servi de cadre directeur étaient aussi pertinentes, en phase avec les enjeux du moment.
Vous évoquiez les recommandations et les résolutions. Il faut d’abord dire qu’elles s’inscrivent justement dans l’analyse et la pédagogie dont je parlais à l’instant. Ces recommandations et résolutions sont le fruit des débats, de la réflexion, de la critique et des aspirations du peuple. Elles sont donc pertinentes, justes et très intéressantes. Elles peuvent, si elles sont appliquées, contribuer bien sûr à la recherche de solutions dont notre pays a fort besoin et attend depuis la grave crise de 2012.
Il ne faut néanmoins pas oublier que notre crise est structurelle et la sortie de crise ne se fera pas avec un bâton magique. Mesurons donc les propos et l’enthousiasme en sachant que le Dialogue national inclusif ne constitue qu’une étape. Nombreux et épineux demeurent les défis. Pour que ces recommandations et résolutions du DNI puissent être efficaces, il faudra une forte volonté politique, surtout de la part du président de la République et du gouvernement, mais aussi de tous les protagonistes et partenaires du dialogue pour œuvrer ensemble dans le suivi et la mise en œuvre. La mise en œuvre, il faut insister là-dessus, se fera également avec une pédagogie échelonnée en fonction de la nature des résolutions, de l’urgence et surtout des enjeux. Osons donc espérer que le défi de la mise en œuvre sera collectivement relevé.
Il faut saluer la décision de la mise en place d’un mécanisme indépendant de suivi et de mise en œuvre des résolutions du Dialogue national inclusif.
L’Essor : Le président de la République a entamé son second mandat à la tête du pays, il y a un peu plus de 15 mois. Quelle appréciation faites-vous de la gestion des affaires publiques ?
Oumar Ibrahima Touré : On ne peut évoquer le bilan du président de la République sans le placer dans le cadre global de la crise qui affecte le Mali. Beaucoup d’actions, d’initiatives résonnent de manière complexe avec la crise. Je constate que les efforts se poursuivent dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et l’insécurité. Le Dialogue national inclusif que nous venons de clore constitue un effort immense dans le cadre de la stabilité, car le Mali ne se relèvera pas sans la conjugaison des efforts dans tous les sens. Tout est mêlé : sécurité, défense, stabilité, social, infrastructures, emploi, économie, culture. J’espère que dans les mois et les années à venir, les efforts vont s’amplifier. Quinze mois, c’est certes important, mais à l’échelle et à la teneur de la gravité de la crise, ce n’est guère suffisant.
Le président de la République a donc besoin de temps. C’est même l’une des conditions d’efficacité et de mise en œuvre des politiques publiques.
Je souhaite tout de même plus d’accélération et de volonté dans les initiatives et les actions pour une action gouvernementale plus vigoureuse et surtout plus ambitieuse.
L’Essor : Estimez-vous que la possibilité de réviser certaines dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation pourrait donner une nouvelle impulsion à la mise en œuvre du texte que l’on peine à appliquer convenablement ?
Oumar Ibrahima Touré : Dans la recherche de la paix, surtout de solutions durables, rien n’est, de mon point de vue, tabou à condition de mettre le Mali au-dessus de toute considération. Le Mali dans son intégrité territoriale, le Mali dans son unité. Nous partageons la proposition du DNI concernant la relecture de l’Accord d’Alger en certaines de ses dispositions conformément à l’article 65 dudit accord.
Si cette révision peut mettre fin à certaines incompréhensions mutuelles, accélérer le tempo de l’application et contribuer à la sortie de crise, je pense que nous pouvons tout essayer, la ligne rouge étant l’intégrité territoriale de notre cher et commun pays, le Mali.
L’Essor : La situation sécuritaire est préoccupante, particulièrement dans les Régions de Mopti et Ségou. Quelles sont vos recettes pour juguler cette crise ?
Oumar Ibrahima Touré : Vous avez raison. Il y a une sorte de regain dans la menace terroriste et c’est une préoccupation majeure, nationale. La situation sécuritaire s’en trouve affectée. Avant de parler des recettes, il convient d’en dire sur la nature de la menace. Le terrorisme aime à opérer sur trois registres essentiels : se fondre dans l’environnement pour mieux surprendre, opérer de manière asymétrique, mettant au défi les armées conventionnelles et enfin se métastaser tel un cancer. Il n’est donc pas étonnant de le voir se répandre. Il faut surtout ajouter cette autre dimension, le caractère transfrontalier, affectant, au-delà du Mali les pays voisins. Vous voyez donc qu’en termes de recettes, malgré les efforts nationaux, il serait mieux indiqué et réfléchi d’échanger, de penser et d’agir ensemble au plan sous-régional, régional et même international.
Ceci dit, je pense que les efforts du gouvernement en matière d’équipement des FAMa doivent se poursuivre. Viendra en complément l’implication de nos partenaires étrangers de Barkhane et de la Minusma. Nous ne devons en aucun moment perdre de vue que les forces internationales particulièrement les forces françaises Barkhane sont sur notre territoire à notre demande pour nous aider.
Je m’associe à la demande récurrente du président de la République pour rendre le mandat de Barkhane et la Minusma plus robuste, mieux adapté en faveur de plus d’efforts dans le sens de la neutralisation réelle des terroristes. Les résolutions du Dialogue national inclusif constituent également des recettes. L’implication des populations des zones affectées pour aider les FAMa, par les informations et le renseignement, constitue une recette, car les populations, en plus d’être les premières victimes des crises du terrorisme et de l’insécurité, connaissent bien leur zone, sa géographie.
En d’autres termes, les populations maîtrisent leur propre environnement et peuvent mettre à la disposition des FAMa leurs précieuses connaissances du terrain. Cela pourra bien aider nos braves soldats dans leur noble travail patriotique. Entre autres solutions, l’accélération du processus du DDR pourra également contribuer à la stabilisation et à la réconciliation.
L’Essor : L’organisation prochaine d’un sommet à Pau en France entre les présidents des pays du G5 Sahel et leur homologue français pourrait-elle être un tournant dans la lutte contre le terrorisme dans cette région?
Oumar Ibrahima Touré : Je crois que c’est très tôt d’anticiper sur ce sommet. Je pense qu’il est mieux indiqué d’en attendre les conclusions et les décisions majeures. Ce que l’on peut néanmoins souhaiter, c’est un échange franc, audacieux entre les pays du G5 Sahel et leur partenaire français pour plus de clarification, de compréhensions mutuelles au profit d’un partenariat respectueux, efficace pour un Sahel de plus en plus sécurisé, plus stable. La lutte contre le terrorisme est forcément une lutte de synergie, de coopération, de mutualisation des efforts. Aucun État, même puissant, ne peut juguler une telle crise et les expériences à travers le monde nous le prouvent à satiété. Espérons donc que le sommet de Pau soit un tournant en matière de propositions et d’actions concrètes, plus innovantes, adaptées aux enjeux réels et besoins réels.
L’Essor : Depuis un moment, on observe la prise de plusieurs initiatives courageuses pour lutter contre la corruption et la délinquance financière. Qu’en pensez-vous et quelles sont les solutions pour lutter contre ces phénomènes qui ralentissent le développement de notre pays ?
Oumar Ibrahima Touré : C’est aussi une initiative à saluer. La corruption et la délinquance financière minent les efforts de développement comme vous l’avez souligné. Elles sapent la justice sociale. Nous ne pouvons donc que saluer ces initiatives, mais elles doivent éviter les mises en scène pour ne pas dire populistes et refléter une vraie volonté. Aussi, elles ne doivent pas être ciblées ou orientées. Cette lutte doit être au-dessus des considérations politiques et partisanes pour refléter l’esprit d’une justice indépendante.
Il faut, également en matière de solutions, des initiatives préventives bien que la sanction soit dissuasive. C’est ainsi, je le pense, que la lutte contre la corruption et la délinquance financière sera plus efficace en œuvrant sur les deux registres, préventif et punitif, le tout dans le respect des droits des personnes interpellées.
Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ
Source: Journal l’Essor-Mali