Accueil Education Éducation : Le grand désordre

Éducation : Le grand désordre

375
0
PARTAGER

Après une année scolaire 2018 – 2019 « sauvée » de justesse, l’année scolaire 2019 – 2020 ne s’annonce pas plus sereine. Les 120 heures de grève déclenchées le 16 décembre 2019 ont été reconduites et un préavis pour 14 jours de grève est prévu à partir du 21 janvier 2020 par tous les syndicats de l’enseignement public. Ces mouvements récurrents, symboles des difficultés de gestion de l’école, cachent un mal plus profond, qui gangrène l’éducation malienne depuis plusieurs décennies. Programmes inadaptés, système non harmonisé, enseignants mal formés… Si les maux sont bien connus,  les solutions semblent lointaines, tant la vision commune et la volonté politique pour leur mise en œuvre sont inexistantes.

« Le peuple se désagrège à cause de la mauvaise qualité de l’éducation et de la formation reçue par les apprenants. La crise que vit le pays est même en grande partie liée au dysfonctionnement du système éducatif. Soigner le mal du Mali, c’est sauver l’école », déclare en substance Koundya Joseph Guindo, Directeur national de l’enseignement catholique

Même si le tableau est bien sombre, cette situation n’est pas une fatalité, ajoute M. Guindo. Les maux qui minent l’école contribuent chaque année à la baisse de la qualité de la formation. L’école n’est plus une clé pour la réussite. Elle est même devenue « une prison », où l’on passe obligatoirement, mais sans motivation ni conviction. Ses problèmes sont ceux de la société malienne et ont pour noms : mal gouvernance, incivisme, corruption et violence.

Faiblesses récurrentes

Caractérisée par une « insouciance et un manque de projets de la part des dirigeants », l’école est comme laissée à elle-même. Le pays est même devenu « un champ d’expérimentation des innovations pédagogiques », relève M. Ousmane Almoudou, Secrétaire général du Syndicat national des enseignants fonctionnaires des collectivités territoriales (SYNEFCT).

Hérités des années de l’indépendance, les programmes d’enseignement ne sont plus adaptés à la réalité et ne répondent ni « aux attentes des apprenants » ni à celles de la société, note M. Guindo. Devenue une fabrique de chômeurs pour la grande majorité des sortants, l’école a besoin d’une réelle réforme pour leur redonner de la motivation. Pour les apprenants et les formateurs, elle doit redevenir attrayante. Redonner du sens et recouvrer le caractère sacré du rôle du maître relèvent de la responsabilité des autorités. Et la motivation n’est pas que matérielle, précise M. Guindo. Il s’agit de promouvoir le mérite et d’attribuer les responsabilités en fonction des compétences, afin que ceux qui travaillent ne soient pas frustrés. Mais, à l’école plus qu’ailleurs, la corruption a tellement gagné du terrain que même ceux qui n’ont aucune qualité peuvent prétendre aux emplois, parce qu’ils bénéficient d’un appui.

Souvent recrutés parce qu’ils « ont échoué ailleurs », les enseignants n’ont plus la vocation et leur rôle « sacré » est mis à mal par l’existence d’autres « instances éducatives » et une globalisation synonyme de perte de repères et d’identité.

L’école publique malienne est gérée par 2 ministères : celui de l’Éducation et celui des Collectivités. Les enseignants de la fonction publique des collectivités, gérés par les maires, représentent 80% du total. Les Directeurs des Centres d’animation pédagogiques (CAP), désignés par l’État et censés assurer la tutelle, n’ont aucune prise sur ces derniers, dont ils ne sont plus les supérieurs hiérarchiques, « ce qui pose un problème », ajoute M Guindo.

À quelques kilomètres de la ville de Bamako, il n’est pas rare de trouver des écoles de 6 classes pour 3 enseignants ou même dans le Mali profond tout un cycle ne comptant qu’un enseignant ou deux, témoigne M. Guindo. Une situation de sous-effectifs où la qualité de l’enseignement devient un objectif impossible à atteindre. Ces problèmes de gouvernance sont aggravés par la gestion calamiteuse des mouvements de grève au sein de l’école. Après les « acquis » de l’année dernière, c’est un nouveau motif qui justifie les sorties de cette année. S’il ne s’agit pas d’une nouvelle revendication, l’application de l’article 39 du Statut du personnel enseignant, censé faire bénéficier cette corporation de l’augmentation de 20% des salaires obtenue par l’UNTM en janvier 2019 voit les arguments des autorités loin de convaincre leurs interlocuteurs.

« Malheureusement, rien ne nous montre que l’État a des conditions financières difficiles. Quand l’augmentation a été accordée, le pays était déjà en guerre. D’autre part, les dépenses faramineuses des responsables de l’État n’ont pas cessé, donc cet argument ne tient pas », rétorque le Secrétaire général du SYNEFCT. Ce dialogue de sourds oblige tous les acteurs de l’école à s’impliquer pour sortir d’une crise qui n’a que trop duré.

Responsabilité collective

Pour stopper la dégradation continue de la situation de l’école, même si le rôle régalien d’assurer l’éducation est incontournable pour les gouvernants, chaque acteur a ses responabilités.

Mais toutes les solutions aux difficultés de l’école resteront inefficaces sans une formation de qualité des enseignants. Assurer une formation initiale et continue des professeurs suppose entre autres une « utilisation judicieuse des fonds » alloués à cet effet, suggère M. Guindo. L’État doit en outre continuer le recrutement et le redéploiement des enseignants là où cela est nécessaire. Les parents d’élèves, véritables « relais des autorités scolaires, doivent y être associés ».

Les enseignants, qui n’entendent pas se soustraire à leurs responsabilités, préconisent des « solutions holistiques ». Avec au préalable un « vrai dialogue social », qui permettra d’apaiser le front social et surtout d’anticiper les problèmes, le SYNEFCT propose un consensus entre tous les acteurs, surtout autour des programmes et du système d’enseignement.

En effet, s’il est essentiel de partager la stratégie, il est indispensable que l’État ait une vision et le courage d’adopter un nouveau système. Parce que ce qui est en cause, ce ne sont pas les curricula, par exemple, qui sont bons, selon les acteurs, c’est la qualité de ceux qui doivent les transmettre et surtout leur « survie ».

« Le problème est que l’État ne s’auto finance pas », regrette M. Abdourhamane Diallo,  Directeur coordinateur du groupe scolaire  Mamadou Konaté. Le projet CIRA, « renforçant » les acquis de la pédagogie convergente et les curricula, est soutenu par l’USAID depuis 2016. Il doit prendre fin cette année. « Mais nous ne savons pas quand il va être renouvelé ou si c’est l’État qui prendra le relais », ajoute-t-il.

Clivage public – privé

Cette méthode d’apprentissage, jugée efficace par les acteurs, est pourtant rejetée par les parents d’élèves.

« Pour les parents, on apprend aux enfants la langue bambara, par exemple, alors que c’est une manière par laquelle les enfants apprennent mieux. Les parents sont hostiles, ce qui explique la pléthore au niveau des écoles privées », explique M. Diallo.

Inaccessibles pour la plupart des parents d’élèves, en raison des coûts, ou souvent « taxées de fournir des résultats tronqués », les écoles privées demeurent nécessaires, car « l’État n’a pas les moyens d’assurer l’école à tout le monde », ajoute le Directeur national de l’enseignement catholique. Cet ordre d’enseignement, grâce aux subventions de l’État, pratique des coûts plus « modérés », justifiant la grande sollicitation dont il fait l’objet. « Nous avons plutôt un problème de capacités d’accueil  que de coût », ajoutent ses responsables.

Cette « disparité » entre le public et le privé se manifeste sur le terrain et impacte les résultats. « Depuis environ 4 ans, l’école publique n’a pas atteint 100 heures de travail annuel », au moment où le privé catholique effectue 120 heures et où la norme serait de 150 heures au moins pour un pays comme le Mali.

Mais, pour garantir la réussite des réformes nécessaires, il est impératif de « dépolitiser » l’école. Elle doit cesser d’être le terrain de jeu d’intérêts égoïstes et redevenir « une priorité » pour le développement, suggère le Dr Boureïma Touré, enseignant chercheur à la faculté des Sciences humaines et sciences de l’éducation.

Journal du mali

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here