C’est l’heure du verdict, pour les vivants et les morts: la cour d’assises spéciale de Paris rendra vendredi soir ses décisions au procès singulier de 24 accusés, dont 19 ont gagné en 2014-2015 la zone irako-syrienne où ils sont presque tous présumés morts.
Dans leurs derniers mots à la cour, certains des cinq accusés présents ont fait part de “regrets” pour des paroles et des gestes accomplis à 20 ans ou plaidé pour une décision “pédagogique” leur permettant d’avancer.
Mercredi, l’accusation a requis contre eux des peines allant du sursis à 15 ans de réclusion criminelle, distinguant des autres ceux qui ont eu “un rôle central” dans la filière ou n’ont montré “aucun désengagement de l’idéologie jihadiste”.
Contre les “fantômes” qui ont fait le choix d’un “voyage sans retour” en terre du “califat” islamique, l’avocat général a requis la peine maximale: la perpétuité contre Mohamed Belhoucine, “figure tutélaire” dans cette affaire, déjà condamné pour sa participation à une filière et considéré comme le mentor du tueur de l’Hyper Cacher, et 30 ans pour tous les autres.
Le magistrat a vu dans les “19 chaises vides” l’illustration du “jusqu’au-boutisme d’hommes et de femmes partis en connaissance de cause dans un pays en guerre”.
Parmi ces “fantômes”, le jeune converti Quentin Roy, donné pour mort dans une opération suicide en Irak, le couple Faucheux, parti avec ses trois enfants, le prêcheur radical Sofiane Nairy ou les frères Belhoucine, personnages emblématiques de la galaxie jihadiste francophone, qui seront à nouveau jugés au printemps au procès des attentats de janvier 2015.
Apprenti ingénieur, Mohamed Belhoucine est considéré comme l’auteur du serment d’allégeance à l’EI lu par Amédy Coulibaly dans la revendication de la tuerie de l’Hyper Cacher (4 morts) et a pu lui ouvrir un canal de communication avec un commanditaire.
AFP / Thomas SAMSON
Laurent Sourisseau alias Riss et Marika Bret de Charlie Hebdo lors de la cérémonie à l’Hyper Cacher à Paris, le 9 janvier 2020
Le 2 janvier 2015, quelques jours avant les attaques, il a rejoint la zone irako-syrienne via l’Espagne avec son frère Mehdi et Hayat Boumedienne, la compagne de Coulibaly.
– Juger les morts –
Quentin Roy fait partie d’un autre groupe, celui des “copains” de Sevran (Seine-Saint-Denis), qui se connaissent tous, ont fréquenté ensemble la mosquée des “Radars” où ils ont forgé leurs certitudes jihadistes notamment au contact de Sofiane Nairy – qui a connu Mohamed Belhoucine à l’école des Mines d’Albi.
Jeudi, l’avocat de Quentin Roy, le seul des “fantômes” à bénéficier d’une défense, a dénoncé une “justice brutale qui frappe les cadavres”, dans cette France de 2020 où “on refuse de rapatrier les vivants mais (où) on juge les morts”.
Me Antoine Ory a expliqué le “paradoxe” qui consiste à “juger un homme qui s’est suicidé”, dans une opération kamikaze, quand le droit français commande que les poursuites s’éteignent avec la mort du mis en cause.
Une incohérence balayée par l’accusation, qui a au contraire souligné l’importance de “sanctionner l’engagement jihadiste d’individus”, expliquant que la justice française ne pouvait avoir la certitude de leur mort, annoncée par des émissaires de l’EI.
Me Ory a dénoncé la “peine de groupe” requise – sans distinction entre les parcours et les profils des absents -, “au mépris du principe d’individualisation des peines”, central en droit.
Comme nombre des “fantômes”, les “vivants” se sont convertis à l’islam radical à la mosquée de Sevran où ils se croisent tous ou auprès de mentors.
Leur défense a décrit la puissance de la “dynamique de groupe”, renforcée par la proclamation du “califat” jihadiste en juin 2014. Mais aussi “la honte” ressentie face aux “paroles de haine” proférées il y a cinq ans, et le chemin parcouru en devenant père ou en décrochant un travail.
Parmi eux, l’avocat général a désigné Iliès Benadour comme un maillon “essentiel” de la filière en France et l’indispensable “relais” de Sofiane Nairy, qui prenait en charge les volontaires à leur arrivée sur zone.
Face aux 15 ans requis contre lui, son avocate Cosima Ouhioum a rappelé qu’il avait reconnu avoir “coordonné” des départs, mais ne pouvait être tenu pour responsable de la mort de ses amis, “partis de leur plein gré”.
AFP