L’automédication prédomine encore au Mali. Ceux qui ont y ont recours utilisent les médicaments aussi bien traditionnels que modernes. Alors que la pratique n’en demeure pas moins dangereuse.
L’automédication est un phénomène qui prend de l’ampleur, malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation du ministère malien de la Santé et le combat sans relâche de l’Ordre des pharmaciens du Mali. Elle est souvent le premier soin très souvent utilisé pour traiter les pathologies comme courbature, dysenterie, fièvre, mal de main…
Accessibilité, efficacité instantanée… Voilà les raisons mises de l’avant par ceux qui ont recours à l’automédication, sans consultation médicale, ni ordonnance, au lieu de passer par le circuit réglementé pour avoir accès aux soins. Pis, ils s’approvisionnent en molécules d’origine douteuses, contrefaites ou périmées. Selon l’OMS, sur la population du globe qui dépasse les quatre milliards d’habitants, il y a 80% des personnes qui ont recours aux médecines traditionnelles pour satisfaire leurs besoins en soins de santé primaire.
En 2018, dans une étude « Problématique de l’automédication dans la commune I du district de Bamako », menée dans le cadre d’une thèse soutenue à la Faculté de pharmacie de l’Université des sciences, des techniques et des technologies de Bamako (USTTB), 76,47% des enquêtés (commerçants, scolaires, fonctionnaires, ménagères, ouvriers, etc.) de cette commune pratiquent l’automédication. Ces personnes utilisent très souvent antalgiques, antibiotique, antipaludéens…De plus, dans la littérature de même thèse, une étude citée indique qu’en 2003, 64,52% des clients dans les officines n’avaient pas d’ordonnance lors des achats.
« Médicaments de la rue »
Issa Sidibé, apprenti-chauffeur de camion, qui souffre de fortes douleurs musculaires au niveau de la hanche, s’est offert les services d’une vendeuse de médicaments de la rue. M. Sidibé a été conseillé par un ami convaincu par l’efficacité des médicaments vendus dans la rue. C’est ainsi qu’il s’est procuré le tramadol, aussi appelé «samprin» (la foudre en bamanakan). Résultat : Issa Sidibé est devenu accro à ce médicament. Il s’est même montré moins réceptif aux conseils de ses amis sur les risques liés à l’automédication. « Je n’ai pas suffisamment de moyens pour aller en pharmacie. Pourtant, avec 75 francs ou 100 francs CFA déboursés à la ‘’pharmacie par terre’’, j’ai un remède efficace contre mon mal. Il y a deux types de pharmacies pour moi dans ce pays : celle avec les jeux de lumières pour les riches et l’autre à bon prix pour nous les pauvres », se justifie-t-il.
De nos jours, il est quasi impossible de faire une petite balade dans une de nos villes sans tomber sur un vendeur ambulant de médicaments. À la différence des pharmacies, les propriétaires du «yala-yala foura» (« médicaments de la rue ») vendent leurs produits contrefaits ou périmés en détail et à vil prix, et partent généralement à l’affût des malades les moins nantis dans nos rues. Ils font du porte-à-porte avec des produits exposés à la poussière et au soleil sur une cuvette ou, au mieux, dans un panier comme officine mobile.
Un combat de longue haleine
Pour Hady Guitteye, pharmacien à l’officine Bassan de N’golonina quartier populaire de Bamako, le consommateur s’expose à des risques importants comme le surdosage, l’intoxication médicamenteuse ou, au pire des cas, à la mort. «Les médicaments ne doivent pas être pris sans un avis médical, prévient le pharmacien. L’absorption abusive des substances médicamenteuses peut causer des problèmes au niveau du foie, des reins, du cœur et même coûter la vie dans certains cas ».
Le médecin tient compte de l’âge, du poids, de la taille et d’un diagnostic complet fait sur le patient avant toute prescription médicale, contrairement aux « docteurs de la rue » qui n’a aucune qualification médicale et ne s’intéresse qu’à la bonne santé de son chiffre d’affaires.
Oumou (le nom a été changé), aide-ménagère reconvertie en vendeuse de médicaments de la rue, est consciente du danger de la consommation des médicaments sans consultation médicale. Mais, elle n’est pas prête à abandonner son petit commerce. « Nous ne cherchons pas à nous tailler la part du lion sur le marché des médicaments, mais nos prix sont plus accessibles aux plus pauvres. Nous n’avons pas besoin de faire de publicité pour avoir au moins 8 à 10 clients par jour », explique Oumou, s’occupant seule de sa famille après le décès de son mari.
Endiguer le phénomène
Certains médicaments ont des contre-indications prescrites sur la notice pour certains malades et peuvent provoquer des complications, s’ils ne sont pas judicieusement utilisés. Parmi les conséquences nocives de l’automédication, nous avons les maladies comme l’insuffisance rénale, l’hépatite, les résistances aux antibiotiques et aux antipaludiques…
A l’Institut d’ophtalmologie tropicale de l’Afrique (IOTA), Dr Modibo Diarra déconseille fortement l’automédication et l’usage de faux médicaments dans toutes les branches de la médecine. « L’usage de certains médicaments contenant une forte dose en corticoïdes (anti-inflammatoires stéroïdiens) dans le traitement des maladies oculaires peut irrémédiablement conduire à la cécité. Nous avons malheureusement eu à déplorer certains cas où le malade a été atteint de glaucome ou de cataracte à la suite de ces pratiques dangereuses».
Les autorités compétentes doivent sévir conformément à la loi 2015-036 portant sur la réforme des textes législatifs et réglementaires sur la vente illicite des médicaments. L’application stricte de cette loi proposée par l’Association des consommateurs du Mali (ASCOMA) pourrait endiguer ce fléau qui, au su et au vu de tous, nuit doublementt à la santé publique avec une hausse des cas de décès et à la santé de notre économie nationale, qui perd des milliards de francs CFA chaque année.
Par Vieux Persie
Source: benbere