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Forces armées maliennes : Une lente reconstruction

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2012 a été l’annus horribilis des Forces armées maliennes : une défaite au Nord, un coup d’État éphémère et des luttes fratricides entre différentes factions au sein de l’institution militaire. Certaines leçons ont été apprises, tant par les Maliens que par la communauté internationale, notamment au travers d’une réforme du secteur de la sécurité. Mais les causes structurelles des crises de 2012 restent telles quelles, et le défi perdure.

L’investiture à la présidence par intérim de Dioncounda Traoré, le 12 avril 2012, devait être un grand spectacle pour rassurer l’opinion internationale. Cette cérémonie met un terme aux ambitions présidentielles de la junte militaire, qui avait pris le pouvoir le 22 mars 2012, sous la direction du capitaine Amadou Haya Sanogo. Mais elle ne supprime pas le pouvoir de nuisance politique des officiers putschistes (Siméant, Traoré, 2012).

Dès l’entrée du nouveau président par intérim, des Bérets verts sont au garde à vous. Ils tiennent mal les rangs, leurs tenues sont négligées, ils semblent embarrassés par leurs armes, mais présents à l’appel et attentifs. À leurs côtés, des Bérets rouges à l’uniforme impeccable, alignés et droits comme des « I ». Personne ne bouge à l’arrivée d’une « force spéciale de sécurisation », dont on ignore la provenance, et qui multiplie les effets spectaculaires, lunettes noires et chapeau à la Indiana Jones sous un ciel couvert.

Ces différentes unités se positionnent aléatoirement, laissant d’énormes failles de sécurité, et multipliant les mouvements inutiles devant les représentants de la communauté internationale, l’élite politique du pays et le putschiste sortant, le capitaine Sanogo. Et le très discret nouveau président.

Il s’agit là de la première démonstration publique de l’armée depuis le putsch, une tentative pour démontrer que les forces de sécurité n’étaient ni mal en point, ni divisées, alors que le pays venait de perdre le contrôle des deux tiers du Nord au profit des séparatistes de l’Azawad, puis des djihadistes. Le spectacle ne fait pas oublier la crise de l’armée malienne de 2012. Les soldats, paniqués devant la puissance de feu de l’ennemi, ont fui le front. Ceux qui sont restés pour combattre ont été abandonnés, alors que la chaîne de commandement s’est effondrée au lendemain du coup d’État qui paralyse l’état-major.

Sous la façade qui s’écroule, les Forces armées maliennes (FAMa) sont gangrenées par la corruption. Les équipements manquent ; et le recrutement et l’avancement dépendent des connexions sociales (ou de la capacité à payer) plutôt que du mérite (Sana, 2013). À cela s’ajoute un renfort qui ne vient jamais, laissant les combattants seuls avec leur débrouillardise. Tous les théâtres de combat sont dirigés par de jeunes sous-officiers. La communication avec les supérieurs est minimale.

Le massacre d’Aguelhok laissera un traumatisme au sein des soldats, qui verront par la suite ce déploiement au Nord comme une mise à mort. Résultat : une armée démotivée, au leadership défaillant, sans cohésion, déboussolée devant un ennemi plus motivé, mieux préparé et mieux armé. Après 2012, plusieurs soldats répètent la même phrase : « Si tu meurs pour la cause du Mali, tu meurs pour rien. »

Depuis 2012, les efforts pour renforcer l’armée malienne se sont multipliés. Le gouvernement a augmenté le budget, permettant à la fois d’acheter de meilleurs équipements et améliorer les conditions de vie des soldats. Un soldat qui recevait environ 45 000 francs CFA en 2012 perçoit maintenant environ 75 000 francs CFA comme solde, plus différentes primes, dont la prime de risque de 1 200 francs CFA par jour et la prime pour affectation au nord de 50 000 francs CFA.

À la base militaire de Kati, comme en ville, les soldats portent désormais un uniforme propre et des bottes militaires. Fini les uniformes rafistolés par le tailleur du coin et les sandales en plastique. Le gouvernement malien et les bailleurs internationaux se sont attaqués aux problèmes les plus évidents de la crise de 2012 : exercices de tirs, déploiement en formation tactique, gestion des ressources humaines.

En réponse à la crise, les divers partenaires étrangers, dont l’European Union Training Mission in Mali (EUTM), ont offert des formations tactiques et opérationnelles. Les soldats ont désormais un entraînement réaliste, avec des armes ; alors qu’en 2012 plusieurs militaires n’avaient jamais tiré une balle avant leur déploiement. Les entraînements reprennent les bases des formations tactiques mais surtout renforcent le concept de Groupement tactique interarmée (GTIA), obligeant les militaires à mieux travailler en équipe. L’armée avance. À petits pas.

 Les manquements de l’institutionnalisation.

Malgré tout, en 2016, les erreurs du passé se reproduisent : les soldats abandonnent le front et les armes lors des attaques de Nampala et de Boni en juillet 2016. Ces attaques sont devenues hebdomadaires depuis. Tout comme en 2012, le problème de l’absence de renforts et de soutien sur le terrain demeure. Les affectations restent aléatoires et la cohésion entre unité reste minée par des ressources humaines erratiques.

Pour soutenir l’action du front, le renfort et le soutien logistique restent aussi lents qu’en 2012, même si des améliorations sont notables alors que les militaires ripostent et tiennent certaines positions en 2018. L’armée malienne reste une institution qui s’impose difficilement aux membres des forces armées.

Depuis 2012, aucun soldat n’a été sanctionné pour désertion alors que le front s’écroulait, exception faite de ceux qui se sont ralliés aux rebelles. Les rapports s’accumulent sur ces désertions et sur l’abandon d’armes à l’ennemi. Malgré tout, ces épisodes sont symptomatiques de l’absence d’une institution et de son pouvoir disciplinaire pour corriger un commandement défaillant.

Depuis, l’armée et ses soutiens ont beaucoup misé

sur les hommes, mais peu sur les institutions qui peuvent rattraper les défaillances humaines, comme la justice militaire qui aurait pu sévir contre les abus qui rongent l’armée. Si les soldats, les sous-officiers et les officiers ont abandonné le front en 2012, c’est qu’ils savaient qu’ils pouvaient le faire en toute impunité. Au nom de l’amélioration du moral des militaires, les institutions disciplinaires ont été complètement oubliées des réformes, fragilisant toute l’armée.

Un programme de réforme de la justice militaire a été proposé depuis 2014, mais peu de mesures concrètes ont été prises, hormis des séminaires de suivi. Derrière les hommes, l’institution peine à rattraper les manquements. En privé, les soldats expriment souvent leurs craintes, notamment le manque de soutien à leur famille en cas de décès, alors que plusieurs veuves et orphelins ont des difficultés à faire valoir leurs droits devant une bureaucratie qu’ils ne perçoivent pas comme coopérante.

L’armée a fait des efforts depuis 2012 pour renforcer son département de services sociaux et soutenir ses soldats, et les ressources allouées aux veuves et aux blessées ont augmenté depuis 2017. Mais les soldats continuent d’avoir l’impression qu’il n’y a rien derrière eux pour les soutenir dans leur mission. Reconstruire l’institution, pour ne pas simplement dire construire, est un travail de longue haleine et les fondations ne sont toujours pas solidifiées.

Une armée étrangère dans son propre pays.

 Pourtant, la difficulté ne vient pas juste des arrières : elle est aussi devant l’armée. C’est une institution borgne qui a de la difficulté à anticiper. L’absence de doctrine empêche l’armée de faire des choix sur son modus operandi. Et l’absence de Livre blanc ne permet pas de réajuster les choix doctrinaires à la menace.

En 2012, l’armée n’avait tout simplement pas d’orientations. Le Mali, depuis son indépendance, n’a pas adopté de doctrine écrite, ce qui ne veut pas dire que l’armée malienne ne s’est pas adaptée aux réalités stratégiques de l’immensité du territoire du septentrion malien et de sa faible population. En 2018, même si les Maliens disent avoir rédigé une nouvelle doctrine, le résultat se fait attendre malgré une loi de programmation militaire qui affecte des crédits, mais qui ne lancent pas la réflexion nécessaire pour réorienter les FAMa.

En pratique, l’armée malienne s’est approprié la rédaction d’un Livre blanc tacite : l’état-major a compris qui était l’ennemi prioritaire. Le défi est d’opérationnaliser les objectifs politiques qu’elle s’est donnés, avec une doctrine adaptée.

En 2012, l’appareil reposait sur la présence de points forts statiques, coïncidant souvent avec les postes avancés de l’époque coloniale, soutenu par deux bases permanentes, Gao et Kidal, complétées d’effectifs en rotation sur divers autres postes de défense, généralement pour des périodes de trois à neuf mois. Sans ressources et sans transports pour mener des exercices de patrouille, de repérage et de surveillance, les troupes postées au Nord, majoritairement des sudistes qui ne parlent pas les langues locales, restent cloîtrées dans leur poste. Les soldats n’avaient donc pas les moyens d’améliorer leurs connaissances situationnelles.

Face à une situation sécuritaire qui s’envenime, surtout au centre, l’armée malienne a implicitement adopté une doctrine contre-insurrectionnelle. Plusieurs officiers et sous-officiers ont fréquenté ou continuent de fréquenter des écoles étrangères ou participent à des formations internationales.

Depuis le début des années 2000, les opérations conjointes avec des forces étrangères, comme l’exercice américain Flintlock qui devait se tenir à Gao en 2012, visaient à transformer les FAMa en une armée capable de participer dans la « longue guerre » contre le terrorisme. L’objectif affiché de ces programmes est de doter l’armée malienne de cet « état d’esprit expéditionnaire, ce qui permettrait d’abandonner des concepts de défense continentale statique surannée et sur les grandes opérations soutenues par une logistique lourde, à une armée souple, rapide, capable de s’adapter rapidement et profondément à un nouvel environnement (Shields, 2010).

Avant même 2012, certains corps d’élite ont démontré qu’ils appliquaient ces principes, notamment les Bérets rouges, dont les bataillons subissaient un roulement de personnel régulier au Nord. Ces corps, mieux équipés et entraînés, ont été choyés par leurs chefs. Leurs actions, limitées par des effectifs s’élevant à quelques centaines, n’ont pourtant pas pu empêcher la déroute alors que, à Bamako, on concevait toujours la défense de façon statique (Barca, 2013).

Depuis 2014, la création des GTIA, et l’achat de nouveaux véhicules pour soutenir leur action, a permis de renforcer l’aspect dynamique, augmentant la fréquence des patrouilles. Mais des problèmes de coordination demeurent, notamment celui de la communication entre le leadership et les combattants sur le terrain qui reste bien moins efficace que celle de l’ennemi.

L’appellation « état d’esprit expéditionnaire » cache une ironie. Le théâtre des opérations des FAMa reste le territoire national. Si le mode d’opération reflète l’absorption d’une doctrine involontaire, il n’en reste pas moins que les FAMa restent un corps étranger sur leur propre territoire. Dépêchés du Sud, les militaires ne connaissent pas les populations locales du Nord : ils ignorent la langue, la culture, la réalité du quotidien sur le territoire. Les intégrations de rebelles avaient pour objectifs de pallier ces lacunes après les rébellions des années 1990.

Mais, depuis 2012, les ex-intégrés ont pour la plupart rejoint des groupes armés, favorables ou réfractaires au gouvernement de Bamako (Eros, 2013, p. 105). Sous la présidence d’Amadou Toumani Touré, le gouvernement a aussi soutenu tacitement les milices armées pro-gouvernements, dont le recrutement est basé sur des critères ethniques, plutôt que de renforcer les FAMa.

L’armée malienne de 2012 avait peu d’outils pour combler ses méconnaissances du terrain et son manque de mobilité. Désormais, les dernières opérations suggèrent une meilleure mobilité, mais les forces armées sont prises à partie au centre par une population qui la voit de plus en plus comme un ennemi, ciblant certains groupes et fragilisant le tissu social (Sandor, 2017).

La crise identitaire

Quand on demande aux soldats maliens quelles sont les valeurs fondamentales des forces armées, la majorité déclame la devise nationale : un peuple, un but, une foi. Lorsqu’on pose une question sur le règlement militaire, les réponses sont précises s’il s’agit de le réciter mot à mot. Mais quand on questionne l’application de ce règlement, les soldats sont moins certains, surtout si ces réponses entrent en contradiction avec les règles d’engagement, notamment sur l’utilisation de la violence contre les civils.

La question d’une culture militaire est souvent perçue comme un simple outil visant à faciliter la chaîne de commandement et la communication au sein des forces armées (Barca, 2013). Mais c’est avant tout un outil de cohésion et un moyen, lors des opérations, d’encadrer le comportement des militaires. Alors que depuis 2012 les combats entre diverses factions de l’armée malienne se sont multipliés, il est difficile de cerner quels sont les symboles qui rassemblent les soldats.

Depuis la crise de 2012, sur les murs fraîchement repeints des bases militaires sont apparus des dessins aux sujets un peu disparates : des armes technologiques dont l’armée malienne est dépourvue, des chameaux militarisés, le légendaire combattant et héros des sudistes Samory Touré, des militaires posant à la Rambo.

Interrogés sur ces fresques, les officiers soulignent que c’est l’œuvre de soldats « un peu artistes », mais que le contenu des dessins est discuté et approuvé au préalable, sans qu’il n’y ait une procédure de sélection rigide. On peut y voir une forme de manifestation plus ou moins libre de la culture militaire malienne, tout comme les autocollants à l’effigie de Sanogo qui apparaîtront et disparaîtront en 2012 dans les bases militaires. Néanmoins, ils représentent surtout la difficulté pour l’armée malienne de se rassembler autour de symboles forts et partagés, témoignages d’une culture militaire et d’une institution militaire unie et vivante.

Durant mes entrevues, aucun des jeunes militaires n’a pu nommer un des fondateurs de l’armée malienne. Encore une fois, quelques-uns bafouillent le nom de Samory Touré, mais personne ne connaissait Abdoulaye Soumaré, le premier chef d’état-major du Mali indépendant. Une culture militaire, capable de créer une cohésion et susceptible de « renforcer les valeurs de l’institution », est beaucoup plus que ce qui est manifeste (Caforio, 2006).

De 2012 à aujourd’hui, l’armée n’a pas réussi à développer une culture militaire commune, susceptible de rallier le soldat, alors que beaucoup de jeunes rejoignent l’armée pour rompre avec un chômage chronique. Pour beaucoup d’entre eux, ils ne se retrouvent que dans le leadership de leurs capitaines quadragénaires, devenus l’incarnation de toute l’armée (Sana, 2013, p. 103). Amadou Haya Sanogo en est devenu le symbole alors que plusieurs soldats, lors des entrevues, soulignaient le fait qu’il était accessible et qu’il était près des soldats. Il est devenu une forme d’icône omnisciente sur les autocollants fixés aux motocyclettes en 2012.

Quand le capitaine Sanogo a tenté de miser sur la culture militaire, il s’est d’abord présenté avec un pins des Marines américains. Mais, à la cérémonie d’investiture de Dioncounda Traoré, il se présentera avec un bèrè, un bâton de bois perçu comme symbole de protection. Ce ne sera pas la première, ni la dernière fois qu’il utilisera un instrument de la culture mandingue pour justifier son pouvoir. Qu’il tente d’utiliser la culture civile pour asseoir son pouvoir reste une anecdote. Mais le personnage, en 2012, a été, pour plusieurs soldats, un rassembleur aux discours chargés de symboles.

Plusieurs militaires, en entrevue, reviennent sur Sanogo, comme un leader créant un sentiment d’appartenance, une chose qu’ils disent ne pas avoir ressentie avant. Il aura su capter quelque chose qui existait difficilement avant 2012 : le besoin d’appartenir à une institution forte pour laquelle donner sa vie.

Même s’il n’y a plus de symboles visibles de Sanogo, les militaires de Kati, en tant que groupe socio-professionnel, continuent de chercher des symboles forts. Les soldats maliens ne sont pas que des désœuvrés à la recherche d’un salaire : ils ont aussi des aspirations et des ambitions qui se sont manifestées durant la crise de 2012. Il reste donc à l’armée d’en tenir compte.

De l’assermentation de Dioncounda Traoré aux dernières attaques contre les forces armées, les progrès de l’armée malienne semblent limités, alors que les revers sur le terrain vis-à-vis de l’ennemi s’accumulent. Pourtant, ils sont là. Mais, maintenant, l’armée malienne doit faire face à la même chose que plusieurs autres armées de la région : construire une institution.

 

Marc André boisvert (chercheur)

Nouvelle Libération

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