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Au Sahel, le grand flou de l’aide au développement

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Alors que doit se tenir à Nouakchott la première assemblée générale de l’Alliance pour le Sahel, le débat monte sur le manque de traçabilité des flux de financement.

Combien d’argent les pays du Sahel perçoivent-ils réellement de l’assistance internationale ? La dispute qui oppose les donateurs aux récipiendaires sur ces chiffres est aussi vieille que l’aide au développement, mais elle prend une acuité particulière avec les promesses faites à travers l’Alliance pour le Sahel. La question devrait être à nouveau posée lors de la première assemblée générale, organisée mardi 25 février à Nouakchott, en Mauritanie, en marge du sommet des chefs d’Etat du G5 Sahel.

L’initiative lancée en 2017 par la France et l’Allemagne, avec l’ambition de mieux coordonner les efforts des différents bailleurs, est censée améliorer l’efficacité de cette coopération, alors que les gouvernements locaux doivent consacrer une part croissante de leurs ressources aux dépenses sécuritaires pour contrer la menace djihadiste. Les partenaires de l’Alliance (Etats et bailleurs), aujourd’hui au nombre de 12, se sont aussi engagés à donner davantage pour la région, menacée de déstabilisation. Plus de 800 projets pour un montant de 12 milliards d’euros sont programmés à l’horizon 2022.

Mais cette pluie d’argent annoncée laisse les intéressés perplexes. « Les populations doutent de plus en plus des politiques de coopération. Elles n’en voient pas l’impact. Il existe un véritable problème de lisibilité des chiffres annoncés par les institutions multilatérales et les bailleurs bilatéraux », tacle Mikaïlou Sidibé, membre du secrétariat permanent du G5 Sahel en n’hésitant pas à parler « d’un grand tapage pour aboutir à des broutilles sur le terrain ».

Nébuleuse
Pour répondre à cette critique, l’Alliance Sahel prépare une base de données qui permettra de tracer tous les flux de financements par bailleur et par projet. Il est aussi question d’en mesurer la réalisation à partir d’une batterie d’indicateurs. Une opération loin d’être facile, de l’aveu même de Jean-Marc Gravellini, responsable de l’unité de coordination de l’Alliance : la difficulté à obtenir des données fiables, le risque de doubles comptages sont quelques-unes des embûches rencontrées dans cet univers où chacun reste, au final, jaloux de son pré carré. « Mutualiser les informations, partager un projet, c’est accepter pour un bailleur de disparaître un peu du paysage. Mais il ne faudrait pas reproduire les erreurs de l’Afghanistan, où 10 milliards de dollars [9 milliards d’euros] ont pu être dépensés pour rien », avertit le fonctionnaire.

Du côté des bénéficiaires, l’état de délabrement des administrations chargées de comptabiliser l’aide, la valse des ministères ayant autorité sur le dossier alimentent presque partout une opacité qui conforte cette idée de nébuleuse dont personne ne maîtrise les contours. « Comment un pays peut-il prétendre mener un dialogue avec les donateurs lorsqu’il ne sait même pas ce qu’il reçoit ? », s’interroge Tertius Zongo, ancien premier ministre du Burkina Faso et responsable de la chaire Sahel, ouverte par la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi) à Ouagadougou.

Depuis deux ans, dans ce cadre académique disposant de relais dans les quatre autres pays du G5 Sahel (Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), un travail inédit a été engagé pour mieux circonscrire ces flux financiers et tenter d’expliquer les raisons du grand écart entre ce que les uns affirment donner et ce que les autres constatent recevoir.

La première étape de ce travail a d’abord consisté à décomposer les chiffres que les bailleurs sont tenus de déclarer au comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE). Celui-ci, considéré comme le juge de paix dans ce domaine, publie chaque année les données de l’aide publique au développement (APD) accordée par les pays industrialisés. Or elles intègrent des dépenses que les pays bénéficiaires ne perçoivent pas : bourses allouées aux étudiants, allègement de dettes, accueil des migrants, etc. Ces différents postes représentent en moyenne 30 % de l’APD et davantage dans le cas de la France. Ainsi sur 100 dollars déclarés par Paris à l’OCDE, seulement 54,40 dollars font véritablement l’objet d’un transfert financier, précise dans ses conclusions le rapport consacré à l’Analyse de l’aide accordée aux pays du Sahel.

Au total, l’aide en direction du Sahel s’est élevée à 34 milliards de dollars sur la décennie 2006-2016. Seul le Mali a vu le soutien de la communauté internationale augmenter au lendemain de l’intervention étrangère contre les groupes djihadistes, à partir de 2013. Aucune donnée solide ne permet pour l’instant de savoir ce que la création de l’Alliance pour le Sahel a modifié pour les autres pays.

Résultats stupéfiants
Le second volet de l’étude, présentée mi-janvier à Paris, dans le cadre d’un débat sur la redevabilité de l’aide organisé au ministère des affaires étrangères, est encore plus instructif pour mesurer l’épais brouillard dans lequel se discutent les attentes de ces pays parmi les plus pauvres de la planète. Dans chacun des cinq pays, un fonctionnaire a été mandaté par le gouvernement pour « remonter » les différents flux d’aide inscrits dans les comptes nationaux. Une méthodologie commune a été suivie et la chair Sahel a fourni un appui technique.

Les résultats sont stupéfiants. Au Tchad par exemple, « seulement 18 % des versements de la Banque mondiale ressortent dans la base de données nationale, 27 % pour l’aide américaine, 37 % pour l’Union européenne et 60 % pour la France ». Au Niger, si 99 % de l’aide européenne est bien tracée, 37 % des versements de la France n’apparaissent pas, 71 % de ceux de l’Allemagne, 94 % des Etats-Unis. Le Mali et, surtout, le Burkina Faso présentent en revanche un meilleur suivi de l’aide.

Jareth Beaïn, chargé de cette mission au ministère de l’économie tchadien, se plaint comme tous ses homologues sahéliens du manque de moyens de l’administration. « Nous sommes douze, mais deux seulement à être formés. Comment voulez-vous que nous fassions de la collecte de données lorsque nous n’avons ni véhicule, ni moyen de communication et pas Internet », expose-t-il en décrivant ses laborieuses tournées de ministère en ministère. Il n’hésite pas à parler de la corruption des chargés de projets à qui l’opacité offre la meilleure des protections. « Parfois, on nous traite d’espions lorsque nous essayons d’obtenir des chiffres sur l’exécution des projets », rapporte-t-il.

Il évoque aussi les bailleurs, loin de se montrer exemplaires dans la transmission des informations. Sans compter le fait qu’une partie de l’assistance ne transite pas par l’Etat, mais est distribuée, par exemple, directement à des organisations non gouvernementales (ONG). Auteure de l’étude, Delphine Barret, se garde prudemment de tout commentaire : « Certains pays ont du mal à assurer le suivi de l’aide, mais c’est aux Sahéliens d’en tirer les conclusions. »

A la faiblesse de ces dispositifs de contrôle répondent les exigences toujours plus grandes des bailleurs. « En dix ans, le manuel d’instruction de l’Union européenne pour répondre à un appel d’offres est passé de 18 pages à 98 pages », souligne François Grünewald, directeur du centre de réflexion Urgence réhabilitation développement (URD). Les délais de décaissement des projets demeurent interminables face à l’urgence. L’examen d’un échantillon de 100 projets – 20 dans chaque pays dans les secteurs prioritaires de la santé, de l’éducation ou des infrastructures – montre qu’il faut en moyenne sept mois entre l’approbation du dossier et le premier versement lorsqu’il s’agit d’un don. Onze mois lorsqu’il s’agit d’un prêt. « A la date théorique d’achèvement des projets, moins de 50 % de l’argent a été déboursé », constate Delphine Barret. Une réalité qui, sur le terrain, alimente aussi l’incompréhension.

Laurence Caramel

SourceLe Monde.fr

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