Le 22 mars, alors que les Guinéens étaient appelés à se rendre aux urnes pour le double scrutin, de violents heurts ont éclaté à travers le pays, faisant une dizaine de morts à Conakry, et entre 10 et 22 dans la ville de Nzérékoré, dans le sud-est du pays, connue pour être un foyer de tensions ethniques et religieuses.
« Pourquoi brûler le temple lorsqu’il s’agit de politique ? » La voix affectée, le costume sombre, le pasteur Emmanuel Grovogui contemple les débris calcinés de son église. Au sommet, la petite croix tient encore debout.
« Nous faisions barrage sur la route pour protéger notre communauté lorsqu’un groupe de personnes avec des armes blanches sont venus en menaçant de brûler notre église », raconte Jean-Guy Lamah. « On a dit “non le problème qui est là aujourd’hui est un problème politique pas religieux”. Le groupe s’est alors tourné vers Monsieur Jeannot et ils ont commencé à le frapper avec des haches et des machettes. J’ai dit à mon frère : “Si on reste ici quand ils auront fini avec lui ce sera notre tour, alors filons !” Et j’ai vu tomber Monsieur Jeannot ».
Située au carrefour entre la Côte d’Ivoire, le Liberia et la Sierra Leone, à deux jours de route de la capitale selon la saison et l’état de la route, la Guinée forestière est considérée comme l’une des régions pivot en période électorale. Elle est également qualifiée de « poudrière » en raison de tensions intercommunautaires récurrentes, de la présence d’anciens miliciens et d’ex-combattants des guerres civiles en Sierra Leone et au Liberia et de la circulation d’armes à feu ainsi que la présence de nombreux réfugiés provoquée par ces conflits.
Depuis les années 90, les incidents opposent généralement les populations autochtones à dominante chrétienne ou animiste (Guerzés notamment) et les populations allogènes à dominante musulmane (les Koniankés, sous-groupe des Malinkés). En 2013, une centaine de personnes ont trouvé la mort en moins de trois jours après le passage à tabac de trois jeunes Koniankés. Une note confidentielle de 2010 rédigée par le conseiller spécial des Nations unies pour la prévention des génocides souligne « l’existence de tensions inter-ethniques » avec un « fort risque d’escalade vers un conflit violent ».
Les 22 et 23 mars 2020, les habitants de Nzérékoré ont vécu au rythme des coups de feu. « La tension était déjà palpable à l’ouverture des bureaux de vote », raconte un habitant « mais tout a dégénéré à la clôture ».
L’armée intervient mais se retrouve débordée. Un militant d’un parti d’opposition parle de « corps-à-corps entre des militaires et des personnes armées aux jusqu’aux dents ».
Le 24 après l’instauration du couvre-feu, on parle déjà d’une dizaine de victimes. Le chiffre monte à 17 morts et 90 blessés par balles, brûlures et séquelles liées aux « coupe-coupe », selon une source médicale qui dit ne pas avoir eu assez de place pour contenir tous les blessés.
Il aura fallu l’arrivée des renforts venus de Kissidougou, Faranah, Guéckédou et Lola pour que l’armée rétablisse le calme. « Si les militaires ne s’étaient pas interposés, si la cathédrale était touchée là…. Dieu seul sait où nous en serions aujourd’hui », souffle un membre de la société civile.
Tout serait parti de la mort par balle d’une personne âgée, issue de l’ethnie Konianké, lors de l’attaque d’un bureau de vote dans le quartier de Bellevue, selon les autorités. L’église protestante est incendiée en représailles, avant que les violences ne gagnent d’autres quartiers, puis certains villages voisins.
Des boutiques et des dizaines de concessions sont réduites en cendres. « Beaucoup de gens fuient vers les villages », raconte un journaliste. Des barrages sont érigés en périphérie de la ville par des groupes de jeunes armés de machettes qui filtrent les voyageurs en fonction de leur ethnie, selon plusieurs témoignages. « Je n’ai pas vécu une telle tension depuis 2013 », soupire un religieux. Des mosquées auraient également été attaquées et un imam a perdu la vie.
« J’ai réuni les jeunes du quartier pour leur dire que si un seul d’entre eux bougeait, il aurait affaire à moi », raconte d’une voix teintée de colère Elhadj Ibrahima Khalil Sacko de la coordination des imams de Nzérékoré. « Avec les rumeurs qui couraient dans tous les sens j’ai eu du mal à les contenir. Les jeunes désœuvrés sont trop facilement manipulables. »
Le gouverneur Mohamed Ismael Traoré a rapporté l’arrivée d’un groupe de jeunes venus d’un village proche de la frontière avec le Liberia, « avec des armes de guerre et avec des fétiches pour se protéger des balles ». La télévision nationale a diffusé les images de 50 personnes présentées comme des « étrangers », « habillées en féticheurs » et arrêtées suite aux événements.
Le mercredi, le calme est revenu dans les faubourgs de Nzérékoré suite à l’intervention du Colonel Moussa Tiegboro Camara [inculpé dans les massacres du stade du 28 septembre], du président du groupe parlementaire de la majorité présidentielle Amadou Damaro Camara et du ministre Papa Koly Kourouma entre autres. Mais beaucoup s’accordent à dire que les leaders religieux ont fait le gros du travail. « Celui qui se laisse coloniser par son cœur finira par périr », prédit Elhadj Ibrahima Khalil Sacko. « Dieu ne nous permet pas de nous venger », renchérit le pasteur Grovogui « je demande à tous les fidèles de garder leur sang froid et de s’appuyer sur la parole de Dieu qui dit “Ne vous vengez pas. A Moi la vengeance à Moi la rétribution” ».
Bilan officiel : 10 morts selon le gouverneur de la région de Nzérékoré, Mohamed Ismaël Traoré. Une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux montre 21 corps, certains à même le sol dans une salle présentée comme la morgue de l’hôpital régional. Le collectif des ONG de défense des droits de l’homme de Nzérékoré, qui s’est vu refuser l’accès à l’hôpital, comptabilise 22 morts, une centaine de blessés ainsi que des disparus.
Le mercredi 25 mars à l’aube, des corps auraient été enterrés dans une fosse commune. Trois témoins se sont rendus sur les lieux. Ils y ont trouvé la terre fraîchement remuée ainsi que des traces d’engins mécaniques.
Que s’est-il réellement passé ? Combien de victimes ont réellement disparu ? Pour le gouverneur, Mohamed Ismaël Traoré, qui nie de manière catégorique l’existence d’une fosse commune, seuls quatre corps, non réclamés par leurs familles, auraient été enterrés. De son côté, le Front national de défense de la Constitution réclame une commission d’enquête internationale.
Un groupe de personnes est arrivé en disant qu’ils allaient brûler l’église. On a dit “non, le problème qui est là aujourd’hui, c’est un problème politique, ce n’est pas un problème religieux”.
RFI