Il est établi que la religion chrétienne est plus vieille que la religion musulmane de plusieurs siècles. C’est d’ailleurs la raison qui fait que tous les pays de l’occident l’ont épousée. Le cas de la France en termes de mise en place de la laïcité a commencé au 19ème siècle, ponctué de dates charnières, elle a fait l’objet d’après luttes entre l’Église et l’État depuis la signature du concordat par Napoléon qui consacre la séparation de l’église et de l’État au 19ème siècle. C’est cette séparation qui a permis à l’Etat français d’aboutir non seulement à une forme de transfert de sacralité, de la République et la désacralisation du religieux, mais aussi à la sacralisation du politique.
Cette laïcité française a continué à être portée par une vision du monde alternative socialisant la citoyenneté républicaine française c’est-à-dire que l’appartenance nationale devrait primer sur toutes appartenances communautaires, aucune ne faisant office d’intermédiaire entre le citoyen et l’État français. C’est donc ce qui existe dans un état laïc. Cela n’est pas le cas au Mali jusque-là.
Aujourd’hui, il y a un conflit latent entre la religion et la politique. Doit-on se rappeler que la laïcité est à la fois objet d’histoire et objet de mémoire. « La mémoire est la vie selon » P. Nora, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir c’est-à-dire au changement, et de l’amnésie de ses déformations successives, vulnérables à toutes les utilisations susceptibles de longues latences et de soudaines revitalisations.Combien de courants religieux existent-ils au Mali, chacun avec son leader.
Disons en faisant référence à la latence des religions au Mali, il y a eu une certaine acceptation de la domination des hommes politiques sur les religieux, depuis le temps colonial jusqu’au président Amadou T. Touré. C’est à la faveur du vote de la nouvelle loi sur le code de la famille et de la personne en juillet 2009 par l’Assemblée Nationale que les rapports ont basculé en faveur des religieux, qui ont lancé au stade du 26 mars le 22 août 2009, un ultimatum aux politiques afin de rejeter ladite loi. Cet ultimatum a été entendu par le Président ATT qui a écourté ses vacances en Libye pour finalement faire retourner ladite loi en seconde lecture par l’Assemblée Nationale, et la mise en place d’un comité pluriel à cet effet.
Lors de cette seconde lecture, tous les points de désaccord ont été supprimés, même ceux qui donnaient un peu de liberté et de droits à la femme malienne dont l’âge de mariage a été fixé à 16 ans au lieu de 18 ans. Cette première victoire a sonné le glas de la domination de la politique sur le religieux dans un premier temps.
Dans un deuxième temps, IBK depuis les élections présidentielles de 2002, a fait des religieux son plus grand soutien. Ce soutien dépassait de loin, celui de ses militants politiques. Même s’il n’a pas été élu avec ce soutien, il a qu’à même préparé les esprits et les forces religieuse à cela pour les élections futures.
Qui vivra verra, comme le dirait l’autre. Enfin en 2013, à la faveur de la crise sécuritaire qui a emporté ATT du pouvoir, les religieux en grande partie ont pensé qu’IBK était la solution pour résoudre la crise malienne. Il a d’ailleurs signé un mémorandum avec eux dont voici quelques conditions.
Nommer des Ambassadeurs parmi les marabouts
Fermer pendant le mois de carême les bars
Recruter les arabophones dans l’enseignement
Donner un salaire aux imams des mosquées
En signant ce mémorandum, IBK ne savait-il pas, qu’il était entrain, de sacrifier les principes d’une république laïque ? Certaines conditions sont contraires totalement aux principes républicains. Il devrait se rappeler qu’en faisant cela, il allait être difficile pour lui, de maintenir lors de son magistère une république laïque. Au cours du mandat, des désaccords sont nés. C’est pourquoi il est en effet utile de le rappeler.
À la faveur de l’instauration de l’État d’urgence au Mali par le gouvernement à cause de l’insécurité à deux jours de la célébration du Maouloud, sans aucune consultation avec les religieux a failli mettre le feu à la maison Mali. Les religieux ont qualifié cet acte de manque de considérations pour les 90% de Maliens qui sont musulmans. À cette occasion, Ousmane Cherif Haïdara le guide des ançardine au Mali a averti IBK comme quoi il disposait de 2 millions de fidèles ayant leurs cartes d’électeurs en poche. Et que ce nombre suffisait pour mettre à la tête de l’état un imam. Cette menace a été prise au sérieux par IBK qui a non seulement mis le décret, sous le boisseau, mais en plus il a invité les religieux au Palais pour présenter ses excuses. C’est ainsi que le Maouloud et les fêtes de Noël se sont passées sans problème.
Un autre séisme a été provoqué par le Haut Conseil Islamique du Mali. En effet les deux guides que sont Mahmoud Dicko et Ousmane Cherif Haïdara ont refusé d’aller présenter les vœux de Nouvel An au Président IBK. IBK au lieu d’envoyer directement leurs cartes d’invitation, est passé par la Chefferie Touré et Niaré de Bamako, donc une façon de mettre sous tutelle les religieux. Profitant de cette erreur, Mahmoud Dicko a invité IBK à mettre en œuvre, son slogan de campagne à savoir : « le Mali d’abord » et cela à quelques encablures de la fin de son premier mandat, c’est-à-dire le contrat qui le lie aux Maliens. IBK a promis 150 hectares au Cherif Ousmane Haïdara en titre foncier à l’occasion du Maouloud de 2019. Malheureusement encore en 2020, aucune trace de cette promesse.
La grande marche organisée le 5 avril 2019, vient de faire sauter le verrou imposé par le Premier ministre ! Décidément, l’imam Mahmoud Dicko et le Cherif de Nioro ne reculent devant aucun acte de violation des règles démocratiques. A travers une grande marche organisée le vendredi 5 avril 2019 ayant regroupé plus de 20 mille marcheurs, l’imam et le Cherif, ont fait sauter l’interdiction de la marche non autorisée c’est-à-dire le verrou antidémocratique mis en place depuis juin 2018 contre la démocratie malienne. Cela a constitué une cinquième victoire de l’imam Mahmoud Dicko sur le régime d’IBK.
Car il avait réclamé la tête, la peau épineuse, et les pattes rouges du Hérisson Soumeylou B Maïga, Premier ministre de son état qui a été obligé de démissionner pour échapper à une motion de censure contre le gouvernement.
De son côté Mahmoud Dicko a adressé un avertissement au régime d’IBK du fait que la crise et l’insécurité, au lieu de diminuer, vont crescendo. En organisant le 5 avril 2019 un grand rassemblement pour montrer le carton rouge non seulement au régime, mais aussi aux forces françaises et les soldats de la MINUSMA installés au Mali, dont leur présence ne donne aucun résultat concret, l’Imam a encore marqué des points. Ce jour plus de 20000 personnes ont répondu à l’appel de l’Imam Dicko.
Tout récemment au mois de mars, il avait invité ses partisans le vendredi 6 mars à sortir afin que le régime clarifie sa position. Dans le cas contraire, ils étaient décidés à faire tomber le régime d’IBK. IBK a été obligé d’appeler le Roi du Maroc Mohamed VI, qui a son tour a intervenu auprès du Cherif de Nioro afin que cette sortie cesse en attendant. C’est donc cette intervention qui a sauvé le régime d’IBK. Les religieux déçus ont divorcé désormais avec le pouvoir d’IBK.
Voici donc comment au Mali, la séparation entre la politique et la religion est devenue difficile, car les politiques comptent sur les religieux pour se faire élire. Dans ces conditions, il sera difficile pour les Maliens d’instaurer une république laïque. Notre remarque est que les religieux se soucient des conditions des populations, alors que la majorité des politiques pensent d’abord famille, amis, parents, et peu de pensée envers les populations démunies. Sur ce plan les religieux ont la confiance des populations. Les hommes politiques n’arrivent plus à mobiliser, comme les religieux. En conclusion les religieux veulent neutraliser les politiques pour cause de non-loyauté envers le peuple. Peut-être que la quatrième république viendra des religieux ?
Badou S. KOBA
Source: Le Carréfour