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Bamako : Au début du ramadan, le couvre-feu s’essouffle quelque peu

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Nous sommes au début du mois béni de ramadan. Dans la nuit du vendredi 24 au samedi 25 avril 2020. Certains Bamakois respectent de moins en moins le couvre-feu. Des jeunes ont reconstitué le ‘grin’, dans les quartiers populaires, autour du traditionnel thé. Les policiers se retiennent, de plus en plus, de patrouiller à l’intérieur des quartiers. Toutefois, les lieux de rassemblement de nuit restent clos.

Le gouvernement a, par mesures préventives contre la propagation de la maladie à coronavirus au Mali, décrété le couvre-feu, le 26 mars dernier, sur l’ensemble du territoire national. Il entre commence, chaque jour, à partir de 21 heures. Malgré le mois béni, après près d’un mois d’application de la mesure, les horaires restent inchangés.

En cette nuit, notre équipe de reportage démarre, à 22 heures, sur la rive gauche, sans escorte, du moins sans suivre les équipes de patrouille déployées pour la cause. Nous quittons le quartier Badialan II, en Commune III du district de Bamako pour emprunter la route de Koulikoro, en passant devant le service des sapeurs pompiers de Dravéla, par le rond-point Place de la Liberté ‘’les soldats de Samory’’ et devant le Grand hôtel de Bamako. On se rend sur la rive droite, en traversant par le « Pont de l’Amitié », troisième pont de la ville.

Ce n’est pas le grand calme à Bamako cette nuit. La ville ne donne pas l’impression de la hantise ou de l’angoisse de nuits de confinement. Sur la rive gauche, nous rencontrons des usagers en voitures et en motos. Comme si les horaires du couvre-feu avaient été changés. Des piétons et des vigiles devant les services, magasins et autres officines. Parfois, des jeunes et surtout des filles, arpentent les grandes avenues. On ne peut pas rater ces mouvements et ne pas les rapprocher à l’application du couvre-feu.

A 22h10mn, un groupe de jeunes (mendiants ou fendeurs de bois de ménage), en face de la voirie du district de Bamako. Visiblement, ces enfants, qui ont tous une hache sur l’épaule, regagnent leur dortoir. Ils disputent à voix haute, sans se soucier de la décision d’interdiction de circuler au-delà de 21 heures. Hélas ! Nous ne parvenons pas, à cause du sens unique de la voie, à leur demander pourquoi ils sont encore en ville.

Nous arrivons au check point du rond-point du Grand Hôtel. Deux policiers assurent le contrôle à la barrière. Nous déclinons notre identité. Et s’en suivent des échanges d’encouragement entre les forces de l’ordre et notre équipe. Un jeune sergent nous dit que le couvre-feu n’est pas respecté à 100%. « Rien à signaler (R-A-S) pour le moment. Mais nous constatons des mouvements de quelques usagers ce soir », témoigne-t-il. Avant de terminer son témoignage, arrive une voiture, communément appelé ‘’Etoo’’ dans notre pays.

Il est déjà 22h15mn. Quand ce véhicule, de couleur rouge, s’immobilise au barrage, les jeunes policiers se lèvent. C’est un de leurs chefs. Après les salutations militaires accompagnées de taquineries coutumières, ils soulèvent la barrière. L’automobiliste continue son chemin. « Donc les porteurs d’uniforme ne sont pas concernés par la restriction ? », demandons-nous curieusement. « Pas du tout. Ce n’est pas cela», répond notre interlocuteur. « Celui qui vient de passer est un de nos chefs. C’est pourquoi on ne le contrôle pas», se justifie le jeune policier, arme en mains.

S’il y a quelqu’un que le couvre-feu arrange, c’est bien les techniciens qui réparent les nids de poule sur les voies bitumées, pendant la nuit. Ils font leur travail sans être dérangés. Nous ralentissons en passant devant le CHU Gabriel Touré. Pour cause, ces professionnels en tenue rouge blanc fluorescente font, tranquillement, l’entretien routier. Eux sont, nécessairement, autorisés.

Au rond-point du monument Al-Qods, deux policiers de la Compagnie de la circulation routière (CCR) se dressent sous un abri, au niveau des rails. Selon eux, tout est « propre » pour dire calme, « pas d’usagers de la circulation ».

Toutefois, nous apercevons des jeunes gens qui rodaient aux alentours de l’Assemblée nationale et de l’autre côté, vers les rails. A ce propos, notre chauffeur souligne que c’est une zone infestée de petits bandits allergiques à la présence des éléments patrouilleurs. Toute chose qui pousse notre photographe à avouer sa peur de s’introduire dans ce quartier. Prudence ! Nous n’emprunterons plus cette ruelle puisque nous n’avons pas d’escorte.

ALIBIS DE NOCTAMBULES – Bien avant l’intersection du commissariat de police du 3ème arrondissement, des phares de véhicules particuliers et motocyclistes, dans le sens inverse à la route de Koulikoro, se projettent sur nous. Signes de mouvements en cette première nuit du mois béni de ramadan.

Il est 22h 21 mn. Nous coïncidons avec des contrôles policiers au check point du commissariat de police du 3ème arrondissement. Une dizaine de motos sont arrêtées et conduites dans l’enceinte du commissariat. D’autres motocyclistes engagent des négociations avec les policiers pour éviter la fourrière à leur engin. C’est un seul refrain qui sort et ressort de la bouche de ces personnes prises en flagrant délit de non-respect de la mesure du couvre-feu. « Nous pensions que les autorités avaient revu l’heure en raison du mois de carême. Nous avons cru que c’est ramené à 23 heures», prétextent-elles.

« Pas d’alibis », dit le sergent Traoré. Selon lui, toute personne prise en violation du couvre-feu viendra récupérer son engin le lendemain au commissariat. Malgré cette intransigeance, un jeune homme accoutré style génération 21, avec une coiffure suspecte ne compte pas laisser sa moto aux mains des policiers. « Je suis sorti pour acheter du pain. Nous sommes au mois de carême, j’ai entendu dire qu’on a repoussé l’heure du couvre-feu. S’il vous plaît, remettez-moi ma moto. Comment pourrais-je retourner à pied à la maison ? », plaide-t-il, dans une vaine tentative de convaincre les policiers.

SENSIBILISATION – Par contre, au check point installé au rond-point Banconi, à 22h30mn, on privilégie la sensibilisation. Beaucoup d’automobilistes et motocyclistes tombent dans les mailles du filet des forces de l’ordre. « Nous intervenons plus en usant de pédagogie et en tenant compte de l’aspect social parce que beaucoup de personnes se justifie en invoquant le mois de ramadan. On les fait retourner sans les déposséder de leur moyen de déplacement. Souvent, on tolère les journalistes qui, n’ayant pas un laissez-passer pour le couvre-feu, présentent leur carte professionnelle », explique le sergent-chef Fousseyna Konaté, le chef de poste du check point.

Deux hommes en tenue de travail, d’une usine de la place, se tiennent au bord du goudron avec leur engin. Leur visage transpire le stress. Ils sont contraints de rebrousser chemin sinon de se faire arrêter par d’autres patrouilles. Bakary Coulibaly et Boubacar Traoré se justifient. « D’habitude, nous passons la nuit à l’usine, mais nous sommes obligés de rentrer à la maison quand la production s’arrête. C’est la première fois qu’on nous interpelle, depuis l’instauration du couvre-feu. Nous avons décidé de rentrer chez nous parce qu’il n’y a pas non plus de boutique où on peut s’acheter de quoi manger au petit matin pour le jeûne», se défendent-ils. « Notre usine n’a pas voulu nous délivrer un document qui peut faciliter notre mouvement entre le lieu de travail et la maison », ajoutent les deux ouvriers.

Entre retourner à l’usine avec option de faire un jeûne sans rien manger et partir à la maison, avec la probabilité de se faire interpeller par d’autres agents de patrouilles, les deux hommes cogitent.

Sur le même lieu, survient un jeune militaire en tenue civile sur une moto sans phare. Ce jeune homme a l’allure de quelqu’un qui a duré dans la brousse sans avoir eu l’occasion de se coiffer. Il exécute le salut militaire. « Je suis militaire (béret vert) en service dans la Région de Tombouctou. Je suis permissionnaire », décline-t-il son identité celui qui de répond au nom de Guindo. Le chef de poste lui explique qu’en raison du couvre-feu, « tout le monde doit rester à la maison ». « Personne n’est autorisée à sortir, mêmes les porteurs d’uniforme sauf ceux qui sont désignés pour faire les patrouilles. C’est une décision des autorités pour prévenir la propagation de la maladie à coronavirus », détaille au jeune militaire le chef de poste. Aucun incident. A sa suite, l’un de ses hommes, prenant Guindo à côté, lui déconseille de rouler la nuit, sans phare, « pour sa propre sécurité ». L’échange est civilisé. Selon le sergent-chef Konaté, certains militaires se sentent offensés lorsqu’ils se plient à un contrôle policier. « Or, dit-il, nous ne sommes pas des ennemis ».

Pendant que le jeune militaire démarre sa moto, arrive un tricycliste. Il est déjà 22 heures passées. L’engin est conduit par un handicapé, répondant au nom de Mahamadou Niangadou. Il transporte une autre personne tenant des bagages sur l’arrière de sa moto à trois roues. Selon lui, il venait de prendre son plat, dans sa grande famille à Korofina.

« J’ai trois femmes. Ma première habite dans la grande concession avec mes parents à Korofina. Je pars récupérer la nourriture à Korofina pour venir passer la nuit à Niaréla où habitent mes deux autres familles », se défend Niangadou lorsque le chef de poste se montre rigoureux avec lui. Parce que le vieux ne respecte jamais l’horaire du couvre-feu, à en croire le sergent-chef Fousseiny Konaté. « On l’interpelle, chaque fois, aux mêmes heures. Il ne respecte pas les consignes et n’écoute pas les conseils. Je serai obligé de l’embarquer car mes supérieurs aussi me contrôlent, à travers la vidéo surveillance de la rue», s’emporte notre policier avant d’accepter, « pour la dernière fois » que Niangadou regagne ses femmes à Niaréla. « Je ne passerai plus par cette route. Je vais en choisir une autre », lance le handicapé « irrespectueux » du décret, sans renoncer à ne plus sortir aux heures du couvre-feu.

A 23h20mn, nous sommes à Boulkassoumbougou, toujours sur la route de Koulikoro. Quelques véhicules et motos circulent. Nous apercevons un véhicule de patrouille du commissariat de police du 16ème arrondissement. Ces policiers sont intransigeants. Malgré que la mention ‘’véhicule de reportage » sur le pare-brise de notre véhicule et notre laissez-passer, ils insistent pour qu’on leur montre notre carte professionnelle. C’est après que le chef de poste, l’adjudant Ousmane Lamine Doumbia, établit une discussion à bâtons rompus avec nous. Deux personnes prises lors des patrouilles (un homme et une femme) prennent place à l’arrière du véhicule de police. « Oui, ils n’ont pas respecté le décret. On va les conduire au commissariat », soutient l’adjudant Doumbia.

RECALCITRANTS – Le chef de file de patrouille du commissariat de police de 16ème arrondissement nous informe qu’ils ont été pris pour cible par des jeunes dans le quartier Sotuba. « Alors qu’on patrouillait dans ce quartier, des jeunes nous ont caillassés, avant de disparaitre dans des familles…Nous avons conseillé aux chefs de famille de nous les livrer, sous peine d’intervenir avec un soi-transmis du procureur », nous raconte l’adjudant Ousmane Lamine Doumbia.

Sur la rive droite, la circulation routière est presque déserte, à notre passage aux environs de 23 heures. Cependant, dans des quartiers, les ‘grins’ ont repris de plus belle. De jeunes garçons et filles passent, d’autres animent le ‘grin’ autour du thé. A Badalabougou, c’est la panique dans les rues, lorsque la lumière de nos phares se projette sur ces groupuscules devant la porte des familles. «Tranquillisez-vous ! Ce ne sont pas des poulets », s’exclame le premier qui est arrivé à identifier notre véhicule de reportage. « Il ne faut pas faire de photo…», protestent-ils lorsque notre photographe tente de prendre leur image au passage.

Ce n’est plus la même rigueur du début de l’application du couvre-feu. On sent un relâchement chez les agents de forces de l’ordre. « Nous n’avons aucune mesure de prévention face à la maladie à coronavirus. Voyez-vous, vous-même ? », se plaint un policier au rond-point du Palais de la culture, à Badalabougou. Ici, le personnel féminin est déployé. Beaucoup d’usagers irrespectueux du mot d’ordre sont embarqués dans le véhicule de patrouille, en direction du commissariat de police le plus proche.

En commune III, à l’instar d’autres communes de la ville de Bamako, les jeunes se promènent tranquillement dans les quartiers. Les ‘grins’ s’animent parce que les équipes de patrouille ne s’infiltrent plus dans les quartiers. Cependant, les habitants évitent de circuler sur les voies principales voies bitumées pour ne pas rencontrer une équipe de patrouille.

« Les policiers mêmes ne veulent plus…Nous n’allons pas en ville parce qu’il n’y a plus d’activité, mais on tient notre ‘grin’ devant nos familles. On ne peut plus rester confinés dans la chambre…», s’exprime le jeune Soumi à Bolibana.

Même si des boutiquiers, dans des quartiers, ferment leur échoppe à 21h, le couvre-feu profite à certains de ces petits commerçants. « Moi je ferme à 21h00mn. La mesure m’arrange énormément surtout en cette période de jeûne car, s’il faut qu’on se lève depuis 4h du matin et se coucher après minuit, c’est très fatigant. C’est une occasion pour moi de me reposer tranquillement », se réjouie Abdoulaye Cissé, boutiquier au Badialan II.

OD/MD

(AMAP)

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