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Mali – IBK: Le mal aimé

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Près de deux ans après sa réélection à la magistrature suprême du Mali, le Président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) fait face à un grand mouvement populaire, orchestré par une coalition hétéroclite de partis politiques, d’associations religieuses et d’organisations de la société civile, exigeant sa démission du sommet de l’État et la fin de son régime. Jamais depuis l’avènement du mouvement démocratique au Mali, en 1991, un Président de la République amorçant un second quinquennat n’avait autant été contesté. Si les prémices de cette situation inédite remontent très loin en arrière, un important signal fort avait été la grande mobilisation, il y a un an, qui avait poussé l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga vers la sortie. Aujourd’hui, c’est autour du Chef de l’État lui-même que l’étau se resserre, comme pour signifier que la situation peu envieuse dans laquelle se retrouve le Mali lui incomberait. À lui et à lui seul.

« IBK dégage ! », « À bas IBK », « IBK ne pleut plus, qu’il démissionne », « On a perdu Kidal », « Armée divisée », « IBK nous étouffe depuis plus de 7 ans, maintenant ça suffit ! ». Autant de slogans hostiles au Président de la République qui ont été affichés et scandés le 5 juin dernier, Place de l’indépendance à Bamako, jour du grand rassemblement « Pour le sursaut national » auquel avaient appelé la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko (CMAS), le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) et le mouvement Espoir Mali Koura (EMK). Une manifestation qui a mobilisé des milliers de personnes, traduisant le malaise de plus en plus généralisé qu’une importante partie de la population malienne ressent vis-à-vis de la gouvernance du pays ces dernières années. Une partie des manifestants a même voulu se rendre à Sébénicoro, quartier où réside le chef de l’État, afin de le contraindre à la démission. Ils en ont été empêchés par les forces de défense et de sécurité.

Plus tôt, dans sa déclaration finale, le regroupement des trois organisations avait énuméré une série de maux qui ébranlent la prospérité du Mali, allant d’une « gestion catastrophique de la crise multidimensionnelle du Mali » à « l’impasse d’une voie électorale désormais hypothéquée », mais aussi également, entre autres, « l’insécurité généralisée », « les atteintes récurrentes aux valeurs et principes de la République et les droits et libertés individuels et collectifs en péril », le tout « à cause d’une gouvernance chaotique ».

Forte de l’importante mobilisation qu’a suscité cet appel de la désormais ancienne Troïka (CMAS – FSD – EMK) et n’ayant surtout pas obtenu la démission du président Ibrahim Boubacar Keita, comme elle l’exigeait au soir même de la manifestation, la coalition a affirmé lors d’un point de presse tenu le 8 juin 2020, la « poursuite de la lutte jusqu’à l’objectif final, la démission d’IBK et de son régime ».

Elle a en outre été rejointe par plusieurs autres associations et partis politiques, occasionnant de facto une plus large dynamique, qui a été rebaptisée « Mouvement du 5 juin 2020 : Rassemblement des forces patriotiques du Mali » (M5-RFP), dont une Assemblée générale se tiendra ce jeudi 11 juin pour décider des prochaines orientations à suivre. Issa Kaou Djim, le porte-parole de l’Imam Dicko et Coordinateur général de la CMAS, le martèle : « IBK va démissionner lors de notre prochaine manifestation ».

Une remise en cause profonde

Si la démission du Président IBK semble aujourd’hui non négociable pour les leaders du M5-RFP, qui pointent du doigt sa gouvernance, l’intransigeance dont font montre ces derniers laisse entrevoir également une sorte de lassitude, traduite par un acharnement à peine voilé sur la personnalité même d’Ibrahim Boubacar Keita. Beaucoup de ceux qui mènent ce mouvement étaient hier encore des proches collaborateurs du régime, y compris l’Imam Mahmoud Dicko, considéré comme le plus influent du regroupement, qui avait d’ailleurs appelé ses partisans à voter IBK en 2013.

Une « erreur » qu’il veut manifestement corriger à travers ces dernières manifestations, et les appels à la démission du président IBK, dont il est  à l’origine, avec le Chérif de Nioro.

« La gestion catastrophique de l’État, du point de vue de Mahmoud Dicko, serait à l’origine de son divorce avec IBK », affirme Boubacar Haidara, Docteur en géographie politique et sciences politiques et chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM) de Sciences Po Bordeaux.

Sur un autre angle, c’est aussi, à en croire Bréhima Mamadou Koné, chercheur – doctorant en Sciences politiques, l’institution même de la présidence de la République qui est aujourd’hui remise en cause par le peuple malien.

« Quand on s’en tient à la Constitution malienne, la personne du Président incarne l’institution présidentielle et il se trouve aujourd’hui que c’est cette institution qui est remise en cause par ceux qui manifestent. IBK a eu assez de Premiers ministres et cela veut dire que ce n’est pas une question de chef du gouvernement et que le problème se situe au niveau de l’institution qu’il incarne », affirme-t-il.

Pour ce politologue, demander en conséquence la démission du Président de la République n’est pas illégal ni anticonstitutionnel. Mais ce qui serait à la fois illégal et anticonstitutionnel serait le fait de procéder à un coup d’État à son encontre.

« Si les revendications arrivent à pousser le président IBK à démissionner dans le cadre constitutionnel, sans qu’il y ait un coup d’État, ce serait alors totalement légal et légitime », explique le chercheur. Ce que conteste Badra Ali Sidibé, chef de cabinet du président du Conseil économique, pour qui demander la démission du président serait “un coup d’Etat civil”. C’est d’ailleurs en soutien aux institutions de la République au premier rang desquelles le président que la Convergence des Forces Républicaines prévoit de se rassembler le samedi 13 juin explique-t-il.

L’ensemble des revendications qui se sont accumulées depuis des années et qui sont restées presque intactes, sans que le Président IBK ne s’attèle à y trouver des réponses concrètes et durables, explique, selon plusieurs observateurs, l’expression de ce ras-le-bol généralisé de la majorité des Maliens, qui s’exprime aujourd’hui dans cet appel à la démission.

Son élection assez confortable en 2013 et sa réélection en 2018 semblent être, pour le chercheur Boubacar Haidara, des éléments qui l’ont certainement induit en erreur, et aussi son entourage, le rendant sourd aux différentes protestations jusque-là formulées à son égard.

« On peut supposer que, dans son entendement, si les Maliens l’ont réélu, cela voulait dire que tout allait bien, d’où une presque totale « inconsidération » vis-à-vis des revendications formulées lors des différentes manifestations. Mais c’est oublier qu’il n’a été élu que par 1 700 000 Maliens, d’où l’importance de la nuance entre sa légalité en tant que Président et la légitimité que cela lui accorde », relève Dr. Haidara.

IBK déconnecté des réalités ?

Beaucoup de Maliens expriment le sentiment d’une non imprégnation du président Ibrahim Boubacar Keita des réalités du pays. Il lui est souvent reproché de n’être pas aussi proche du « bas peuple » qu’il le devrait.

Quelques éléments tendent à justifier ce sentiment, comme le relève Boubacar Haidara. « Aucune suite judiciaire, ou très peu, n’est donnée aux différents scandales de corruption, qui en sont aujourd’hui à des proportions jamais atteintes au Mali. Les Maliens n’ont pas d’eau, ni d’électricité. Leurs conditions de vie sont très clairement loin d’être satisfaisantes et le pouvoir ne donne pas l’impression de s’en soucier », pointe-t-il.

Pour lui, l’une des situations les plus alarmantes est celle de l’école malienne, à laquelle le président IBK n’arrive pas à faire face une fois pour toutes et qui donne vraiment l’impression que le pouvoir est déconnecté des réalités. « Comment peut-on échouer à régler une crise qui dure depuis bientôt deux ans et qui concerne le secteur le plus important de l’État ? », interroge t-il.

Cette situation de l’école malienne et celle qui prévaut en général dans plusieurs secteurs du pays, s’expliquent, selon Bréhima Mamadou Koné, par le manque de modélisation politique de l’État malien. « Cette modélisation est une sorte de diagnostic participatif, où l’on fait remonter l’ensemble des problèmes rencontrés par les populations à la base pour atteindre le niveau institutionnel et politique. Si nous étions dans ce schéma, la grogne sociale qui a commencé depuis le 5 avril 2019 aurait été désamorcée », explique le politologue.

Entourage hypothétique ?

Les différents scandales financiers ou administratifs qui collent à l’image du Président IBK, et qui attisent le rejet de sa gouvernance par bon nombre de Maliens, impliquent le plus souvent ses plus proches collaborateurs. Jamais le Président lui-même n’a été personnellement pointé du doigt dans des affaires encombrantes. « Vous ne trouverez aucun Malien qui vous dira qu’IBK a détourné 1 seul franc du Mali. Même si l’on reconnait qu’il est aujourd’hui en incapacité de gouverner le pays, il est quand même de bonne foi. Mais on a l’impression qu’il est pris en otage au sommet de l’État par un clan machiavélique. Son entourage ne lui dit pas la vérité », tranche Bréhima Mamadou Koné.

Mais, fait remarquer pour sa part Dr. Boubacar Haidara, les Maliens n’ont pas élu l’entourage d’IBK mais lui-même et il est à la fois responsable des actions de cet entourage et responsable du Mali tout entier.

Changement radical?

Pour le sociologue Mahamadou Diouara, la Constitution du Mali crée elle-même en quelque sorte les conditions pour la création d’une « mafia politique » autour du président de la République et du parti au pouvoir et tant que cette situation demeurera, peu importe celui qui siégera au palais de Koulouba, les mêmes problèmes persisteront.

« C’est pourquoi, ce qui serait intéressant c’est que ce mouvement demande l’instauration d’une conférence nationale souveraine, qui discuterait de tout, et qu’au sortir de cela le Mali ait un État réformé pour le reste du mandat du président IBK, pour poser les fondements qui nous permettront d’avoir aux prochaines élections une révolution démocratique par la voie des urnes, et non par celle de la rue et par effusion de sang », suggère-t-il.

C’est ce que préconise également le chercheur Bréhima Mamadou Koné, qui estime en plus que dans l’immédiat le président Ibrahim Boubacar Keita devrait faire une adresse à la Nation, pour calmer les esprits avant d’appeler les leaders des contestataires à discuter.

Mais, par-dessus tout, « un changement radical dans la conduite de la politique malienne, visible par tous, doit être opéré », si le président Keita parvient à faire baisser la contestation. Le rassemblement du samedi 13 juin pourrait en être un test grandeur nature.

Germain Kenouvi

Journal du Mali

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