C’est un procès qui fait beaucoup de bruit en Turquie, un pays où les journalistes ont pourtant l’habitude des tribunaux. Ce mercredi 24 juin, une cour d’assises d’Istanbul commence à juger six journalistes accusés d’avoir révélé l’identité d’agents des services secrets tués en Libye, où la Turquie est intervenue militairement pour soutenir le Gouvernement d’union nationale. En détention préventive depuis début mars, ils risquent une lourde peine, jusqu’à 19 ans de prison.
Ce sont six journalistes d’investigation, connus pour avoir révélé plusieurs scandales dans leur carrière, qui comparaissent cette fois-ci ensemble. Le parquet leur reproche d’avoir « publié, propagé et révélé des informations sur l’identité, la mission et les activités de membres de l’Organisation nationale du renseignement ».
En l’occurence, d’avoir écrit sur les funérailles d’un agent des services secrets tué début février en Libye, avec un de ses collègues. Des rumeurs sur la mort de ces deux agents – avec leur nom et leur photo – avaient pourtant circulé sur les réseaux sociaux avant que les journalistes ne publient leurs articles. La défense dénonce un « procès politique ». Elle estime que ces journalistes employés par des médias d’opposition – dont certains ont déjà fait de la prison pour leurs écrits – étaient depuis longtemps dans le viseur des autorités, et que cette affaire n’est qu’un prétexte pour les faire taire.
Mesures discrétionnaires en détention
Incarcérés en pleine crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, ces journalistes comptent notamment dénoncer à l’audience leurs conditions de détention. Pendant la majeure partie de ces trois mois et demi d’enfermement, ils n’ont pu recevoir aucune visite, à l’image des autres détenus. Mais ils dénoncent surtout des mesures discrétionnaires à leur égard et des atteintes aux droits de la défense. Par exemple, non seulement les six journalistes ont été placés à l’isolement, en cellule individuelle, mais l’administration pénitentiaire a fait en sorte qu’une cellule soit laissée vide entre leurs cellules respectives pour les empêcher de discuter à travers les murs.
Les journalistes accusent aussi les autorités d’avoir refusé de transmettre certains documents qu’ils destinaient à leurs avocats pour les aider à préparer leur défense. Enfin, l’un d’eux, Baris Pehlivan, a affirmé avoir subi des violences de la part d’un gardien. Des accusations confirmées ensuite par une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.
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Jugements de journalistes sur des bases inédites
Aujourd’hui, une centaine de journalistes sont emprisonnés en Turquie. Les procès de ce genre sont courants. Mais celui-ci est révélateur d’un phénomène récent en matière d’atteintes à la liberté de la presse. Ces dernières années, les journalistes en Turquie ne sont plus seulement poursuivis sur la base des lois antiterroristes ou d’articles du code pénal. Ils sont aussi jugés sur des bases inédites, telle que la loi sur l’Organisation nationale du renseignement, dans cet exemple, ou encore la loi sur les marchés des capitaux.
Six journalistes et trente-deux internautes risquent par exemple jusqu’à cinq ans de prison pour avoir couvert la crise financière turque en 2018. Leur procès, qui s’est ouvert en septembre dernier, illustre une tendance inquiétante à criminaliser – aussi – le journalisme économique.
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RFI