Maintes fois décrié, le problème perdure. L’occupation de cette zone constitue, pourtant, un danger pour la sécurité de la navigation aérienne au niveau du plus grand aéroport du pays
Le caractère international du transport aérien assujettit l’aviation civile aux normes et pratiques recommandées et approuvées en la matière par tous les États. Ces règles qui régissent les domaines aéroportuaires tiennent compte des évolutions à basse altitude des aéronefs lors des manœuvres d’approche, d’atterrissage et de décollage. Elles sont aussi regardantes sur les conditions météorologiques, les limites, les pannes de moteurs d’avions, les servitudes radios électriques. Au regard de ces tous critères, les aéroports internationaux ont besoin de grandes surfaces, afin de parer à toutes éventualités.
À cet effet, le domaine réservé à l’Aéroport international Président Modibo Keïta-Sénou est classé suivant le décret n° 99-252/P-RM du 15 septembre 1999. Vaste de plus 7.149 hectares, il est balisé et s’étend de Gouana, à Kouralé, à Sirakoro en passant par Faladié Est/extension et Niamakoro Diallo Bougou. Il est inaliénable, imprescriptible et insaisissable. Objectif ? Sécuriser la navigation aérienne.
En dépit de ces garanties, le domaine aéroportuaire de l’Aéroport international Président Modibo Keïta-Bamako Sénou est agressé par des occupants illégaux qui y ont construit des maisons à usage d’habitation, des points de vente de carburant, des garages, des dépôts de transit final à ciel ouvert (déchets solides et liquides). Faladié Est/extension, à lui seul, comptabilise 3.000 lots «illégaux» situés dans le domaine aéroportuaire. Certains sont bâtis, d’autres sont en chantier.
Le pire est que les propriétaires pensent détenir des documents authentiques. «Nous disposons de permis d’occupation délivré par la mairie du District de Bamako. Donc, nous avons l’autorisation d’habiter ce site», insiste un propriétaire de terrain à Faladié Est/extension, tout en brandissant son document comme preuve à l’appui. O. Camara confirme l’octroi par l’administration de titres de propriété. «Ils savent que c’est illicite. Mais au moment de conclure la vente, les spéculateurs fonciers présentent des autorisations d’occupation signées par la mairie du District de Bamako. J’ai eu à acheter plusieurs parcelles à vil prix. On m’a dit de ne rien craindre, car des personnalités du pays ont des parcelles dans cette zone», confesse-t-il.
Une situation incompréhensible si l’on sait qu’en 1995, le gouvernement, à travers le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme, avait démoli des occupations illicites et anarchiques dans la même zone. Ces habitants de l’époque ont été recasés au quartier Zerni et ailleurs. Ils ont été indemnisés financièrement, y compris les titulaires des droits coutumiers.
ANNULER LES TITRES DE PROPRIÉTÉ- M. Doumbia, conducteur de son état, fait partie des personnes recasées, après la démolition, en 1995, des occupations illicites et anarchiques construites à l’époque dans la zone aéroportuaire. Âgé d’une soixantaine d’années, ce père de famille qui vit aujourd’hui en Commune VI, ne cache pas sa colère. Selon lui, tous ceux qui habitaient dans cette zone ont été recasés. Quelques années après, certains ont réoccupé les mêmes parcelles pour lesquelles ils avaient été dédommagés, témoigne notre interlocuteur. «Ils savent bien que c’est illégal. Ils ont fondé des familles sur du faux», peste-t-il. Avant d’accuser : «C’est avec la complicité des maires et chefs coutumiers que les gens continuent d’acheter des parcelles dans la zone aéroportuaire. L’État doit s’assumer en tout état de cause».
Cela afin de prévenir le pire. «En octobre prochain, une mission d’inspection de l’Aviation civile internationale est attendue au Mali. Si la zone aéroportuaire n’est pas débarrassée des occupations inadaptées, l’Aéroport international Modibo Keïta Bamako-Senou risque de perdre son caractère international », alerte une source aéroportuaire. Cela signifierait qu’aucun vol international n’atterrira sur le sol malien. Pour voyager à l’étranger, nous serons obligés de nous rendre dans les pays de la sous-région pour prendre notre vol, prévient-il.
C’est peut-être pour prévenir ce scénario que le département en charge des Domaines et des Affaires foncières avait tenté, au début du mois, une vaste opération de démolition de ces occupations. Il a été demandé de surseoir aux opérations de démolition pour des raisons sociopolitiques, confirme une source, sans faire le lien avec la sanction qui menace notre principal aéroport. Toutefois, «les zones concernées ont été repérées. Les occupants informés. Ils ne seront pas surpris quand les opérations de démolition vont commencer», confie-t-on au ministère des Domaines et des Affaires foncières.
Géomètre-expert, Nathaniel Dembélé est le promoteur du cabinet «Express-Topo», sis à l’ACI 2000. Il confirme que la zone est classée zone équipement et ne saurait être utilisée à d’autres fins sans l’autorisation express de l’Assemblée nationale. Il cite, à cet effet, l’exemple de la poissonnerie moderne installée dans la zone dont le dossier est passé par la représentation nationale pour désaffectation, avant d’être attribué à cette unité.
Pour mettre fin à ce problème qui perdure et qui pourrait provoquer une autre crise sociale, l’expert recommande à l’État la délimitation des parties occupées. Ainsi, il pourra les désaffecter afin d’annuler les titres de propriété attribué aux occupants, avant d’approuver le plan, suggère Nathaniel Dembélé.
Babba B. COULIBALY
Source : L’ESSOR