L’Éthiopie a déjà achevé de construire le Grand barrage de la Renaissance, sur l’affluent du Nil Bleu dans les hautes terres du nord de l’Ethiopie d’où jaillissent 85% des eaux du Nil. C’est la plus grande centrale hydroélectrique jamais construite en Afrique. Toutefois, dès le début des travaux en 2011, un différend a opposé l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan. L’Égypte craignant que le projet ne permette à l’Éthiopie de contrôler le débit du fleuve. Pas que les centrales hydroélectriques consomment de l’eau. Mais parce que la vitesse à laquelle l’Ethiopie remplit le réservoir du barrage pourrait affecter le débit en aval.
Or l’Egypte dépend du Nil pour 85% de ses besoins en eau. Avoir un débit stable des eaux du Nil est une question de survie dans un pays où l’eau est rare, ont depuis toujours argué les Egyptiens. Leur principale préoccupation est que si le débit d’eau baisse, cela pourrait affecter le lac Nasser, le réservoir plus en aval, derrière le barrage d’Assouan (sur le Nil) en Égypte, qui produit la majeure partie de l’électricité du pays. Cela pourrait également impacter le transport sur le Nil en Egypte si le niveau de l’eau est trop bas, sans parler des moyens de subsistance des agriculteurs qui dépendent de l’eau pour l’irrigation.
Ce qui n’est pas faux car, si l’on pouvait comparer l’Egypte à un être vivant, le Nil serait incontestablement son âme. Raison pour laquelle, un traité de 1929 et un traité subséquent en 1959 ont donné à l’Égypte et au Soudan des droits sur presque toutes les eaux du Nil. Le document de l’époque coloniale donnait également à l’Égypte un droit de veto sur tout projet des pays en amont qui aurait une incidence sur sa part des eaux. Ce vieux traité de plusieurs décennies est désormais récusé par l’Éthiopie, qui a décidé de bâtir unilatéralement son ouvrage.
Le pays de l’empereur Hailé Sélassié connaît une grave pénurie d’électricité, 65% de sa population n’étant pas accordée au réseau. Le barrage de 4 milliards de dollars US (plus de 2.371 milliards FCFA) est ainsi au cœur des rêves industriels et manufacturiers de l’Éthiopie. Une fois terminé, il devrait être en mesure de produire 6. 000 mégawatts d’électricité. L’énergie produite sera suffisante pour ses citoyens et le surplus sera vendu aux pays voisins. L’Éthiopie considère également le barrage comme une question de souveraineté. C’est pourquoi sa réalisation ne dépendait pas de financements extérieurs, mais d’obligations d’État et de fonds privés. Il est indéniablement une opportunité pour les pays du bassin du Nil.
Ainsi, le Soudan, le Sud-Soudan, le Kenya, Djibouti et l’Érythrée, ayant d’énormes déficits d’énergie, pourraient bénéficier de l’électricité produite par le barrage de la renaissance. Pour ce qui est du Soudan, souffrant habituellement de graves inondations en août et septembre, l’avantage supplémentaire est que le débit du fleuve serait régulé par le barrage, ce qui signifie qu’il serait le même toute l’année.
Le barrage de la Renaissance étant dorénavant une réalité, le Soudan, l’Egypte, et l’Ethiopie ne devraient-ils pas plutôt s’entendre pour créer de bonnes conditions d’usage de cet outil de développement au lieu de se quereller? Ils pourraient s’inspirer du cas de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Senegal (OMVS). Même si à l’origine, contrairement au barrage de la Renaissance, les ouvrages de l’OMVS ont appartenu aux trois Etats-fondateurs.
L’OMVS est une organisation intergouvernementale de développement créée le 11 mars 1972 à Nouakchott par le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, en vue de gérer le bassin versant du fleuve Sénégal, bassin qui s’étend sur une surface de 289 000 km2. Son siège se trouve à Dakar.
Avec cet outil d’intégration sous-régionale, les trois pays ont convenu de la création d’un organe exécutif, le Haut-Commissariat. Mais c’est la Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays membres qui définit la politique de coopération et de développement au sein de l’Organisation. Ainsi, le Conseil des ministres définit la politique générale d’aménagement du fleuve et de mise en valeur de ses ressources. Tandis que le Haut-Commissariat est chargé d’appliquer les décisions du Conseil des ministres. Son siège est à Dakar, au Sénégal.
Afin de prévenir tout conflit inter-Etats pour l’usage des eaux du fleuve Sénégal et ses affluents, il a été créée une Commission permanente des eaux. Celle-ci est un organe consultatif auprès du Conseil des ministres, chargé de définir les principes et les modalités de la répartition des eaux du fleuve entre les États, et entre les secteurs d’utilisation de l’eau : industrie, agriculture, transport. Elle est également chargée de l’instruction des projets des États membres susceptibles d’avoir un impact négatif sur les eaux du fleuve et joue un rôle important en matière de contrôle de l’utilisation de l’eau et de lutte contre la pollution.
Une autre de ses missions est de préparer périodiquement le plan de gestion des ressources en eau, sur la base des projections des besoins des usagers et d’une simulation de la gestion du système. Dans le souci toujours d’harmoniser ce bon usage, existent : la Convention relative au statut juridique du fleuve Sénégal et celles relatives au statut juridique des ouvrages communs et aux modalités de financement des ouvrages communs.
S’y ajoute, une charte des eaux du fleuve Sénégal. Laquelle détermine : les principes et modalités de la répartition des eaux entre les différents secteurs d’utilisation ; les modalités d’examen et d’approbation des nouveaux projets utilisateurs des ressources en eau ; les règles relatives à la préservation et à la protection de l’environnement ; le cadre et les modalités de participation des utilisateurs de l’eau dans la prise des décisions de gestion des ressources du bassin. Détail important : l’OMVS fonctionne bien et les Etats fondateurs ont accepté l’adhésion de la Guinée Conakry comme membre à part entière. Cela bien après la réalisation des deux barrages : Diama (hydro-agricole) au Sénégal et Manantali (hydro-électrique) au Mal. N’est-ce pas un bel exemple de coopération sous-régionale dont doivent s’inspirer l’Egypte et l’Ethiopie pour un meilleur usage des eaux du Nil ?
Gaoussou Madani Traoré
Source : Le Challenger