À partir de ce mercredi 1er juillet, Benyamin Netanyahu peut œuvrer à l’application d’une de ses promesses de campagne : l’annexion d’une partie de la Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967. Cette promesse d’annexion suscite beaucoup d’inquiétudes sur la scène internationale et est vivement dénoncée par les Palestiniens.
De notre correspondant à Jérusalem,
Lors de la présentation du « plan du siècle » dans un salon de la Maison Blanche le 28 janvier dernier, une carte a marqué les esprits : l’administration américaine a redessiné les frontières entre Israël et les territoires palestiniens. Le plan visant à mettre un terme à un conflit vieux de plus de 70 ans accorde à Israël une part importante des territoires situés à l’est de la ligne verte, marquant la limite entre les frontières internationalement reconnues du pays et les territoires qu’il occupe depuis 1967. Selon le plan, la vallée du Jourdain, les rives de la mer Morte et les différentes colonies israéliennes seraient ainsi placées sous souveraineté israélienne.
« Souveraineté » est le mot-clé pour le gouvernement israélien. Jamais Benyamin Netanyahu n’évoque une « annexion » ; lui promet « d’appliquer la souveraineté israélienne » sur certaines zones de la Cisjordanie. En droit international, une annexion implique la prise de contrôle d’un territoire sur lequel un autre État a des revendications territoriales légitimes. Une lecture que contestent les partisans de cette évolution.
« Zones disputées »
Pour le gouvernement israélien, les zones qui seraient concernées par une annexion sont situées en zone C, d’après les accords d’Oslo. Cette zone est celle sur laquelle Israël a conservé un plein contrôle. Selon les accords de paix signés par Israéliens et Palestiniens, elle devait passer sous contrôle palestinien au terme d’une période intérimaire, toujours en cours 27 ans plus tard. Mais l’avenir des zones militaires et des colonies devait faire l’objet de futures négociations. Et pour le gouvernement israélien, cela permet de qualifier les zones qu’il pourrait annexer de « disputées » et non de « palestiniennes ».
La droite israélienne rejette aussi toute autre revendication territoriale légitime. « Les autres prétendants sont la Jordanie qui a renoncé à ses revendications, et qui ne les a jamais vraiment poussées d’ailleurs, car elle avait acquis cette terre de manière illégale par une guerre d’agression. Et les Palestiniens qui ne remplissent pas les critères d’un État en droit international », juge Avi Bell, professeur de droit à l’université Bar Ilan de Tel-Aviv et chercheur associé au Forum Kohelet, un groupe de réflexion de droite. « En droit international, n’étant pas un État, ils n’ont pas de souveraineté territoriale. »
Le statut d’État de la Palestine fait l’objet d’analyses différentes. Pour les dirigeants palestiniens, il a été reconnu par l’Assemblée générale de l’ONU en 2012 qui a accepté la Palestine comme État observateur. Ils s’appuient sur cette décision pour ratifier de nombreux traités et rejoindre des organisations internationales : la Palestine est ainsi devenue l’un des États parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Mais cette qualité est contestée par Israël pour qui la Palestine ne rassemble pas les éléments constitutifs d’un État. Aux yeux du gouvernement israélien, elle ne peut notamment pas prétendre à un territoire internationalement reconnu. La Cour pénale internationale devrait être amenée à trancher ce débat prochainement.
« Violation des plus graves du droit international »
Mais cette vision israélienne n’est pas partagée sur la scène internationale. À l’exception des États-Unis, la condamnation est assez unanime. Le 22 juin dernier, l’Autorité palestinienne a organisé un grand rassemblement contre ce projet israélien à Jéricho. Fait rare : les représentants de près de 50 pays et organisations internationales étaient présents à ce rassemblement politique. Plusieurs d’entre eux sont montés sur scène pour dénoncer publiquement cette volonté affichée d’annexion.
Ces dernières semaines, le secrétaire général des Nations unies a ainsi évoqué une « violation des plus graves du droit international » en cas d’annexion. « Si nous retirons entièrement l’idée qu’à travers les négociations et le dialogue, la paix peut être atteinte, il me semble qu’on tue l’esprit même du processus de paix et qu’on place tout le monde dans une situation difficile. Une position dans laquelle l’action unilatérale deviendra la règle, dans laquelle le recours à la force primera sur le dialogue », juge pour sa part le coordinateur spécial de l’ONU pour le processus de paix au Proche-Orient, Nikolay Mladenov.
Deux pour danser le tango
Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borell, affirme, lui, user « de toutes les capacités diplomatiques de l’Union » pour empêcher cette annexion, prévenant qu’elle aura des « conséquences significatives » sur les liens entre Israël et les Vingt-Sept, premiers partenaires commerciaux du pays. La Jordanie et les Émirats arabes unis ont aussi multiplié les mises en garde à Israël. Et Nikolay Mladenov, le coordinateur spécial des Nations unies pour le processus de paix, met en garde contre les conséquences d’une telle décision.
Les responsables palestiniens dénoncent eux aussi avec force ce projet de Benyamin Netanyahu. Avant même la concrétisation de cette promesse de campagne, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, a annoncé la suspension de toute coopération avec Israël. « Il faut être deux pour danser le tango », juge son Premier ministre Mohamed Shtayyeh, estimant que la menace d’une annexion d’une partie de la Cisjordanie place Israël hors des accords d’Oslo. « Ce processus de paix est dans une véritable impasse et je pense que la situation est irréversible », déclare le chef du gouvernement.
Divergence de stratégie
Pour une relance du processus de paix, « il doit y avoir un véritable changement de paradigme : il faut passer du bilatéralisme au multilatéralisme », prévient-il. La direction palestinienne ne veut plus d’un processus de paix parrainé par les seuls États-Unis, mais veut le placer sous l’égide du Quartet qui regroupe, aux côtés de Washington, l’ONU, l’Union européenne et la Russie. Mais les dirigeants palestiniens sont divisés sur la réponse à apporter à une éventuelle annexion.
Début juin, Mohamed Shtayyeh militait pour l’affirmation de l’identité étatique de l’Autorité palestinienne. « Cette Autorité ne peut pas rester une autorité sans autorité. Il y aura un conseil fondateur, une déclaration constitutionnelle et un appel à la communauté internationale à nous reconnaître. Nous devons nous réveiller et faire face à ce moment de vérité », jugeait-il. À l’inverse, mercredi dernier, s’adressant au Parlement arabe, corps législatif de la Ligue arabe, Mahmoud Abbas affirmait qu’une annexion obligerait Israël à « assumer ses responsabilités sur les territoires occupés conformément à la quatrième convention de Genève », laissant planer la menace d’une dissolution de l’Autorité palestinienne.
Pour l’heure, Benyamin Netanyahu manque des soutiens nécessaires pour mener son projet d’annexion. À commencer par celui des États-Unis : l’administration Trump n’a pas actuellement validé ses projets. Dans le « plan du siècle », l’annexion devait aller de pair avec des compromis israéliens pour relancer le processus de paix et l’auteur de ce plan, Jared Kushner, freine aujourd’hui face à une annexion unilatérale souhaitée en revanche par l’ambassadeur américain en Israël, David Friedman. Les lignes de fracture se font sentir au sein de l’administration américaine. Et à quatre mois d’une élection présidentielle compliquée pour Donald Trump, le conflit israélo-palestinien n’est pas l’une de ses priorités.
Annexion vs coronavirus
Mais Benyamin Netanyahu se heurte aussi à des obstacles politiques internes. Le Premier ministre israélien n’a jusqu’à présent rien dévoilé de ses intentions en matière d’annexion. Voudra-t-il d’abord annexer la vallée du Jourdain, les grandes colonies ou au contraire les plus petites et isolées ? Alors que le flou demeure, les oppositions se sont déjà manifestées. Plusieurs rassemblements anti-annexion, organisés par la gauche de l’échiquier politique, ont eu lieu.
Mais même parmi l’électorat le plus à droite, les réticences se font entendre. « J’apprécie sincèrement le Premier ministre Netanyahu et le président Trump, mais je pense que le plan actuel, sans changement, est plus dangereux qu’une opportunité », juge ainsi Israël Ganz, le président du Conseil régional de Benyamin, regroupant plusieurs colonies du centre et du nord de la Cisjordanie. Comme d’autres représentants des colons, il rejette la création d’un État palestinien défendue par le plan Trump et veut s’assurer que les routes desservant les colonies resteront sous contrôle israélien. « Ma mission à moi est d’obtenir une application plus large de la souveraineté israélienne », affirme-t-il.
Mais les difficultés de Benyamin Netanyahu commencent au sein même de son gouvernement. Son ministre de la Défense, et Premier ministre alternant, Benny Gantz affirme être favorable au plan Trump dans son ensemble. Toute annexion doit se faire, juge le partenaire de coalition de Benyamin Netanyahu, avec le soutien des États-Unis et en concertation avec les partenaires internationaux, notamment régionaux, d’Israël. Or, la Jordanie multiplie les mises en garde contre cette annexion.
Benny Gantz estime aussi que la priorité est la crise sanitaire et économique. « Tout ce qui n’est pas lié à la crise contre le coronavirus attendra jusqu’après le coronavirus », a-t-il déclaré lundi. L’opposition de Benny Gantz n’empêche pas légalement Benyamin Netanyahu de faire avancer son projet d’annexion, mais complique sa quête d’une majorité. Après sa rencontre avec Avi Berkowitz, l’émissaire américain pour le Proche-Orient, ce mardi, Benyamin Netanyahu a reconnu que la « question de la souveraineté » nécessitait encore des concertations. « Nous continuerons d’y travailler dans les prochains jours », a-t-il déclaré, laissant entendre qu’aucune annonce majeure n’aurait lieu ce 1er juillet.
RFI